Selon l’économiste Paul De Grauwe, jamais l’avenir n’avait été aussi incertain. Et cela est davantage lié au climat qu’à la conjoncture.
La Banque centrale européenne est confrontée à un dilemme. Si elle veut lutter contre l’inflation, l’institution doit relever les taux d’intérêt, ce qui entraînera une récession. Et si la BCE veut éviter une récession, elle doit accepter l’inflation. Paul De Grauwe, professeur à la London School of Economics, a exposé cette dichotomie jeudi, lors du congrès annuel BZB-Fedafin, l’association professionnelle des intermédiaires financiers.
« Il n’est dès lors pas surprenant que la BCE freine. Par conséquent, il y a maintenant beaucoup d’incertitude concernant l’inflation et la conjoncture. Mais nous nous en sortirons, car la BCE dispose de tous les moyens pour désamorcer une telle crise », affirme De Grauwe.
Climat
En effet, ce n’est pas l’inflation et la récession imminente qui inquiètent le plus l’économiste. « Ce n’est pas l’inflation, mais le climat qui constitue le plus grand défi auquel nous sommes confrontés aujourd’hui. Le réchauffement climatique et la destruction de la nature vont provoquer de nouveaux chocs, que nous aurons du mal à maîtriser et qui menacent également le système financier.
Pire encore, l’ensemble du système de marché pourrait ainsi disparaître », déclare De Grauwe. Car avec les chocs climatiques, les appels à l’intervention de l’État vont se multiplier. Chaque fois qu’une économie est frappée par de grands chocs qui déclenchent des crises existentielles, les gens veulent que le gouvernement agisse. Cela peut facilement donner lieu à des systèmes politiques autoritaires qui bloquent l’ensemble du système de marché. La crise climatique a donc non seulement le potentiel d’exercer une grande pression sur le secteur financier, mais aussi sur l’ensemble du marché libre. »
Investissements
Néanmoins, selon l’économiste, ce qu’il faut faire est clair. Pour commencer, l’impact environnemental doit être répercuté sur les prix des produits et services et il faut investir beaucoup plus dans les infrastructures publiques. « Les investissements publics sont essentiels dans la transition vers une économie verte. Ces investissements ne créent pas de flux de trésorerie, ce qui les rend peu attrayants pour les investisseurs privés. Le gouvernement doit les supporter. »
Bien sûr, ces investissements coûtent cher et l’État doit inévitablement chercher davantage de revenus, comme des taxes supplémentaires pour les entreprises polluantes ou les personnes à très hauts revenus. « La politique environnementale ne peut fonctionner que si elle s’accompagne d’une politique sociale redistributive, car bon nombre des mesures énergétiques seront ressenties plus fortement par les personnes à faible revenu. »
Démocratie
L’économiste voit également des dangers pour la démocratie. « L’une des raisons pour lesquelles la politique climatique est si difficile est qu’il y a encore beaucoup de désinformation qui circule. Nous voyons de petits groupes de personnes disposant de très grandes ressources exercer une telle influence sur les médias que cela met même la démocratie en danger. »
Paul De Grauwe (Uccle, 18 juillet 1946) est professeur à la London School of Economics and Political Science et professeur émérite à la Katholieke Universiteit Leuven. Il est un ancien sénateur belge du parti libéral flamand. Il est l’un des macroéconomistes les plus connus de Belgique.