Avant même le coup de gong final du premier round, son challenger pour le titre mondial touchait déjà le tapis du ring de boxe. Et même pendant neuf secondes, malgré quelques tentatives pathétiques de se relever.
Ce qui en soi n’était pas une honte, et certainement pas une nouvelle mondiale. Dans ses jours de gloire, Joe Louis avait l’habitude de traiter chaque adversaire avec une combinaison gauche-droite dévastatrice, avant d’assener un crochet du gauche en guise de coup de grâce.
Ce n’est donc pas à cause de cette défaite rapide que le camp de Jack Roper est devenu légendaire en 1939, mais de la conférence de presse qui a suivi, lors de laquelle il a attribué sa défaite à une erreur tactique : I zigged when I should ‘ve zagged…
Personne n’avait compris ce qu’il voulait dire par là, mais soudain, tout est devenu clair.
Nous connaissons malheureusement tous ce sentiment : des marchés financiers qui se déplacent sans crier gare, complètement à l’encontre de la logique qui nous faisait attendre un mouvement dans la direction opposée. Le contexte actuel semble manifestement dominé par la crainte d’une hausse des taux d’intérêt, et a injustement (mais non moins inéluctablement) fait sombrer les valeurs technologiques, en particulier.
Ce qui est aussi irréfléchi qu’ingrat, car ce sont précisément ces entreprises qui, il n’y a pas si longtemps, avaient été élevées au rang d’héroïnes après avoir enregistré des performances boursières épiques au plus sombre de la pandémie. La cause de ce recul est principalement liée à l’évolution récente des taux d’intérêt à long terme. Ce qui est très superficiel, car le bond des taux à long terme est moins un signe de crainte d’un dérapage de l’inflation qu’une confirmation de la tendance haussière de l’activité économique américaine.
Cependant, d’excellents chiffres de croissance peuvent devenir une arme à double tranchant si la force du mouvement de reprise économique pousse également l’inflation à un niveau sensiblement plus élevé. Mais il n’y a encore que peu ou pas de signes de cette évolution, si ce n’est une remontée des prix à leur niveau d’avant la pandémie. Il en va d’ailleurs de même pour les taux d’intérêt à long terme.
En Europe également, on constate des signes indéniables d’une reprise économique imminente, mais sur le Vieux Continent, ni les taux d’intérêt ni l’inflation ne constituent actuellement une menace significative pour les marchés actions ou obligations. D’où les développements relativement favorables sur la plupart des marchés financiers européens, surtout par rapport aux indices boursiers américains et chinois, qui sont en outre plus expressément présents dans le secteur technologique (temporairement) touché.
Le taux d’intérêt des obligations d’État américaines à 10 ans s’élevait à un peu moins de 1,6 % le 8 mars, mais a baissé dans l’intervalle de plusieurs points de base pour atteindre 1,52 %. Juste avant l’éclatement de la crise du coronavirus, ce taux d’intérêt était encore de 1,83 %. Pourtant, les bourses établissaient quotidiennement de nouveaux records, notamment en raison de l’augmentation attendue des résultats des entreprises. Ceux-ci sont maintenant même encore plus élevés qu’en janvier 2020 et ce, malgré un recul (temporaire) sans précédent de l’activité économique…
Des taux d’intérêt plus bas, des bénéfices des entreprises plus élevés et une conviction croissante que la pandémie sera bientôt vaincue, ce qui réduira les primes de risque et incitera encore davantage les cours boursiers à atteindre de nouveaux records : qu’est-ce que les investisseurs peuvent encore bien vouloir de plus ?
Que ce soit aux États-Unis, en Europe et surtout en Chine, nous n’attribuons pas la correction actuelle des valeurs technologiques à la montée des craintes d’inflation ou de hausse des taux d’intérêt. La cause réside dans la force de la reprise économique en tant que telle, qui offre désormais de nouvelles opportunités réalistes aux entreprises à la traîne. Cependant, la forte volatilité des marchés financiers ne permet pas en soi une augmentation importante des positions en actions, si bien que les investisseurs professionnels sont contraints de déplacer les positions au sein de leurs portefeuilles existants.
