Pourquoi a-t-elle quitté précipitamment Londres dans une voiture pleine de vin et d’argenterie ? Après plus de 30 ans de carrière à la City, qu’est-ce que cela fait de monter une start-up à Bruxelles ? Et comment se fait-il qu’elle ait reçu Roman Abramovitch et Robbie Williams ? Rie Sordo-De Cock, fondatrice de la fintech Scudi, partage son histoire dans une nouvelle édition de notre podcast Le Miroir.
Scudi est une plateforme permettant aux employés de recevoir anonymement jusqu’à la moitié de leur salaire sous forme d’acompte. « Dans les pays anglophones, il est très courant de recevoir un acompte sur salaire, mais cela se fait souvent par le biais d’un crédit pour les employés qui ont besoin urgemment de leur argent, avec pour conséquence des intérêts élevés. Cela ne me paraît pas responsable du point de vue déontologique. Je voulais donc faire les choses autrement. Chez Scudi, l’employeur conclut un contrat pour tous ses employés, et la plateforme lui facture des frais d’abonnement », explique Rie Sordo-De Cock.
La plateforme a jusqu’à présent été testée par quatre entreprises en Allemagne. Elle est actuellement utilisée par une entreprise en Italie et un secrétariat social en Belgique. « Nous sommes encore une vraie start-up. Nous avons investi beaucoup d’argent, essentiellement des fonds propres, et bénéficié du soutien de nos familles et amis. Nous sommes actuellement occupés à lever 1 million de livres sterling en Angleterre. Nous avons terminé les grands travaux de développement ; cet argent sera donc essentiellement destiné à renforcer notre marketing et nos ventes. Pour l’heure, nous travaillons à perte, mais nous ambitionnons d’être rentables d’ici 18 mois », assure Rie Sordo-De Cock.
Bruxelles vs Londres
L’idée de Scudi est née pendant la crise du Covid. Rie Sordo-De Cock était alors déjà revenue en Belgique pour s’occuper de sa mère. « Ma mère a toujours raconté à tout le monde que les finances étaient mon fort et que je pouvais aider des personnes qui en avaient besoin. J’ai donc souvent discuté avec des gens en proie à des difficultés financières, et j’ai bien vu combien de personnes se sont retrouvées sans économies ni réserve financière du fait de la pandémie. Cela m’a donné à réfléchir. »
Mais lancer une start-up à Bruxelles n’était pas si évident, surtout après avoir passé la majeure partie de sa carrière à Londres. « Je ne connaissais personne en Belgique, ce qui n’aide pas. J’ai également remarqué que les start-ups étaient trop peu soutenues en Belgique. Dans la culture anglo-saxonne, on est bien plus prêt à investir dans les start-ups qu’ici. »
New York, Milan et Londres
S’il y a une chose dont Rie Sordo-De Cock ne manque pas, c’est bien d’expérience dans le secteur financier. Elle a étudié l’économie à la KU Leuven et obtenu son diplôme en 1981. Sa thèse portait sur la standardisation des options sur portefeuilles d’actions, un concept naissant à l’époque. Ce choix avant-gardiste a attiré l’attention d’E.F. Hutton. Elle a reçu une proposition d’emploi et déménagé à New York.
Au milieu des années 80, elle est ensuite partie pour Milan, mais est vite revenue en Belgique après le décès inattendu de son père. Elle a brièvement travaillé dans notre pays, jusqu’à ce qu’un chasseur de têtes la remarque. C’est par son biais qu’en 1987, elle a commencé à travailler à Londres, plus précisément chez ICAP, un intermédiaire pour les transactions et contrats interbancaires. Elle y est restée jusqu’en 1994, puis est partie en Suisse pour travailler pour l’ancien Cedef Capital Services.
« J’avais déjà ma fille à l’époque, mais mon mari avait une entreprise à Londres. Pendant ces quatre années en Suisse, j’ai fait la navette continuellement : une semaine en Suisse, une semaine à Londres. » À Londres, elle s’occupait du financement de projets en énergies alternatives, notamment via sa propre entreprise de conseil.
Adrénaline
Rie Sordo-De Cock a travaillé à Wall Street et à la City dans les années 80 et 90. « Les gens se font une certaine idée de cette période, et je peux vous l’affirmer : rien de ce que vous avez entendu n’est exagéré. C’était un monde plein d’adrénaline. On pouvait gagner ou perdre beaucoup d’argent en quelques secondes. Il y avait énormément de stress. À mon époque, les gens ne prenaient pas de drogues, mais buvaient beaucoup le soir venu. Et toutes les femmes qui réussissaient dans ce monde avaient un fort caractère.
Ce que j’ai vécu me permet de bien comprendre le mouvement Me Too, bien qu’il me semble que les choses soient entretemps allées trop loin. La réalité reste néanmoins que la finance est et demeure un monde d’hommes. On trouve toujours trop peu de femmes dans les comités de direction. »
Roman Abramovitch et Robbie Williams
À Londres, la fondatrice de Scudi ne s’occupait pas que de finance. Elle a également tenu un établissement traiteur italien exclusif avec son mari Renzo. Parmi ses clients réguliers figuraient notamment Roman Abramovitch, Claudia Schiffer, John Cleese et Robbie Williams. Le couple s’occupait aussi du catering pour les VIP du club de football de Chelsea.
L’établissement a été vendu lorsque Renzo a atteint l’âge de la pension. « Nous réfléchissions depuis quelque temps déjà à quitter Londres. Nous habitions au cœur de la ville, et cela commençait à nous déplaire. C’était devenu extrêmement fréquenté. Il était quasiment impossible de se promener tranquillement dans la rue. Je me souviens d’une fois où mon mari et moi avions envie de manger quelque chose de bon, mais ne parvenions pas à trouver de taxi. Nous avons alors pris le métro, mais même à 23h, celui-ci était bondé. Ce n’était plus agréable. Pendant un repas de Noël, en décembre 2019, nous avons décidé de déménager, et avons mis notre maison en vente dans le mois qui suivit. Nous avions pour projet de partir en Italie. »
Confinement
Rie Sordo-De Cock n’a donc jamais eu l’intention de rester vivre en Belgique. Le 17 mars 2020, au début de la crise sanitaire, sa fille lui envoie un message sur WhatsApp : « Maman, à mon avis, tu dois sauter dans la voiture et partir pour la Belgique. Le pays sera confiné ce soir à minuit », disait le message. « Il était quatre heures de l’après-midi. Je savais que je devais aller en Belgique pour ma mère, qui avait déjà plus de 90 ans et une santé fragile. Je suis directement allée à la cuisine pour rassembler l’argenterie, les bijoux et les meilleures bouteilles de vin. Mon mari et moi sommes tous deux partis dans nos voitures. Cette nuit-là, nous avons été les derniers à traverser la frontière. »
Le confinement en Belgique a duré bien plus longtemps que prévu, et Rie et son mari sont finalement restés dans le pays. « Il a fallu s’adapter à la vie en Belgique ; c’est d’ailleurs toujours le cas. Il est plus difficile de s’y implanter. Beaucoup de nos amis à Londres ont quitté la ville et vivent à présent ailleurs, à l’étranger. Avant, nous avions l’habitude d’être toujours entourés d’amis. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Heureusement, j’ai encore ma famille, mais ce n’est plus la même chose. »