Jan Longeval
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Dans ce troisième volet relatif à la Théorie monétaire moderne (TMM), nous analysons comment les déficits budgétaires des pouvoirs publics se comportent vis-à-vis des excédents du secteur privé, et vice-versa, et l’impact de la TMM pour les portefeuilles d’investissement.

Si les pouvoirs publics détiennent le Power of the Purse, ils devraient continuer à investir et favoriser le plein-emploi.

Cette approche montre ses limites, déclare Longeval. « Voilà les clichés. Selon la TMM, il faut porter l’économie à sa pleine capacité économique, mais pas au-delà. Si les pouvoirs publics dépassent ce point, l’inflation déraille. La TMM ne dit pas qu’il faut dépenser sans compter. Voilà le malentendu », assure Longeval. La TMM stipule qu’une inflation (trop élevée) représente la seule limite supérieure aux dépenses de relance.

La TMM argue que les pouvoirs publics doivent utiliser leur Power of the Purse pour amener l’économie à son plein potentiel, sans qu’elle ne surchauffe. Et si l’inflation se manifeste malgré tout, il faut augmenter les impôts, indique la TMM. L’histoire de la TMM, comme de ses protagonistes, présente un certain intérêt. « L’utilisation, souvent à mauvais escient, par les politiques de la TMM pour contracter des dettes inconsidérées représente un problème, mais cela ne figure nulle part dans les travaux préparatoires. Si l’inflation commence à augmenter, vous devez arrêter », poursuit Longeval.

Déficits

La professeure Stephanie Kelton, auteur de The Deficit Myth, fait également remarquer, à bon escient selon Longeval, que les déficits des pouvoirs publics égalent, par définition, les excédents du secteur privé. La comptabilité nationale se compose de trois entités : le secteur public, le secteur privé, et le secteur externe (les comptes courants de la balance des paiements). Par définition, le solde budgétaire de ces trois entités correspond à zéro. Pour simplifier, considérons que le solde externe égale zéro. Dans ce cas, le secteur privé ne peut réaliser un excédent que si, dans le même temps, le secteur public développe un déficit.

 

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Longeval : « Une situation dans laquelle tant le secteur public que privé enregistrent un excédent dans le même temps ne peut se présenter. Comme le secteur privé est, par nature, un épargnant net, il est donc normal que les pouvoirs publics soient quasiment toujours déficitaires. Le déficit des pouvoirs publics représente l’excédent du secteur privé. La TMM invite à parler plus souvent des excédents du privé plutôt que de toujours revenir sur les déficits publics. On peut également considérer les déficits publics sous un autre angle. La dette publique représente la somme de tous les déficits publics du passé. »

Mais qui détient la dette publique ? Le secteur privé. Quiconque détient 10 millions d’euros en obligations d’État ne va pas se plaindre. Si les pouvoirs publics enregistrent un déficit de 5 pour cent, vous pouvez considérer que le secteur privé comptabilise aussi un excédent de 5 pour cent. Le compte est bon. Des pouvoirs publics en excédent budgétaire sont applaudis mais, si c’est le cas, ils privent le secteur privé de moyens. Les protagonistes de la TMM soulignent que toutes les périodes de l’histoire américaine au cours desquelles les pouvoirs publics ont bâti des excédents ont été suivies de dépression économique. En outre, des pouvoirs publics souverains peuvent, s’ils le souhaitent, faire disparaître du jour au lendemain la dette publique en demandant à la banque centrale de créer de l’argent pour leur permettre de racheter toutes les obligations d’État. »

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Politique fiscale

Selon la TMM, la politique fiscale s’avère plus efficace que la politique monétaire pour gérer l’économie. L’assouplissement quantitatif n’a pas enrichi le citoyen lambda. Cela a seulement profité à la couche supérieure de la population qui détient la part du lion des actifs financiers. Aux États-Unis, 10 pour cent de la population détient 80 pour cent des actifs financiers. Des dépenses publiques ciblées peuvent, selon la TMM, profiter au bien-être d’une plus large couche de population. La TMM défend un « assouplissement quantitatif pour la masse » plutôt que pour les élites. Vous pouvez donc appeler la TMM Théorie Budgétaire Moderne. « Il faut procurer de l’argent aux gens qui en ont besoin. Il faut donc considérer la TMM de façon nuancée. Chaque théorie connaît ses limites, mais la TMM représente certainement un concept intéressant. »

Pas de TMM dans l’Union économique et monétaire

Dès la création de la zone euro, les protagonistes de la TMM ont fait savoir que sa construction était viciée. « Les États-membres de la zone euro ont cédé leur souveraineté à la BCE. Aucun problème en soi, puisque la BCE peut se substituer aux banques centrales nationales, mais toutes les restrictions imposées par la BCE au rachat d’obligations d’État représentent bien un problème. Elle ne pouvait effectuer des opérations de marché ouvert que de façon exceptionnelle, ne pouvait pas souscrire directement à des obligations d’État et sa solvabilité était soumise à des restrictions.