Prendre ses bénéfices sur les entreprises dont le cours avait le plus fortement monté, puis augmenter les positions fortement sous-pondérées dans les secteurs les plus touchés semblait alors (pour un temps) la seule option tactique.
Les conséquences à court terme sont faciles à deviner. Mais ce ne sera qu’un mouvement temporaire. Avec le temps, la qualité revient toujours à la surface et finira par récompenser les entreprises pour leurs choix stratégiques audacieux. Celles-ci ne se trouvent d’ailleurs pas seulement dans le segment technologique. Dans le segment lié à la consommation et l’industrie, il est clair que l’on peut encore également trouver des entreprises de grande qualité à un prix acceptable.
De plus, si l’inflation devait réellement devenir une menace aiguë, ce sont précisément les entreprises présentant la meilleure rentabilité, le plus grand potentiel de croissance et le plus fort pouvoir de fixation des prix qui se défendront le mieux. Celles-ci se trouveront très certainement dans le segment des grandes entreprises orientées croissance qui ont déjà traduit les inévitables tendances futures de la numérisation et de l’automatisation en un modèle d’entreprise performant et/ou qui sont bien positionnées en vue des tendances futures dans la technologie et les modes de consommation. À cet égard, nous pensons notamment à la 5G, à la sécurité sur Internet, aux producteurs de semi-conducteurs spécifiques, aux technologies de mesure et de contrôle, aux nanotechnologies, aux applications Cloud, à l’automatisation, à l’organisation du travail, aux plateformes en ligne et à la Fintech.
Compte tenu de la prévisibilité de l’évolution de leurs bénéfices et de leurs choix audacieux dans le passé, ces entreprises reçoivent le titre honorifique bien mérité d’actions de qualité. Ces dernières semaines, le cours des actions d’entreprises qui se sont distinguées par leurs échecs stratégiques répétés et ont fait preuve d’une vulnérabilité marquée face à un refroidissement du climat économique a cependant augmenté. Nous préférons rester à l’écart d’un tel spectacle.
En outre, la plupart de ces entreprises sont soumises à une forte pression concurrentielle. Leurs marges bénéficiaires instables risquent de s’éroder rapidement face aux pressions inflationnistes croissantes, car elles ne sont pas en mesure d’imposer des hausses de prix mais doivent supporter l’augmentation des prix des matières premières et de la production.
Nous supposons donc que les récentes corrections de cours sur les entreprises de la plus haute qualité ne sont que temporaires. Nous continuons donc à privilégier expressément les actions de qualité, mais pas nécessairement dans le segment technologique. Surtout en Europe, il y a encore beaucoup de noms industriels qui correspondent à notre label de qualité et ont encore incontestablement un potentiel haussier.
Nous répétons donc avec insistance que dans ce contexte, ce sont précisément les actions de haute qualité, orientées croissance, qui peuvent offrir la plus grande résistance à la hausse inévitable (mais probablement plutôt limitée) des taux d’intérêt.
Mais les marchés actions zigged when they should ‘ve zagged…
En septembre 2020, nous avons été confrontés un recul similaire des cours boursiers des entreprises de qualité orientées croissance, au profit de valeurs à la traîne dans le tourisme, les services bancaires et les énergies fossiles. Ces dernières se voient maintenant pousser des ailes en raison de la demande accrue de pétrole, combinée à une offre réduite et à l’attaque terroriste (ratée ?) sur un site pétrolier arabe. Le prix du baril de pétrole se rapproche désormais du niveau de 2019, qui n’était alors pas du tout considéré comme une menace.
D’autres matières premières ont augmenté sensiblement plus que le pétrole au cours de cette période, comme le cuivre et surtout le cobalt, mais aussi (ce qui est très typique) le prix du bois. Ce dernier est la preuve ultime de l’imminence de la reprise économique. L’évolution du cuivre confirme le regain d’activité dans les pays émergents. La hausse des prix du cobalt souligne l’augmentation spectaculaire de l’importance des applications liées aux batteries.
Quand cette punition injustifiée des sociétés les mieux cotées en bourse prendra-t-elle fin ?
