L’enfer est pavé de bonnes intentions, et ceci vaut également pour les réglementations bien intentionnées en matière environnementale, sociale et de gouvernance. Suite à la croissance des investissements axés sur les ESG ces dernières années, un nouveau problème fait son apparition : le risque de greenwashing (ou écoblanchiment).
Ce risque menace clairement la solidité et la confiance du marché de la finance durable. La législation et les directives établies par l’Union européenne en matière d’ESG, telles que la directive européenne sur le reporting de durabilité des entreprises (CSRD), le règlement sur la Taxonomie européenne et le règlement sur la publication d’informations de durabilité dans les services financiers (SFDR), sont sujettes à des risques de greenwashing.
Le 31 mai 2023, les trois Autorités européennes de surveillance (AES) pour les banques, les assurances et pensions ainsi que les marchés des valeurs mobilières ont publié des rapports d’avancement sur le greenwashing en réponse à la demande de la Commission européenne de lui fournir des informations sur les « risques de greenwashing et la surveillance des politiques de finance durable ». Les AES considèrent le greenwashing comme « une pratique dans laquelle les déclarations, actions ou communications liées à la durabilité ne représentent pas de manière claire et équitable le profil de durabilité sous-jacent d’une entité, d’un produit financier ou d’un service financier ».
En d’autres termes, la notion de greenwashing décrit des activités ou campagnes présentant des produits financiers individuels, des entreprises dans leur globalité ou des stratégies d’investissement sous un angle ‘vert’ afin de donner l’impression que les entités ou leurs véhicules d’investissement opèrent d’une manière particulièrement respectueuse de l’environnement, éthique et équitable, même si cela est objectivement incorrect. Que ces pratiques de greenwashing soient imposées ou volontaires, elles sont soumises à des risques réglementaires et peuvent entraîner des sanctions susceptibles d’affecter lourdement la réputation de l’acteur du marché accusé d’infraction.
Le présent article se limite au rapport de l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) (le rapport de l’AEMF) axé sur les gestionnaires d’investissement. Si le greenwashing est généralement considéré comme un acte délibéré, il peut aussi être la conséquence involontaire de données incomplètes ou d’une terminologie nouvelle et mal maîtrisée. Les gestionnaires d’investissement doivent, à cet égard, intégrer des contrôles à leur cadre global de gestion des risques. Les paragraphes suivants présentent les conclusions de l’AEMF en la matière.
Conclusions de l’AEMF
L’AEMF évalue quels sont les domaines de la chaîne de valeur des investissements durables (SIVC) les plus exposés aux risques de greenwashing. Pour les gestionnaires d’investissement, les domaines à haut risque concernent les éléments de durabilité tels que les allégations d’impact, les déclarations sur des engagements avec des sociétés bénéficiaires, la stratégie ESG du gestionnaire de fonds et les références ESG (par ex. les labels, notations et certifications ESG), les noms de fonds trompeurs et les affirmations trompeuses en matière de gouvernance ESG. L’usage fréquent du terme « durable » dans les noms de fonds est considéré comme un problème majeur, ce terme ne se limitant pas spécifiquement à l’ESG mais constituant plutôt une qualification plus générale. Même les fonds n’étant pas soumis aux articles 8 et 9 du SFDR incluent des termes comme « durable » ou « croissance durable » dans leur nom. La raison de ce phénomène est que les clients, en particulier les investisseurs institutionnels, exigent des produits durables au sens pur du terme. Mais si les acteurs des marchés financiers ne sont pas en mesure de les fournir, ils feront parfois illusion afin de répondre aux attentes et se démarquer de leurs concurrents. De nombreuses études menées par l’Alliance mondiale pour l’investissement durable (Global Sustainable Investment Alliance) montrent une hausse considérable du nombre de produits se prétendant durables.
L’autorité de surveillance financière luxembourgeoise, la CSSF, a également identifié cette problématique comme étant majeure. La CSSF a publié, le 13 mars 2023, une FAQ actualisée sur le SFDR rappelant aux acteurs des marchés financiers que les informations requises doivent être facilement accessibles, simples, équitables, claires et non trompeuses. Cela s’applique également aux noms de fonds. Par conséquent, ces noms ne doivent pas être trompeurs, et l’indication de caractéristiques durables doit être proportionnelle à l’application effective de ces caractéristiques au fonds. Des termes tels qu’« ESG », « vert », « durable », « impact » et autres termes liés aux ESG ne doivent être employés que s’ils sont étayés par des preuves matérielles de caractéristiques durables.
