Bien que l’investisseur de détail se montre encore très timide, de nombreux gestionnaires d’actifs font grand cas des investissements à impact social. Quant à dire que le secteur financier veut réellement imprimer sa marque dans la voie vers un monde meilleur, il y a encore un énorme pas à franchir. « Il est bien trop peu question de contenu. »
Ce sont les propos qu’a tenu le directeur de portefeuille et spécialiste Impact de NN Investment Partners, Willem Schramade, dans un entretien avec Investment Officer.
Projet pilote
Au sein de NN IP, Willem Schramade est responsable du fonds NN Global Impact Opportunities qui gère déjà près de 600 millions, en plus des douze milliards d’euros d’investissements durables. Depuis 2016, il n’a de cesse de marteler la valeur ajoutée des investissements à impact durable. Et cela n’est pas sans difficultés, explique-t-il.
« Chez les investisseurs prime encore l’idée que s’il l’on veut investir dans des placements à impact social, il faut renoncer au rendement. Je suis convaincu que les rendements à long terme des investissements à impact social sont justement meilleurs, parce que vous tenez compte de manière explicite des risques qui aujourd’hui figurent à peine dans les modèles, comme une augmentation conséquente du cours du sucre ou du prix du carbone. En outre, les entreprises à impact social sont généralement déjà plus rentables, elles présentent moins de risques et elles croissent plus rapidement que les autres. »
De plus, le secteur financier souffre encore d’une image déplorable, explique Willem Schramade. Selon lui, les gens qui veulent satisfaire à des objectifs sociaux ne passent que très peu par une banque ou un gestionnaire d’actifs. « C’est une occasion manquée. Le secteur financier va devoir prouver que la maximisation des profits ne fait plus partie de leurs priorités à court terme. »
L’impact social implique un changement et cela comprend une approche fondamentale, pense le gestionnaire de portefeuille. « Il s’agit par ailleurs d’estimer dans quelle mesure les entreprises sont préparées à l’avenir et dans quelle mesure elles contribuent à un monde meilleur. Aussi bien dans les analyses d’entreprise qu’au sein de la structure interne des acteurs financiers eux-mêmes. »
Le département des actions de NN IP se composait avant de six équipes distinctes dont l’une était axée sur la durabilité. Aujourd’hui, ces départements ont fusionné en deux équipes dont l’une se consacre à part entière à la durabilité, explique Willem Schramade.
« Cela reflète la nouvelle vision et priorité de notre management. En conséquence de quoi, nous avons aujourd’hui six directeurs de portefeuille, sept chercheurs et deux analystes de données qui travaillent exclusivement pour nous. Nous en retirons des analyses bien plus poussées qu’avant. Il faut voir notre branche impact comme un projet pilote à l’intérieur de l’équipe durabilité dans sa globalité, qui a pour but d’ancrer la durabilité et l’impact social encore plus profondément dans notre stratégie. »
Revendiquer la durabilité
Les analyses fondamentales sont « clés » lorsqu’il s’agit d’investissements à impact social, estime Willem Schramade, et une simple notation ou empreinte ne suffisent vraiment pas, poursuit-il. Dans la pratique, il entend encore trop souvent des investisseurs se réclamer de droits de durabilité, alors que des analyses fondamentales font défaut dans leurs stratégies. Et de l’autre côté du spectre, on a des adeptes de durabilité qui réduisent inutilement leurs champ d’investissement, explique-t-il.
« La motivation intrinsèque pour investir doit aller au-delà du simple fait de gagner rapidement de l’argent, mais dans notre branche, le rendement doit malgré tout venir valider votre travail. Les parties émettrices qui revendiquaient le droit exclusif à la durabilité ces dernières décennies, sont devenues si extrêmes dans leurs choix que le champ d’investissement s’est réduit comme peau de chagrin. Et si vous investissez dans 200 entreprises, cela pèse malgré tout négativement sur votre rendement, tant d’un point de vue financier que sociétal. »
D’après lui, dans les pays occidentaux, ce sont avant tout les entreprises de matériaux, industrielles, du secteur des soins de santé et informatiques qui sont encore à même de générer un réel impact social. Dans les pays émergents, il cite les secteurs financier et médical à titre d’exemple. Mais au sein de ces secteurs, il faut encore examiner que chaque entreprise concrétise réellement cet impact.
Willem Schramade : « une banque indienne qui accorde des micro-crédits, ou une structure hospitalière qui se développe dans des zones rurales pour que plus de personnes aient accès aux soins médicaux sont des exemples concrets d’impact. Parallèlement, beaucoup de grandes entreprises ne parlent plus que d’Objectifs de Développement Durables (Sustainable Development Goals), mais dans la pratique, ils ne disposent souvent pas encore de chiffres démontrant le nombre de personnes qui ont bénéficié de leur approche. C’est pourquoi l’engagement est un élément clé : pour déterminer l’ampleur de l’impact social et dans quelle mesure l’entreprise est à même de continuer à fournir cet impact (et le rendement financier) à long terme. »
Changer les mentalités
Willem Schramade qualifie les tentatives actuelles de durabilité au sein du secteur « d’emplâtre sur une jambe de bois ». Aussi bien le gouvernement que le monde académique et financier devraient tout mettre en œuvre pour convaincre la société de la valeur économique des investissements à impact social, pense-t-il. Les tentatives de la Commission européenne visant à imposer la durabilité pourraient exercer un effet inverse, selon le gestionnaire de portefeuille.
En prônant les classifications et les notifications, on encourage justement l’écoblanchiment, selon lui. Il voit plus d’intérêt dans le prix attractif de produits d’investissement durables. « Par exemple, en faisant apparaître leur risque systémique plus faible dans les tableaux d’identification des risques auxquels sont soumises les institutions financières. Encore mieux, il faudrait introduire une hausse substantielle du prix du carbone, qui ferait vraiment bouger les choses. »
Mais il faut encore que le secteur soit d’abord convaincu de la valeur ajoutée et joindre l’acte aux paroles, estime-t-il. « Je lis de plus en plus souvent que la durabilité est devenue le courant dominant. Ce n’est pas vrai : la tendance est d’en parler et de qualifier les produits de « durable », mais dans l’intervalle, on continue à s’accrocher aux anciennes structures et de plus en plus d’argent va dans les fonds passifs, où il n’est absolument pas question d’analyse de transition. Une excuse souvent mise en avant est de dire que le client n’est pas encore prêt pour cela. Quand j’entends ces propos, je me dis que la transition durable n’aura jamais lieu. Il ne faut arrêter de se scruter les uns les autres et regarder de l’avant. Le secteur doit se monter bien plus ambitieux et penser plus loin que ce que le client veut aujourd’hui. »