Les investisseurs sur les marchés privés devront se tourner l’année prochaine vers les entreprises de taille moyenne peu endettées et susceptibles de connaître des améliorations sur le plan opérationnel. L’ingénierie financière et les paris sur la hausse des valorisations ne permettront à l’avenir pas d’obtenir les rendements souhaités.
Des nuages sombres semblent s’amonceler au-dessus des marchés privés, mais les spécialistes interrogés par Investment Officer concernant leurs prévisions pour l’année prochaine se montrent pour la plupart imperturbables. Bien sûr, la collecte d’argent frais a diminué au cours des derniers trimestres, surtout en comparaison avec l’année record 2021, et la hausse des taux d’intérêt est rarement une bonne nouvelle pour les investisseurs en capital-investissement ou en crédit privé. En effet, des charges d’intérêt plus élevées signifient automatiquement des coûts plus élevés pour les entreprises financées, augmentant ainsi les risques de défaillance.
Mais est-ce une raison pour ignorer cette classe d’actifs pour le moment ? « Le capital-investissement ne peut pas être timé », affirme Dirkjan Schuiten, Global Head of Private Equity chez ABN Amro, qui dirige l’équipe en charge de la sélection des gestionnaires pour les clients de la banque. « Comme les deux ou trois dernières années ont été une période de forte croissance, il est logique que cela se calme un peu. Mais ce sont des investissements dans lesquels on s’engage pour 10 ou 15 ans. Le moment d’entrée ne constitue donc certainement pas le facteur le plus important. »
Les décisions d’investissement sur les marchés privés sont motivées par d’autres considérations, explique Dirkjan Schuiten. « Pensez-vous que cette catégorie puisse générer un rendement supplémentaire, avez-vous le bon profil de risque et la capacité de gérer l’illiquidité de ces investissements ? La réponse à ces questions détermine la décision d’entrer ou non sur les marchés privés. Ensuite, vous construisez sur ces marchés un portefeuille diversifié qui répartit vos risques. »
Plus onéreux
Les investisseurs se demanderont néanmoins quels segments offrent actuellement les meilleures conditions. « Le niveau actuel des taux d’intérêt rend le financement par l’emprunt plus onéreux, c’est évident. Dans le domaine du capital-investissement, par exemple, il est préférable d’éviter les entreprises fortement endettées », déclare Koen Ronda, Head of Private Markets Investments chez IBS Capital Allies. IBS gère un total de 5 milliards d’euros pour ses clients et investit environ 600 millions d’euros sur les marchés privés, dans le capital-investissement, la dette privée et les infrastructures. Koen Ronda ne donne pas de prévisions pour 2024. « Mais selon notre vision, ce sont surtout les entreprises de private equity du segment moyen qui sont attractives. On y trouve des entreprises peu endettées, avec de bonnes perspectives de croissance, la possibilité d’augmenter leurs marges et la capacité de racheter des concurrents plus petits. »
Ce segment intermédiaire - en particulier dans les secteurs de la santé et de la technologie - est également cité par Dirkjan Schuiten d’ABN Amro ainsi que par l’un des plus grands investisseurs mondiaux sur les marchés privés, Goldman Sachs Asset Management (GSAM). Max Ramirez, Head of Alternatives Client Coverage pour la région EMEA chez GSAM, souligne également les taux d’intérêt élevés, qui rendent actuellement (et probablement aussi l’année prochaine) le marché des leveraged buy-outs moins attractif. « Nous nous concentrons donc sur les entreprises où une véritable croissance opérationnelle est possible », explique Max Ramirez.
Trois sources de rendement
Pour Dirkjan Schuiten, « le capital-investissement compte traditionnellement trois sources de rendement. Si les taux d’intérêt sont bas, on peut aller loin dans l’ingénierie financière, en restructurant le bilan. Si les perspectives macroéconomiques sont bonnes, on peut s’attendre à une augmentation de la valorisation des entreprises, ce qui permet l’arbitrage des multiples. Enfin, il est toujours possible réaliser un rendement en améliorant une entreprise sur le plan opérationnel. Nous mettons actuellement très précisément le cap sur ce dernier point, que nous considérons comme la principale source de rendements futurs. »
Selon Max Ramirez, cela signifie également que les choix sectoriels deviennent plus pertinents. « Pour réaliser cette croissance, il faut que les investissements soient alignés sur les grandes tendances de notre société. Selon nous, il s’agit de la numérisation, de la durabilité et des tendances démographiques. Cela s’applique également aux investissements immobiliers, par exemple. Ce marché est toujours en difficulté, mais si vous choisissez les segments en fonction de ces tendances dominantes, vous avez beaucoup plus de chances d’être du bon côté. »
Investissements à impact
GSAM gère 456 milliards de dollars d’investissements sur des marchés privés au niveau mondial. Cela inclut le capital-investissement, la dette privée, les infrastructures et l’immobilier, la majeure partie du capital étant investie dans le crédit privé et le capital-investissement. Depuis ces dernières années, les infrastructures sont particulièrement populaires auprès des investisseurs, car il s’agit souvent d’investissements à impact. « La transition énergétique et les énergies renouvelables sont particulièrement prisées par les clients européens, tant pour le crédit privé que pour le capital-investissement », déclare Max Ramirez. Et il ne s’agit pas seulement des stratégies « core » et « core plus » considérées comme sûres. « La valeur ajoutée constitue actuellement une option très recherchée, d’autant plus que certains aspects de la transition énergétique nécessitent de nouveaux développements d’infrastructures - par exemple, le stockage de batteries ou des méthodes de production d’énergie comme le biométhane. »
Les taux d’intérêt élevés ne constituent-ils pas un obstacle ? « La hausse des taux d’intérêt rend par exemple le financement des parcs éoliens offshore plus difficile actuellement, déclare Koen Ronda d’IBS. L’éolien offshore présente un profil de revenus différent de celui de l’éolien terrestre, par exemple, car il est plus coûteux de construire une éolienne en mer que sur terre. » D’autre part, les infrastructures constituent une excellente couverture contre l’inflation : « souvent, le financement est assorti d’un revenu constant et indexé. » Mais même dans le domaine des infrastructures, IBS préfère opter pour des projets de croissance à plus petite échelle. Koen Ronda : « Choisir les secteurs où la croissance est présente, où la dette est faible et où une approche pragmatique peut ajouter beaucoup de valeur, tel est ce que nous considérons aujourd’hui comme la mission des investisseurs sur les marchés privés. Il faut véritablement revenir à l’essentiel. »
Ces perspectives pour les marchés privés sont les quatrièmes et dernières de la série de perspectives 2024 publiées par Investment Officer. Vendredi 15 décembre, les directeurs des investissements des trois plus grands gérants d’actifs européens avaient présenté leur vision. Mercredi 20, nous avions présenté les perspectives pour les actions, et jeudi 21, celles des obligations.