La règlementation se durcit et impose des mesures et rapports toujours plus précis sur l’impact environnemental des entreprises et investissements (le E de ESG). Mais qu’en est-il de la politique sociale et de la bonne gouvernance (respectivement S et G) ? Sont-elles, elles aussi, soumises à des règles univoques ?
Les scores ESG sont avant tout des scores de risque pour les entreprises. L’effet externe de l’impact environnemental est désormais une évidence. Quels risques financiers une entreprise court-elle en cas de mauvais score sur le facteur de durabilité E ?
Pour les deux autres composantes des scores ESG, à savoir la politique sociale et une bonne gouvernance, les choses semblent en revanche moins évidentes. Quel est l’impact sur la société d’un CEO qui perçoit un bonus exorbitant ? Et est-ce là, ou non, le signe d’une gestion saine ? Si cette question mérite assurément de faire l’objet d’un débat social, elle est tout de même moins objective que l’émission d’une tonne de CO2. Pourtant, il n’est pas si difficile, pour les facteurs S et G, d’obtenir des scores pertinents.
S de social
Les scores sociaux dépendent entre autres de la façon dont les consommateurs évaluent le comportement d’une entreprise. Walmart a fortement grimpé dans les classements ESG après que l’annonce de l’arrêt de la vente de certains types de munitions. Outre les éventuels points politiques que cette mesure aurait pu rapporter après des fusillades controversées - dont deux dans des magasins de la chaîne -, elle a également amoindri le risque de réputation de l’entreprise.
S&P Global Market Intelligence a constaté qu’en moyenne, les gens allaient davantage faire leurs courses chez Walmart depuis l’annonce de ce changement de politique. Les événements géopolitiques relèvent également de la catégorie sociale des investissements ESG. Rien de surprenant, donc, à ce qu’il s’agisse d’un important élément d’évaluation pour les sociétés pétrolières et gazières. Les principaux pays exportateurs de pétrole et de gaz ne sont généralement pas les plus démocratiques, à l’image notamment de l’Arabie saoudite ou de la Russie.
La politique du travail, par exemple, constitue un facteur moins neutre de l’évaluation sociale. Prenons l’exemple de la représentation syndicale. Du point de vue des risques, l’évaluation d’un fournisseur de données ESG américain sera différente de celle d’un homologue européen.
L’Europe possède une longue tradition de concertations syndicales et de conventions collectives de travail. Les évaluateurs de durabilité européens considèreront assurément une délégation syndicale forte comme une possibilité de compromis, tandis que leurs homologues américains la relieront au risque de salaires plus élevés et de préavis de grève. En fonction du fournisseur de données choisi, une entreprise obtiendra donc des scores différents sur le facteur S, qu’il conviendra ainsi de lire avec un œil critique.
G de gouvernance
Une enquête de Morningstar Sustainalytics menée auprès de plus de 500 spécialistes du développement durable d’entreprises révèle que 46 % des répondants considèrent la gouvernance comme l’aspect le moins important de leurs efforts en matière d’ESG. Les données relatives à la gestion des entreprises sont pourtant collectées depuis bien plus longtemps que celles portant sur leur politique sociale ou environnementale. Les critères d’une bonne gestion et leur classification ont été largement discutés et acceptés. Des chercheurs de Harvard ont par exemple créé, dès 2003, un Governance Index (G-Index).
Par ailleurs, le lien entre bonnes pratiques de gouvernance et bonnes performances d’une entreprise est lui aussi bien documenté. Une enquête de S&P Global Market Intelligence a révélé que les entreprises comptant plus de femmes enregistraient de meilleures performances financières que celles présentant moins de diversité. Les organisations dont la direction était composée à 75 % ou plus de personnes blanches risquaient quant à elles d’accuser un retard en matière de réputation et performances financières.
Les autorités de surveillance américaines et britanniques exigent des entreprises cotées en Bourse qu’elles fassent régulièrement voter à leurs actionnaires les salaires de leurs administrateurs. Aux États-Unis, les entreprises ont même, à présent, l’obligation de publier le rapport entre la rémunération de leur CEO et celle de leur employé moyen.
Les rémunérations sont en outre, elles aussi, soumises à des divergences d’ordre culturel. D’après l’Economic Policy Institute, en 2022, le CEO d’une entreprise du S&P 500 gagnait en moyenne 344 fois plus qu’un employé. À titre de comparaison, en Allemagne, son salaire aurait été seulement 136 fois plus élevé. Tout dépend simplement de ce qui est considéré comme « normal », surtout quand on sait que, selon cette même étude, le ratio américain en 1989 n’était encore que de 45 contre 1.
Inapproprié
Qu’il s’agisse de mesurer l’aspect social ou administratif d’une entreprise pour l’élaboration de rapports ESG, le nombre de critères objectifs employables est plus que suffisant. Leur interprétation demeure néanmoins une donnée culturelle et sociale, et cette unité dans la diversité ne semble pas pouvoir être éliminée par la règlementation. Cette aspiration serait par ailleurs inappropriée.
Dans une série d’articles, Investment Officer se penche sur la complexité des scores ESG. Dans la première partie, nous nous sommes intéressés à l’absence de normes et aux divers scores ESG existant pour une même entreprise. Un deuxième article a quant à lui abordé la rigueur accrue des rapports mesurant l’impact d’une entreprise sur l’environnement, et inversement.
Le prochain article clora cette série par une conclusion générale.