‘Emprunter le chemin étroit’ est une expression utilisée par les banquiers centraux désignant la nécessité de trouver un fragile équilibre entre maîtriser l’inflation et ne pas plonger l’économie dans l’abîme. La difficulté accrue de cette tâche est apparue vendredi.
Les investisseurs qui tablaient sur un revirement de la politique monétaire et le ‘business as usual’ en sont pour leurs frais. Lors du symposium de Jackson Hole la semaine dernière, les banquiers centraux ont délivré à l’unanimité un message hawkish en faveur de la poursuite du resserrement/de la normalisation de la politique monétaire dans un proche avenir. Les gouverneurs des banques centrales du Royaume-Uni, de la Suisse, du Japon, de la Corée ainsi que plusieurs membres de la BCE n’ont laissé aucun doute possible : la lutte contre l’inflation constitue la priorité.
Concrètement, cela signifie que la série de relèvements des taux d’intérêt n’est pas encore terminée, que des hausses encore plus importantes sont en préparation et que l’économie pourrait bien se retrouver dans une récession majeure. Les investisseurs semblent avoir rayé l’expression ‘atterrissage en douceur’ de leur vocabulaire.
Cela a entraîné vendredi soir des pertes de cours substantielles de jusqu’à 4 % à Wall Street. Lundi matin, les contrats à terme de Wall Street sont également profondément dans le rouge. Le Japon et l’Europe ont également enregistré des pertes.
Un relèvement des taux d’intérêt de 75 points de base en septembre semble maintenant constituer une quasi-certitude. Pour de nombreux investisseurs, malgré la préparation psychologique qui avait cours depuis des mois, les déclarations de vendredi ont été une surprise. Un retour à la situation depuis 2008, avec une politique monétaire ultra-accommodante, des mesures d’assouplissement quantitatif incessantes et de l’argent bon marché, semble désormais définitivement derrière nous.
Cela se manifeste également dans l’évolution des taux d’intérêt. Après les déclarations très hawkish de Powell, les taux d’intérêt américains à deux ans ont atteint leur plus haut niveau depuis 2007. Aux États-Unis, les taux d’intérêt à deux ans affichent maintenant 3,46 %, soit le niveau le plus élevé depuis novembre 2007, la période précédant la grande crise financière de 2008-2009. Il s’agissait alors littéralement d’une autre époque.
Catch 22
La conséquence du ‘chemin étroit’ que doivent emprunter les banquiers centraux est que de nombreux pays, collectivités et entreprises endettés connaîtront encore plus de difficultés dans les années à venir. Beaucoup d’investisseurs redoutent que si les banquiers centraux suppriment les bouées de sauvetage, nombre d’entreprises et collectivités ne seront plus en mesure de faire face à leurs obligations financières. Cela fera également grimper les taux de chômage, surtout en Europe, déjà extrêmement vulnérable en raison de sa situation énergétique précaire.
Frank Vranken, Chief Strategist chez Edmond de Rothschild Europe, affirme clairement que nous ne devons pas nous attendre à une baisse des taux dans un proche avenir. « Les marchés avaient pourtant tablé sur des baisses des taux d’intérêt entre mars et décembre de l’année prochaine. En d’autres termes, il ne semble pas qu’il y aura un pivot de la Fed. » Selon Vranken, la Fed reste dépendante des données, mais veut à tout prix éviter de répéter les erreurs des années 70, qui avaient déclenché une spirale inflationniste. « À l’époque, les hausses de taux d’intérêt avaient été arrêtées trop tôt, ce qui avait permis une reprise de l’inflation et généré par suite une situation encore plus désastreuse.
BCE
Quand il pleut aux États-Unis, il pleuvine en Europe. Quelle que soit la vigueur de l’action de la Fed, la BCE continue de traîner. Selon Vranken, cela ne peut pas durer. « Une hausse des taux de 50 points de base semble maintenant un minimum lors de la réunion du 8 septembre. Les marchés à terme tablent désormais sur des hausses de taux de 120-130 points de base pour la fin de cette année. Cela pourrait bien être le cas », conclut Vranken.
Leadership
Vranken affirme qu’il est trop tôt pour commencer à pêcher le fond sur les marchés dans cette situation. Philippe Gijsels, Chief Strategy Officer chez BNP Paribas Fortis, s’intéresse aux secteurs qui pourraient prendre le leadership sur un nouveau marché haussier. Il les identifie par leur force relative et leur évolution technique. « La santé, les biotechnologies et les énergies alternatives, en particulier l’énergie solaire, présentent une force relative. Ces secteurs pourraient entraîner un nouveau mouvement haussier. »
Conclusion : le chemin étroit va encore se rétrécir. Les investisseurs qui tablaient sur un ‘business as usual’ devront probablement revoir leur opinion.