Le professeur Olivier Scaillet (photo) de l’Université de Genève et du Swiss Finance Institute a récemment présenté les résultats d’une étude approfondie sur les mérites des gestionnaires actifs. Il est cette année titulaire de la Chaire International Francqui Professor, avec le professeur Kris Boudt en tant que coordinateur des différents groupes de recherche en finance en Belgique (UCL, UGent, ULB, ULiège, UNamur et VUB). Ne rayez pas trop rapidement les gestionnaires actifs, telle est leur conclusion.
Investment Officer a bénéficié d’un entretien exclusif avec les deux professeurs. Scaillet : « La première conclusion de notre étude sur les fonds américains est que 65 % des gestionnaires actifs obtiennent de moins bons résultats qu’un indice, après déduction des frais. Les 5 % les moins bons obtiennent même des résultats inférieurs plus de 2,7 points de pourcentage par an, tandis que les 5 % les plus performants obtiennent des résultats supérieurs d’au moins 1,7 point de pourcentage par an.
Si l’on considère les petites capitalisations américaines, les chances de succès augmentent. Les 5 % de gestionnaires les plus performants dans cette catégorie obtiennent des résultats supérieurs de plus de 3,1 points de pourcentage par an. »
Grandes capitalisations
Selon Scaillet, les chances de surperformance dans la gestion des fonds d’actions américaines de grande capitalisation sont ‘très faibles’. Les performances moyennes sont de -1 %. Après déduction des frais, pas moins de 85 % des gestionnaires font moins bien que le benchmark. Seuls 14,4 % ont un alpha positif. Dans le cadre de notre étude, nous avons analysé 2000 fonds individuels sur une période d’une trentaine d’années, à savoir de janvier 1979 à 2018. Nous avons examiné uniquement les gestionnaires d’actifs basés aux États-Unis. Nous avons également filtré l’effet des facteurs et, en plus de l’alpha, avons examiné la taille, la valeur et le momentum. »
Alpha brut
Le professeur Boudt affirme que ces derniers temps, le monde universitaire s’intéresse de plus en plus à l’alpha brut, c’est-à-dire aux frais, afin de pouvoir évaluer les mérites des gestionnaires actifs. « Cela permet de mieux évaluer si les gestionnaires sont talentueux et s’ils peuvent apporter une valeur ajoutée. Auparavant, la situation était trop négative. En effet, l’alpha net est contaminé par les frais. »
L’étude de Scaillet divise donc l’alpha brut en un ‘first dollar alfa’ et l’alpha restant. « Le ‘first dollar alfa’ examine le rendement qu’un gestionnaire peut générer dans un monde idéal. En tant que gestionnaire, vous pouvez bien entendu passer à l’échelle supérieure et gérer davantage d’argent, mais l’alpha diminuera à mesure que les actifs sous gestion augmenteront. « Nous mesurons cela dans la deuxième partie de l’alpha brut. Nous examinons ici les contraintes de capacité auxquelles sont confrontés les gestionnaires et qui réduisent l’alpha brut. »
Scaillet : « L’étude montre qu’il existe deux stratégies : les administrateurs qui ont de bonnes idées mais ont du mal à passer à l’échelle supérieure, et ceux qui passent à l’échelle supérieure, mais ‘diluent’ progressivement leurs bonnes idées. Lorsque vous commencez à investir dans les grandes capitalisations, il est plus facile de passer à l’échelle supérieure, mais plus difficile de générer le ‘first dollar alfa’ mentionné plus haut. Vous avez du talent soit pour les idées, soit pour le passage à l’échelle supérieure, mais il est difficile d’en avoir pour les deux. »
Attention à la croissance des fonds de petites capitalisations
Le professeur Scaillet lance un autre avertissement concernant les investissements dans les fonds d’actions à petite capitalisation : « Lorsque vous constatez que les flux entrants dans ce type de fonds augmentent fortement, un certain nombre de signaux d’avertissement doivent être envoyés à l’investisseur. Lorsqu’ils augmentent trop la taille de leur portefeuille, les gestionnaires deviennent moins sélectifs et n’incluent plus uniquement leurs meilleures idées dans leur portefeuille, mais, au fil du temps, également les moins mauvaises. Ils sont obligés de le faire car les flux entrants sont tout simplement en forte augmentation. Il faut être prudent à ce sujet. Cela peut également bien se dérouler, mais le fonds doit alors être capable de passer d’innovateur de produit à innovateur de processus. »
Valeur ajoutée
Scaillet : « Dans cette étude, nous n’avons pas seulement examiné l’alpha, mais aussi les actifs sous gestion. Pour obtenir une image correcte, nous devons en effet multiplier l’alpha par les actifs sous gestion, selon le paramètre économique du prix multiplié par la quantité. Cela donne une meilleure image du potentiel de surperformance d’un gestionnaire actif. En effet, vous commencez comme innovateur de produits, puis devenez innovateur de processus. »
Scaillet : « Les réglementations poussent plutôt les investisseurs vers les très grands fonds, ce qui est moins bon pour les fonds boutique. Mais ils ont aussi une grande valeur ajoutée. Pour le client, il est probablement préférable de rester petit en tant que gestionnaire d’actifs. »
Pas la fin
Enfin, les deux professeurs soulignent que l’essor de la gestion passive ne signifie pas la fin de la gestion active. « La gestion active n’est pas morte. Il existe encore de nombreux gestionnaires actifs talentueux. Il suffit de regarder correctement, c’est pourquoi le monde universitaire s’est plutôt tourné vers une analyse de l’alpha brut. Il est possible que les frais de la gestion active diminuent, et la situation sera alors directement très différente, et nettement plus positive. »