La question de savoir si 2023 sera une meilleure année que la précédente ne trouvera sa réponse avec certitude que dans une cinquantaine de semaines. En effet, une réponse franchement décevante à une question pourtant parfaitement responsable. Cela confirme la caricature selon laquelle les économistes ne peuvent prédire avec précision que lorsqu’il s’agit du passé.
Mais c’est plutôt simpliste, si vous voulez notre avis. Commencez par là lorsque, comme en 2022, non seulement deux mouvements profonds et inattendus se sont produits, mais que les marchés financiers y ont réagi de manière très atypique.
Il a fait des zigs alors qu’il aurait dû faire des zags…
L’invasion militaire n’a pas entraîné la fuite vers la qualité attendue (qui aurait fait baisser les rendements des obligations d’État) et les banques centrales n’ont pas apporté la paix et le calme mais, au contraire, ont semé l’agitation.
La poussée initiale de l’inflation en janvier et février était visible de loin, mais on s’attendait à ce qu’elle s’estompe rapidement, suite à la disparition des goulets d’étranglement dans les chaînes d’approvisionnement. Cependant, l’incursion militaire a empêché le rebondissement attendu de l’inflation et a alimenté les craintes d’une crise énergétique dépressive, dans le style du fiasco économique de la fin des années 1970 et du début des années 1980. Une période où les marchés financiers ont eu droit à un cocktail fatal. Des tensions géopolitiques aiguisées, une mauvaise gestion monétaire et une surabondance démographique de nouvelle main-d’œuvre ont tracé un profond sillon de destruction à l’époque.
Ceux qui, dans les circonstances actuelles, ont espéré une aide de la part de ceux qui sont désignés pour le faire, en particulier les banques centrales et les gouvernements, n’ont fait que subir de nouvelles désillusions. Les gouvernements européens ont jeté de l’huile sur le feu géopolitique avec des mesures aussi rapides qu’inconsidérées, catapultant les prix de l’énergie et surtout du gaz à des hauteurs stratosphériques. À leur tour, les banques centrales ont eu un spasme au moment où elles auraient pu se rendre le plus utile et ont bombardé les marchés financiers d’une salve mal ciblée de hausses paniques des taux d’intérêt.
Trop, trop tard…
Après tout, la spirale inflationniste s’était déclenchée des mois plus tôt sans provoquer de réaction politique. Aujourd’hui, cependant, la politique monétaire a tendance à surréagir pour masquer la réaction molle d’antan.
Mais les pays européens, entre-temps, sont revenus à la raison et étranglent désormais les envahisseurs russes par des mesures économiques, financières et - surtout - militaires plus réfléchies. Attention : Poutine, lui, est un judoka.
Graphique 1 : Evolution des prix du pétrole et du gaz en Europe, depuis l’invasion militaire.
Le prix du gaz, quant à lui, est inférieur de 30 % ( !) à son niveau de la veille de l’invasion (mais il reste malheureusement 3 fois plus élevé qu’il y a 5 ans), tandis que les factures de pétrole ont baissé de 10 %.
Une crise ? Quelle crise … ?
La plupart des prix des denrées alimentaires et des produits de base sont également plus bas qu’avant l’invasion, le prix du blé et du soja ayant baissé de 10 %. L’aluminium est devenu un quart moins cher, le bois même trois quarts ( !). Les prix du cuivre ont également chuté de 10 % mais ont depuis amorcé une remontée.
Cette matière première est surveillée de près car la hausse des prix du cuivre est généralement le prélude à une reprise de l’activité économique dans les pays émergents. Cette tendance est liée, entre autres, aux récents développements en Chine, l’ensemble de la région de l’Asie du Sud-Est gagnant en intérêt.
Il faudra toutefois un certain temps avant que l’évolution récente des prix des produits de base, de l’énergie et des denrées alimentaires ne se traduise à la caisse des grands magasins, mais nous avons des tonnes de patience et d’espoir que les gouvernements veilleront à ce que la manière douce dont les augmentations initiales des prix des produits de base et des denrées alimentaires ont pu s’opérer se traduise également par une baisse des prix à la consommation dans les mois à venir.
Ce serait (beaucoup) plus efficace que l’option actuelle où les autorités monétaires tentent de refroidir la croissance économique par des hausses rageuses des taux d’intérêt, dans l’espoir de couper ainsi l’inflation. À comparer avec la pratique de la saignée à la fin du Moyen Âge. Les preuves empiriques de son effet bénéfique sont pour le moins controversées.
La Fed elle-même est bien placée pour le savoir : l’inflation diminuera lorsque les prix de l’énergie, des produits de base et des denrées alimentaires se seront suffisamment calmés et stabilisés sur les marchés mondiaux. L’impact de la hausse imposée des taux directeurs sur l’inflation est d’ordre limité mais pourrait (peut-être) encore avoir un effet dissuasif sur la croissance des salaires.