Si l’on compare avec l’évolution des cours au début de la dernière année scolaire mouvementée (sur tous les plans), il est possible de dégager quelques tendances : après avoir atteint son pic le 2 septembre, le NASDAQ est retombé 21 jours plus tard en affichant une perte de 15,44 %. Cependant, cet indice technologique est revenu à son niveau de début septembre le 1er décembre 2020, avant d’atteindre un nouveau sommet historique le 15/2/2021, soit une nouvelle hausse de 11 %.
Dans l’intervalle, 21 jours de plus se sont écoulés et ce bénéfice a été complètement perdu. Après cette baisse du cours de 11 % (et l’augmentation des bénéfices des entreprises dans l’intervalle), le ratio cours/bénéfice du NASDAQ s’est de nouveau stabilisé autour du niveau de fin septembre, lorsque la correction des valeurs technologiques a soudainement cessé. Est-ce un signe avant-coureur d’une reprise imminente ? Mieux encore : si nous allons au-delà des actuels bénéfices des entreprises et que nous nous concentrons sur les bénéfices attendus pour l’année prochaine, il apparaît qu’en termes de ratio cours/bénéfice attendu, nous nous trouvons maintenant à un niveau similaire à celui du début de la pandémie.
Les marchés boursiers n’ont pas besoin de plus pour se calmer et trouver un nouveau souffle pour entamer la prochaine ascension …
La hausse des taux d’intérêt américains à long terme a également renforcé de manière significative le cours du dollar américain. Cette évolution sera certainement bénéfique pour la position concurrentielle des entreprises exportatrices européennes. Les marchés actions européens peuvent donc subir eux aussi le contrecoup de la forte hausse des pertes par rapport à leurs concurrents américains.
Ce renforcement du billet vert était d’ailleurs inscrit dans les étoiles : en effet, notre modèle de valorisation signalait depuis un certain temps déjà que la monnaie américaine était sous-évaluée.
https://images.investmentofficer.com/sites/default/files/inline-images/…» class=»align-center»>
Sur le plan économique, à quelques exceptions près, nous n’avons que de bonnes nouvelles. La composante industrielle des économies américaine et européenne, surtout, envoie un signal relativement puissant. Les chiffres de l’emploi réagissent favorablement, sans tomber dans l’exagération. Pourtant, le dernier indicateur prévisionnel pour les secteurs des services américains a apporté des nouvelles étonnamment mauvaises, avec une lecture nettement inférieure aux attentes.
Les principales raisons invoquées sont le très mauvais temps au Texas et sur la côte Est, mais aussi la difficulté de passer à la vitesse supérieure en raison du manque de personnel directement employable. Étrange…
Mais il y a tout de même des éléments prévisibles. Ainsi, on peut être certain que lorsque l’actuel président de la banque centrale américaine recevra un micro sous le nez, les marchés financiers plongeront. Et c’est ce qui s’est produit le 4 mars. À peine Jay Powell s’apprêtait-il à ouvrir la bouche que le sentiment de marché initialement positif s’est transformé en séance boursière en rouge foncé.
Pourtant, il n’avait fait que répéter la position bien connue de la Fed : Nous n’intervenons pas, même si l’inflation augmente. L’objectif premier est de rétablir le plein emploi. Tant que cela ne sera pas réalisé, les taux directeurs resteront bas et la politique monétaire extrêmement accommodante. Nous ne craignons pas l’inflation, car le rebond actuel n’est qu’une réaction à la compression des chiffres de l’inflation en 2020.
En d’autres termes, on laisse délibérément le génie sortir de la lampe…
Pour une position aussi audacieuse, Powell n’a malheureusement plus la crédibilité nécessaire après la débâcle des marchés obligataires de 2015 et surtout de 2018, avec un recul inutilement lourd des marchés actions.
Pour lui, l’adage selon lequel ‘la parole est d’argent, mais le silence est d’or’ s’applique dans tous les cas. Même avec la forte baisse des cours de l’or.
Le professeur Stefan Duchateau est professeur, consultant et auteur et expert en connaissances de l’Investment Officer.