Au cours des dernières semaines, le calme n’a régné que sur de rares segments du marché, comme les obligations d’État des marchés émergents. Nous avons consulté Lupin Rahman, portfolio manager Emerging Markets (EM) et responsable de l’intégration ESG chez le gestionnaire d’actifs Pimco, afin d’obtenir des informations complémentaires concernant ce segment de marché.
Pourquoi les obligations d’État des marchés émergents sont-elles attractives ?
Lupin Rahman estime que les obligations d’État des pays émergents peuvent offrir beaucoup de valeur, tant en monnaie locale qu’en devises fortes, étant donné la forte baisse des rendements moyens dans les grandes économies. «Les obligations des marchés émergents offrent en moyenne des rendements plus élevés, mais sont généralement liées à une plus grande volatilité», souligne-t-elle. Aujourd’hui, Rahman constate beaucoup d’incertitude, car nul ne sait vraiment quel sera l’impact du coronavirus. «L’important est donc de connaître les émetteurs et le contexte des crédits, et de savoir quels sont les risques à la baisse que peuvent générer une épidémie mondiale ainsi que le choc sur la demande et la santé.»
En outre, la manager chez Pimco souligne que le segment du crédit des marchés émergents est très diversifié et étendu, avec différents points de contact avec la Chine, les matières premières et le commerce mondial, un avantage permettant de bien répartir le risque. «Les obligations d’État indonésiennes et colombiennes, par exemple, sont complètement différentes, car les deux pays sont extrêmement différents non seulement en termes économiques, mais aussi d’organisation gouvernementale, d’ouverture de l’économie et de secteurs », explique-t-elle. « Et je pense qu’on peut trouver des opportunités partout dans ce large spectre.» Rahman souligne également que les obligations des pays émergents sont sous-représentées dans de nombreux portefeuilles, surtout au vu du poids que les pays émergents occupent désormais dans l’économie mondiale.
Quelle doit être l’allocation dans le portefeuille ? « Cette décision doit être prise par les gestionnaires et les investisseurs, en fonction de leur profil de risque. Il n’y a pas vraiment de chiffre magique pour déterminer la pondération de cette allocation, mais compte tenu de la part des marchés émergents dans l’économie mondiale, elle ne peut pas manquer. Je ne peux que souligner qu’en moyenne, ces obligations sont bon marché et ont un potentiel haussier. »
Quelle est l’importance de la Réserve fédérale ?
Et qu’en est-il d’une Réserve fédérale qui réduit ses taux d’intérêt ? « Une Fed flexible est une chose positive pour les obligations des marchés émergents, car une politique de taux d’intérêt plus flexible fournira au monde des liquidités supplémentaires. Toutefois, si l’institution réduit ses taux d’intérêt pour de mauvaises raisons, comme un grave ralentissement économique, le tableau sera moins rose. Mais je dois souligner que la plupart des pays émergents sont devenus financièrement plus sains au fil des ans et seront mieux à même d’absorber un choc. » Rahman précise également que certains pays ont la possibilité de faire absorber le choc par leur monnaie. « Enfin, il est également frappant de constater que pour de nombreuses monnaies des marchés émergents, la corrélation avec le dollar est moins prononcée qu’auparavant. »
Et qu’en est-il de l’ESG ?
L’ESG est très important, reconnaît Rahman. « Nous procédons à une évaluation matérielle de divers facteurs ESG et examinons l’impact qu’ils peuvent avoir sur la solvabilité. » Elle estime également que la réflexion sur les risques ESG est complémentaire de l’évaluation des risques financiers, et que les deux peuvent jouer un rôle dans le maintien au plus bas niveau possible du pourcentage de perte attendu. Où se situe la création de valeur ? « Ce que nous essayons de faire, c’est non seulement d’examiner la situation actuelle, mais aussi d’esquisser les perspectives. Les questions importantes que nous nous posons sont de savoir où des améliorations sont possibles, et ce qu’on fait à cet égard. »
Lupin Rahman indique également que l’ESG n’est pas tombé du ciel et ne constitue pas un phénomène de mode. « Chez Pimco, nous réfléchissons à l’ESG depuis longtemps déjà. Lors de la crise latino-américaine et asiatique des années 80 et 90, une partie importante de la discussion portait précisément sur la gouvernance et des aspects sociaux tels que l’énorme augmentation des inégalités. Dans un sens, l’ESG n’est pas nouveau. Ce qui est nouveau, par contre, c’est le bond en avant effectué pour se concentrer plus spécifiquement sur les variables ESG et créer un cadre plus solide afin que les gestionnaires et analystes de fonds puissent mieux évaluer les risques et ne pas les négliger. En effet, l’utilisation de variables de plus en plus détaillées nous permet de mieux comprendre les risques que nous prenons. Par exemple, nous examinons le système de soins de santé et son accessibilité dans un pays donné, ainsi que sa vulnérabilité face à l’apparition d’une épidémie virale comme celle que nous connaissons aujourd’hui. C’est une information précieuse », conclut-elle.