Étant donné que l’inflation au cours de la période écoulée était principalement due à des chocs sur le marché de l’énergie et à des goulots d’étranglement dans les chaînes d’approvisionnement, les hausses de taux d’intérêt n’auront à elles seules qu’un faible impact sur les indicateurs d’inflation. Cependant, l’impact désastreux sur l’économie et les marchés financiers est très tangible.
Nous aimons jouer la carte de la sécurité…
Il en va de même sur les deux rives de l’Atlantique. Ni la Fed ni la BCE ne voulaient se voir reprocher de rester les bras croisés. Tous deux ont souhaité minimiser le risque de telles critiques et donnent maintenant le tournis à l’économie en augmentant les taux d’intérêt.
Si cela n’aide pas, cela ne fait pas de mal, tel est leur raisonnement. Mais ça fait du mal. Le revers de la médaille est un refroidissement économique inutile qui coûtera finalement des milliards, tandis que la politique de la Fed a créé une destruction de richesse sans précédent par la chute brutale des prix des obligations. Nous pouvons nous estimer (très) chanceux que les dommages économiques ne soient (pour l’instant) pas encore si graves. Cette dernière est principalement due à la robustesse des marchés du travail, au maintien des dépenses publiques et au fait que les dépenses de consommation restent plus ou moins sur la bonne voie.
Dans le même temps, les attentes en matière de taux d’intérêt se refroidissent, en particulier aux États-Unis où les chances d’un relèvement du taux directeur au-dessus de 5 % ont désormais radicalement diminué, compte tenu de la tendance à la baisse de la croissance de la masse salariale et de l’évolution favorable des indicateurs d’inflation. Une nouvelle hausse de 25 points de base en février et en mars est actuellement attendue. Cela devrait également marquer immédiatement la fin d’un cycle haussier étouffant.
L’heure la plus sombre est juste avant l’aube….
Il est encore trop tôt pour une baisse des taux directeurs (qui déterminent les taux à court terme). Nous pouvons toutefois discerner une probabilité accrue de baisse (d’un quart de pour cent) à la fin de 2023, après la réunion du FOMC du 13 décembre.
Les dernières indications confirment la tendance à la baisse de l’inflation américaine. Les prix de l’énergie et de la plupart des biens se stabilisent ou baissent.
Graphique 2 : Évolution des prix de détail aux États-Unis
Il n’y a malheureusement pas encore de signe d’une tendance déflationniste généralisée. En effet, l’inflation des services (7,52 pour cent !) reste encore trop forte pour parler déjà de victoire. Les prix des loyers, en particulier, continuent de s’accélérer, mais c’est une conséquence directe de la forte hausse des taux hypothécaires. En effet, la demande de logements (locatifs) reste relativement constante mais l’offre diminue de manière drastique.
Le premier trimestre de 2023 donnera une réponse définitive quant à la rapidité avec laquelle l’indice des prix de détail pourra être remis en conformité. Il n’y a guère de doute sur la direction de cet indice, mais plutôt sur la vitesse à laquelle l’inflation peut être ramenée à des niveaux jugés acceptables par les banques centrales.
Mais la plupart des indicateurs dressent un tableau rose de cette évolution en 2023. L’inflation attendue aux États-Unis et en Europe, calculée sur la base de données objectives du marché sur les obligations indexées sur l’inflation, indique déjà une forte baisse des taux d’inflation globale à un niveau annuel moyen de 2,4 %.
Selon les prévisions, l’essentiel de cette baisse se matérialiserait au cours des 12 prochains mois. Encourageant, mais un chemin cahoteux nous attend encore pendant plusieurs mois avant que le drapeau de la victoire puisse être hissé.
Un tel scénario permet dans un premier temps de donner de l’air aux obligations dépréciées, qui ont dû subir la pire chute de prix depuis la Seconde Guerre mondiale. Une débâcle en partie imputable à la forte hausse des taux d’intérêt directeurs et à la réaction de panique sur les marchés, mais encore largement due à l’arrêt brutal des programmes d’achat des banques centrales. Cela a maintenu les rendements obligataires à long terme artificiellement bas au cours des deux années précédentes. Mais comme une balle que l’on pousse sous l’eau et que l’on libère soudainement, les marchés obligataires ont ensuite été abandonnés à leur propre sort.
La baisse progressive de l’inflation et la diminution des prévisions de croissance économique ouvriront la voie à la hausse des prix des obligations en 2023 et permettront une solide reprise des prix des obligations, une fois que la tendance à la baisse des indicateurs d’inflation se poursuivra.