Concernant les allégations liées à la stratégie (par exemple, affirmer qu’un fonds vise des objectifs durables), le rapport de l’AEMF fait en outre état d’« un manque d’engagement et de spécificité concernant les caractéristiques ou les objectifs durables des produits financiers du SFDR ». Les informations précontractuelles comportent des références à un « nombre excessif d’objectifs ou de caractéristiques durables promus par un fonds donné sans aucun engagement précis à leur égard ».
Greenwashing
Dans le même temps, l’AEMF constate que certaines dispositions du SFDR sont perçues comme vectrices de greenwashing, par exemple le manque de clarté de certains concepts, en particulier le test « SFDR-DNSH » (do no significant harm) (article 2 para 17 du SFDR), pour lequel les critères sont insuffisamment clairs. En outre, le niveau élevé de flexibilité et l’absence de seuil dans la définition de « contribution à un objectif durable » du SFDR peuvent, selon l’AEMF, conduire à des « degrés d’ambition variables » pour les investissements durables relevant de l’article 9 du SFDR. Actuellement, le SFDR, censé réglementer la publication d’informations, s’avère faire office de système d’étiquetage construit autour de ses articles 6, 8 et 9. L’usage de termes tels que « produits bruns », « produits verts clairs » et « produits verts foncés » doit être découragé car il est considéré comme un usage abusif des classifications du SFDR.
Le rapport de l’AEMF suggère comme mesure corrective préliminaire que les acteurs du marché, dans l’ensemble de la SIVC, prennent leurs responsabilités en matière d’allégations corroborées et communiquent de façon équilibrée sur le développement durable, sans exagérer leurs normes écologiques. Les informations sur la durabilité communiquées aux investisseurs particuliers doivent être améliorées afin d’être plus compréhensibles.
Sur la base des conclusions du rapport de l’AEMF et des rapports correspondants des deux autres AES, l’Union européenne prendra certainement des mesures pour rendre le cadre réglementaire plus résistant au greenwashing. Cela représentera inévitablement une immense charge administrative et technique additionnelle pour les gestionnaires d’investissement. Le secteur financier comme les consommateurs bénéficieront en revanche de conditions de concurrence plus équitables. Une surveillance assidue, menée par les gestionnaires d’investissement, d’une documentation complète sur les fonds établissant des liens explicites entre noms, objectifs et stratégies de ces derniers et étayée par des politiques clairement définies et exhaustives à l’échelle des entreprises est essentielle en vue d’atténuer le risque de greenwashing. Les premiers efforts significatifs à cet égard peuvent d’ores et déjà être observés dans certaines juridictions de l’UE, par exemple au Luxembourg, qui montre la voie en matière d’investissements ESG avec des organismes gouvernementaux menant des initiatives telles que, le Sustainable Finance Agenda, qui a conduit à la création de la Luxembourg Sustainable Finance Initiative. Cette initiative vise à orienter le secteur financier vers le développement durable, et cela inclut la lutte contre les comportements trompeurs comme le greenwashing.
L’AFM, l’autorité de surveillance néerlandaise, s’est également déclarée favorable à l’introduction d’une réglementation européenne pour les fournisseurs de notations ESG, de données ESG et de services connexes, et a préconisé des exigences minimales et une supervision au niveau européen. D’autre part, l’AFM a souligné le risque que des exigences trop strictes en matière de reporting aboutissent à une surcharge d’informations empêchant le destinataire de distinguer les points principaux des points secondaires. En outre, des réglementations complexes compliqueraient la tâche des auditeurs et des autorités de contrôle en matière d’audits et de mise en application. Un tel scénario ne ferait que renforcer le risque de greenwashing et irait à l’encontre de toutes ces bonnes intentions.
Tom Loonen est professeur de droit financier à l’Université d’Amsterdam et special counsel chez Pinsent Masons PLC Pays-Bas, tandis que Jan Saalfrank est partenaire de fonds d’investissement de Pinsent Masons PLC Luxembourg. Le cabinet d’avocats est un nouveau partenaire de connaissance d’Investment Officer.