Une création de l’union monétaire sur cette base crée une situation dans laquelle chaque État membre se retrouve à la merci des marchés financiers. Voilà la raison de la crise de l’euro en 2010-2011. La Grèce, l’Italie, l’Espagne, les PIIGS. Lorsque ces pays ont été mis sous pression, l’austérité représentait l’unique solution pour sortir de la crise. Ce n’est que lors de l’assouplissement des règles et de la déclaration de Mario Draghi de faire « whatever it takes » que la tempête s’est calmée.

Longeval : « La TMM peut apporter une solution à de nombreux problèmes. Un pays qui jouit de la souveraineté monétaire dispose d’une marge pour dépenser. Pour ces pays, un taux de dette élevé représente un moindre problème. Les États ne peuvent pas faire faillite. Les pays qui jouissent de la souveraineté monétaire peuvent également, par le biais des banques centrales, maintenir les taux au niveau qu’ils souhaitent. Le Japon, par exemple, atteint un taux d’endettement de 300 pour cent du PIB en affichant un taux de zéro pour cent. Pensez-vous vraiment que les marchés financiers sont à l’origine de ce niveau ? Non, la banque centrale japonaise détient le Power of the Purse, qui lui a permis de racheter la moitié de la dette publique en cours. Dans un pays qui jouit de la souveraineté monétaire, ce sont les pouvoirs publics qui déterminent le niveau des taux courts et longs, pas le marché ! »

Malheureusement, il est impossible de déployer la TMM dans la zone euro telle que les livres la décrivent. « Si la BCE se montrait disposée à racheter des obligations de l’État belge en toutes circonstances, nous serions proches d’un pays jouissant de la souveraineté monétaire. Nous en sommes encore loin aujourd’hui. »

Impact sur les investissements

La majorité des investisseurs et investisseuses européen(ne)s estiment qu’investir uniquement en obligations d’État de pays européens suffit à leur assurer une bonne diversification. « Ils et elles se trompent. Les pays de la zone euro présentent un risque de défaut de souveraineté contrairement aux États-Unis et au Japon. Si vous voulez diversifier judicieusement un portefeuille obligataire, vous devez en investir une part dans des obligations d’État qui jouissent de la souveraineté monétaire et éventuellement couvrir le risque de change. Il n’existe aucune garantie que la BCE renflouera toujours les pays en difficulté. Dans la zone euro, vous conservez toujours un certain risque pays. » L’or, comme les obligations d’État qui jouissent de la souveraineté monétaire, représente également une possibilité de diversification puisqu’il ne comporte aucun risque de défaut.

La TMM offre des avantages, selon Longeval, mais elle présente des faiblesses. « La TMM part du principe que l’allocation des ressources rares par les pouvoirs publics se passe correctement. Elle doit procurer un retour sur investissement et apporter une contribution positive au PIB et à la création de valeur. Cela rate plus souvent que cela ne réussit. Pas à cause de la TMM, mais des politiciens qui prennent les mauvaises décisions.

La TMM ne représente qu’une théorie qui doit encore prouver sa valeur dans la pratique. Les recettes de la TMM sont linéaires, « si ceci, si cela », mais la complexité de l’économie et de la bourse ne permet pas de s’en remettre à des règles empiriques. L’économie et la bourse représentent des systèmes complexes, non linéaires dans le cadre desquels le résultat d’une action n’est pas toujours proportionnel à son expression. Les règles empiriques de la TMM selon lesquelles l’augmentation des impôts fera reculer l’inflation n’offrent aucune garantie de succès. Comme les autres théories économiques, la TMM est de nature expérimentale.

Il faut encore régler quelques lacunes, mais elle reste un concept intéressant, affirme Longeval. « La TMM requiert également un contrôle par les banques centrales. Une vision intéressante qui, comme toute théorie, comporte un aspect expérimental, mais il faut dépasser les clichés », conclut Longeval.

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