Des cendres du désastre, poussent les roses du succès…
Pour les marchés boursiers, la situation en 2023 est beaucoup plus complexe. Au premier semestre surtout, l’évolution favorable des taux d’intérêt et de l’inflation fera qu’il sera plus difficile de trouver un terrain solide sur les marchés des actions. Les marges bénéficiaires et les volumes de ventes doivent être revus à la baisse dans la plupart des secteurs. Les premières répercussions se feront sentir lors de la publication des bénéfices des entreprises pour le 4e trimestre de 2022.
Bien qu’un tel scénario négatif ait déjà été pris en compte de manière adéquate, cela n’offre aucune garantie d’éviter des baisses à court terme lorsque la publication des résultats de certaines entreprises constitue une surprise négative. Les valeurs technologiques, en particulier, sont surveillées avec méfiance. Les résultats des entreprises déjà publiés, y compris ceux du secteur bancaire, présentent un tableau mitigé.
L’épicentre de ces publications se situe à la fin du mois de janvier et au début du mois de février. Le 2/2/2023 est le centre de gravité absolu avec l’annonce des résultats d’Apple et d’Amazon (tous deux très attendus ces derniers mois), le lendemain de la réunion du FOMC de la banque américaine. Branchez-vous sur une chaîne d’information américaine le soir, entre 22h et 22h30. Nous vous promettons beaucoup de spectacle et d’excitation.
Malgré la faiblesse de la période de démarrage, troublée par les résultats décevants des entreprises et les craintes d’une nouvelle contraction des marges bénéficiaires et d’une baisse des volumes, le second semestre devrait présenter un scénario plus favorable. À ce moment-là, on peut s’attendre à une reprise économique et à un environnement politique plus stable. Nous pourrions alors être au milieu d’une légère récession, ce qui est toujours considéré comme une opportunité d’achat idéale.
Toutefois, les prix des actions ne sont pas (encore) suffisamment attractifs et le cycle économique doit d’abord réussir à se remettre sur les rails pour être suffisamment favorable à une hausse durable et substantielle des prix. Il semble un peu trop tôt pour l’anticiper à ce stade, sachant que nous devons d’abord passer par un hiver économique, en raison des mesures étouffantes des banques centrales.
Allez à l’Est, jeune homme…
Pendant ce temps, les marchés boursiers chinois ont réalisé une performance notable. Depuis début novembre, l’indice MSCI de la Chine a pris la tête avec une hausse de 40 %, qui intervient après des baisses initiales de 40 % depuis début 2022. Cette tendance favorable est due à l’élimination radicale des mesures «zéro covid», à la suppression de nombreuses mesures d’entrave dans le secteur de la construction, à la baisse (encore) des conditions de prêt pour les banques et à l’espoir croissant de voir revenir certaines mesures de sanction dans le secteur technologique. Bien que cette hausse ne soit certainement pas sans risque, elle permet d’envisager des perspectives de croissance du PIB (considérablement) plus élevées pour le géant rouge, ce qui se traduit par un enthousiasme accru pour les marchés boursiers asiatiques.
Un certain nombre d’entreprises exportatrices européennes pourraient également surfer sur cette vague (espérée) et, ce faisant, elles semblent avoir un avantage sur leurs concurrents américains, qui sont davantage gênés par la politique de sanctions des États-Unis.
Cela explique-t-il la scène curieuse des bourses mondiales où, pour la première fois depuis (très) longtemps, l’indice des actions européennes surpasse (nettement) son homologue américain ?
Graphique 3 : Évolution de l’indice boursier dans la zone euro et aux États-Unis, indice Nasdaq et indice mondial.
Quelqu’un qui nous aurait dit, au début des hostilités militaires, que la zone euro, malgré un approvisionnement énergétique manifestement fragile, la proximité du conflit et le retard technologique, allait surperformer les marchés boursiers américains ne nous aurait pas pris au sérieux. On n’est jamais trop vieux pour apprendre …
Les portefeuilles mixtes (adaptés au profil d’investissement du client), en particulier, peuvent exceller dans de telles circonstances. Portés au premier semestre par la baisse des taux d’intérêt qui a soutenu les prix des obligations, au second semestre par les prix des actions qui, après avoir traversé une période difficile, cherchent comme d’habitude de nouveaux records avec un courage retrouvé.
Toutefois, aucune garantie ne peut être offerte ici, à l’exception de cette sagesse boursière de J.P. Morgan : au cours de l’une des très rares interviews qu’il a autorisées, un journaliste lui a demandé ce qu’il pensait de l’évolution du marché boursier cette année-là. Sa réponse grincheuse était :
Il va fluctuer, jeune homme. Il fluctuera…
Stefan Duchateau est un consultant financier indépendant et un expert en connaissances chez Investment Officer.