Pourquoi les actions des marchés émergents sont-elles systématiquement sous-performantes, et cela va-t-il s’améliorer un jour ? Nous avons posé la question à Nicholas Field, un vieux briscard du métier à la barre du Global Emerging Market Opportunities Fund de Schroders depuis 2007.
Que ce soit à un, trois, cinq ou dix ans, les actions des marchés émergents sont non seulement beaucoup moins performantes que les actions américaines, mais aussi incapables de suivre les actions européennes. Et ce, alors que la volatilité des marchés émergents est généralement beaucoup plus élevée.
Field épingle d’abord le vent contraire externe qui, selon lui, a particulièrement touché les actions des marchés émergents, tout comme la vigueur du dollar et les hausses de taux d’intérêt de la Fed de ces dernières années. « Un dollar fort est mauvais pour toutes les actions non américaines, et en particulier pour les actions des marchés émergents. Comme le dollar est la monnaie de réserve mondiale, un dollar fort fait grimper les coûts de financement des entreprises », explique Field.
En effet, le dollar s’est fortement apprécié au cours des dix dernières années. La monnaie américaine n’a baissé qu’en 2017 et, de fait, les actions des marchés émergents ont surperformé les actions américaines et mondiales cette année-là.
Guerre commerciale
Mais la guerre commerciale sino-américaine a ensuite éclaté, provoquant une nouvelle hausse du dollar qui a placé les actions des marchés émergents dans la ligne de mire. En effet, la plupart des entreprises des marchés émergents ont alors dû se concentrer principalement sur leur marché national et souffrent de la guerre commerciale.
« La guerre commerciale est l’une des principales raisons pour lesquelles les actions des marchés émergents ont été moins performantes ces deux dernières années. Nous sommes maintenant confrontés à une récession industrielle, et la guerre commerciale en est certainement l’une des principales causes », estime Field. « La guerre commerciale a également un impact sur les stocks des entreprises, par exemple. On constate que certaines entreprises constituent d’énormes stocks afin d’anticiper l’introduction de tarifs commerciaux, et les réduisent par la suite. Et l’incertitude qui règne sur le plan commercial entraîne également une baisse des investissements. »
La vigueur du dollar et la guerre commerciale n’ont pas facilité les choses pour les actions des marchés émergents, mais ne peuvent suffire à expliquer 10 ans de sous-performance presque continue, reconnaît également Field.
Risque ESG
Comparativement à leurs homologues des marchés développés, les entreprises des marchés émergents sont relativement souvent mal gérées. Une étude récente de Sustainalytics a confirmé une fois de plus que les sociétés de l’indice EM ont encore un risque ESG beaucoup plus élevé que les actions des marchés développés.
« Dans l’ensemble du spectre EM, on trouve des entreprises confrontées à des problèmes de gouvernance », explique Field. « Cependant, il est difficile de déterminer dans quelle mesure de mauvais scores ESG expliquent la sous-performance. Ce n’est pas si simple. Néanmoins, il est certain que ces problèmes ESG seraient moins perceptibles pour les investisseurs si ces entreprises continuaient à obtenir d’excellents résultats financiers. Si, par exemple, ceux-ci sont moins bons en raison de la guerre commerciale, on pinaille et ces entreprises sont doublement punies. »
Cette année, les actions des marchés émergents sont de nouveau en bonne position, mais leur performance reste inférieure à celle des marchés développés. Field : « Normalement, les marchés émergents auraient dû faire un peu mieux cette année, mais la production industrielle y reste néanmoins relativement importante. Le ralentissement de cette année, dû en partie à la guerre commerciale, a frappé les marchés émergents de plein fouet. À cet égard, ceux-ci peuvent être comparés à l’Allemagne, qui est également restée à la traîne cette année. »
Malgré les baisses de taux d’intérêt de la Fed, le dollar a également continué à s’apprécier cette année, notamment en raison de la guerre commerciale. En ce qui concerne le dollar, Field est optimiste : « Les baisses de taux d’intérêt de la Fed devraient tout de même avoir un effet sur la vigueur du dollar l’année prochaine. »
It’s the technology, stupid
Mais pour arriver à une surperformance des marchés émergents, il faut plus que cela. « En tout cas, une trêve dans la guerre commerciale », déclare Field. Cependant, il doute que celle-ci intervienne. « Jusqu’à présent, Trump a simplement fait beaucoup de bruit. Il est obsédé par les déficits commerciaux et les droits d’importation, et ne semble pas faire grand-chose en vue d’un accord. »
Cependant, quel que soit celui qui siégera à la Maison-Blanche après 2020, le conflit entre l’Amérique et la Chine se poursuivra de toute façon, estime Field. « Il existe un large consensus dans la politique américaine pour refuser l’accès à la technologie américaine aux entreprises chinoises. »
Field estime que le conflit sino-américain a 30 % de risques d’aboutir à la création de deux mondes parallèles dans le domaine de la technologie. « Si nous allons dans cette direction, les chaînes d’approvisionnement mondiales seront démantelées. Cela entraînera une nouvelle baisse du commerce mondial et une période de rendements négatifs. On constate déjà qu’en raison de l’incertitude, les entreprises investissent moins et, dans certains cas, réorganisent déjà leurs chaînes d’approvisionnement. Huawei, par exemple, essaie de devenir complètement indépendante de la technologie américaine. »
Mais même si ce scénario négatif devient réalité, ce n’est pas la fin du monde. Dans ce cas, les investisseurs devront serrer les dents. « Le démantèlement des chaînes d’approvisionnement peut être suivi par une période de forte rentabilité, car les entreprises qui restent ont un pouvoir de fixation des prix plus important [en raison de la baisse de la concurrence]. »