Pour Sandro Pierri, CEO de BNP Paribas Asset Management et président de l’EFAMA, l’association européenne de gestion d’actifs, les sociétés de fonds européennes sont confrontées à un quadruple défi : la fragmentation des marchés, la fuite des capitaux vers les États-Unis, les changements démographiques et une transformation radicale du secteur.
Lors de l’Investment Management Forum à Bruxelles, Sandro Pierri a affirmé que face aux défis qu’ils rencontrent, les gestionnaires d’actifs doivent respecter leur devoir fiduciaire envers les clients tout en s’adaptant aux transformations fondamentales du secteur. « La belle époque des vingt dernières années, marquée par une croissance indifférenciée alimentée par de fortes entrées de capitaux et de solides rendements de marché, est révolue. Dans le même temps, nous assistons à un changement dans les choix des investisseurs », a-t-il déclaré.
Le devoir fiduciaire avant les objectifs économiques
Sandro Pierri a insisté sur le fait que les intérêts des clients doivent toujours primer, même si cela va à l’encontre d’objectifs économiques plus larges en Europe. « Notre devoir fiduciaire consiste à offrir à nos clients le meilleur rendement possible, ajusté au risque. C’est notre responsabilité première », a-t-il déclaré à Investment Officer.
Plusieurs grandes sociétés de fonds, dont Amundi et DWS, ont récemment attiré l’attention sur l’ampleur des sorties de capitaux depuis l’Europe vers les marchés américains. Selon un rapport de Bruxelles, environ 300 milliards d’euros d’épargne européenne sont transférés chaque année vers les États-Unis.
La fragmentation nuit à la compétitivité
Si l’Europe est en retard, c’est en premier lieu du fait de la fragmentation de ses marchés financiers. Contrairement au marché américain, qui bénéficie d’économies d’échelle grâce à sa vaste économie intégrée ainsi qu’à une solide culture de l’investissement en actions, les marchés européens restent très segmentés.
« Cela a permis aux sociétés de gestion américaines de capitaliser sur ces économies d’échelle et de devenir des leaders mondiaux », a expliqué Sandro Pierri. « En Europe, nous n’y sommes pas encore. La fragmentation du marché demeure un obstacle majeur. »
Cette fragmentation engendre un cercle vicieux : les investisseurs privilégient les actions américaines en raison de leurs performances supérieures, ce qui renforce encore la liquidité et les valorisations sur ces marchés, tout en réduisant le coût du capital pour les entreprises américaines. Ces dernières utilisent cet avantage pour se développer à l’international, souvent en acquérant des concurrents européens.
Acquisition d’AXA IM
Avec son projet d’acquisition d’AXA Investment Managers pour un montant de 5,1 milliards d’euros, BNP Paribas cherche à renforcer sa position en tant qu’acteur mondial de la gestion d’actifs. Une fois la transaction finalisée, le groupe vise un encours sous gestion de 1500 milliards d’euros d’ici 2025.
Bien que Sandro Pierri n’ait pas souhaité commenter l’acquisition, il est clair que BNP Paribas mise sur une stratégie visant à accroître les économies d’échelle. « La création d’un marché moins fragmenté permettra de poser les bases nécessaires pour rendre les gestionnaires d’actifs européens plus compétitifs », a-t-il commenté.
Bombe à retardement démographique
Au-delà des défis structurels, l’Europe fait face à une crise démographique. La baisse du taux de natalité et le vieillissement de la population freinent la croissance du PIB à long terme. Les sociétés de fonds européennes ont donc plus de difficultés à générer des rendements durables.
« Nous avions l’habitude de prendre pour postulat une croissance démographique constante, mais nous nous dirigeons désormais vers un scénario où la population mondiale atteint son pic », a averti Sandro Pierri. Même en Chine, la population atteindra un plafond, avec des répercussions majeures sur la croissance à long terme du PIB. »
Réformes porteuses d’espoir
Malgré les défis, Sandro Pierri perçoit des opportunités pour renforcer la compétitivité de l’Europe. Il a salué les récents efforts de la Commission européenne visant à développer une union pour l’épargne et de l’investissement ainsi que les initiatives visant à simplifier les cadres réglementaires et à renforcer les marchés boursiers, qu’il a qualifiés de « prometteurs ».
Tanguy van de Werve, directeur général de l’EFAMA, a souligné le rôle clé des fonds de pension en tant que levier essentiel de changement. « Grâce à leur vision à long terme, les fonds de pension et les assureurs peuvent jouer un rôle majeur dans le capital-investissement et d’autres investissements stimulant la croissance économique », a-t-il déclaré.
Urgence
D’autres CEO, comme Joseph Pinto, chez M&G, ont insisté sur la nécessité de mettre des réformes en œuvre rapidement. « Il est urgent que les pays européens rendent leurs marchés plus compétitifs », a -t-il déclaré. « Nous devons nous inspirer du Royaume-Uni et des États-Unis en matière de déréglementation et élaborer une véritable stratégie de croissance. Les 10 à 15 prochaines années ne nous offriront pas le même luxe de temps que les 15 dernières, durant lesquelles la priorité était donnée à la stabilité. »
La domination des gestionnaires américains
Source : BVI.