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Après l’affaire de Roswell de 1947, lorsqu’un prétendu OVNI s’est écrasé dans le désert du Nouveau-Mexique, le gouvernement américain s’est empressé d’attribuer l’incident à un ballon-sonde ayant dévié de sa trajectoire (dans une version ultérieure, ce ballon est devenu un ballon espion).

Dans le même temps, le gouvernement s’est également tourné vers un groupe restreint de scientifiques. Non pour expliquer le phénomène, mais pour se préparer à une éventuelle visite extraterrestre. Compte tenu de la supériorité technologique et militaire présumée de ces visiteurs indésirables et de l’incapacité à comprendre suffisamment rapidement la langue de l’autre, la meilleure option semblait être de les accueillir avec un film consacré à l’histoire récente de l’humanité. 

Cependant, après des recherches approfondies, l’idée de montrer de tels documents visuels a été abandonnée. En effet, les bobines de film disponibles à l’époque regorgeaient d’horreurs. La Seconde Guerre mondiale venait de se terminer, avec des images des bombes atomiques sur le Japon et des camps de concentration nazis gravées dans la rétine collective. 

Se tourner vers l’avenir n’apportait guère de réconfort, car le rideau de fer qui divisait l’Europe en deux, le conflit naissant en Corée et la guerre d’indépendance d’Indochine n’étaient pas de bon augure. Il était également préférable de ne pas remonter plus loin dans le temps, car cela aurait principalement documenté le désespoir de la Grande Dépression et les horreurs de la Première Guerre mondiale. Cela n’aurait probablement pas donné une très bonne impression de l’espèce humaine aux extraterrestres et aurait pu les pétrir de fausses idées. 

Mais les scientifiques ont émis une dernière suggestion : pourquoi ne pas montrer à nos visiteurs la dernière production des studios Disney ? Leur deuxième long métrage de 1940, basé sur le célèbre conte de fées italien, était en effet particulièrement populaire pendant les années de guerre. Il s’agissait d’un chef-d’œuvre technique, qui permettait à chaque spectateur d’oublier pendant quelques heures les souffrances de la guerre. Ce joyau de l’art de l’animation ravirait sans doute aussi les extraterrestres et les rendraient bienveillants. Et surtout, il détournerait l’attention d’un matériel visuel moins esthétique… 

Vraiment. 

Malheureusement, force est d’admettre que même 75 ans plus tard, nous ne pouvons pas imaginer meilleure suggestion. Nous voulons certainement éviter toute référence à la guerre du Viêt Nam, aux attentats terroristes ainsi qu’à notre extrême vulnérabilité à de minuscules fragments de matière organique qui ont mis à genoux notre organisation sociale et notre système de soins de santé après seulement quelques semaines. 

Peut-être juste cette suggestion : à la fin de la projection de Pinocchio, nous aimerions encore montrer un petit graphique boursier avec les résultats impressionnants de (par exemple) l’indice S&P au cours des trois derniers quarts de siècle (ou davantage). Un peu lissé, bien sûr, pour ne pas attirer inutilement l’attention sur le parcours en dents de scie. Mais avec un accent sur la récente défense vaillante de la plupart des marchés boursiers mondiaux (et américains en particulier) contre l’assaut frontal du virus SARS-CoV-2, la poussée vertigineuse des indicateurs d’inflation et l’agression russe contre la paix mondiale.

Cependant, toute cette violence économique et militaire commence à exiger son tribut sur les marchés actions. Le conflit en Ukraine, en particulier, doit pouvoir prendre fin rapidement. Tout d’abord d’un point de vue humanitaire, bien sûr, mais aussi afin de pouvoir garder les prix des denrées alimentaires et des matières premières plus ou moins sous contrôle. Maintenant, c’est encore tout juste possible. Les Russes se satisferont peut-être de l’annexion de la partie sud-est de l’Ukraine, ce qui permettra de sécuriser la connexion stratégiquement importante du port maritime (crucial) de Sébastopol en Crimée avec la Fédération de Russie et de ne plus faire dépendre le marché intérieur d’un seul pont terrestre (facile à mettre hors service) sur la mer d’Azov. 

Tout cela peut être vendu en interne comme une victoire militaire majeure (et objectivement parlant, c’en est une) et permet au président russe de s’élever dans les livres d’histoire nationaux au rang de l’illustre Pierre le Grand, qui avait atteint un objectif similaire. Si l’Ukraine peut continuer à disposer des ports de la mer Noire, un équilibre géopolitique peut être trouvé. Mais cette victoire russe n’inciter-t-elle-pas à aller plus loin ?

Cependant, il faudra encore beaucoup de temps avant qu’un nouvel équilibre ne puisse être trouvé sur le marché du pétrole et du gaz. En effet, il semble peu probable que l’Europe occidentale change ses plans pour réduire complètement sa dépendance à l’égard de la Russie pour le gaz et le pétrole après la fin du conflit militaire, et doive donc chercher de nouveaux fournisseurs d’énergie (qui ont déjà sorti leurs calculettes). Si le conflit prend fin dans les prochaines semaines, nous n’excluons toutefois pas un retour à des prix de l’énergie plus bas, étant donné le refroidissement de l’économie mondiale et (surtout) la sous-performance de la Chine. 

La récente initiative visant à couper à très court terme l’approvisionnement en gaz et en pétrole des régions barbares n’est pas bien accueillie par les marchés boursiers européens. Malgré toute la sympathie pour l’Ukraine, cette initiative arrive bien trop tard et la caisse de guerre russe a été réalimentée dans l’intervalle par les récentes augmentations de prix. Ces sanctions causent plus de dégâts en Occident qu’à Moscou, où ces mesures alimentent la machine de haine propagandiste. 

Malgré la tempête parfaite formée par les craintes d’une escalade de la violence militaire, la hausse des prix des denrées alimentaires et de l’énergie et la flambée de l’inflation, les marchés actions livrent un combat courageux et s’accrochent à la perspective d’une atténuation des pressions inflationnistes d’ici à 2023. Cette perspective est la condition nécessaire pour éviter que les marchés actions ne subissent de fortes corrections de cours, mais insuffisante pour empêcher des mouvements baissiers limités. 

Un tel scénario ne peut cependant être étayé de manière crédible qu’aux États-Unis. Dans la zone euro, les indicateurs prévisionnels ne montrent plus qu’une nouvelle accélération de l’inflation, même pour l’année à venir. Le Vieux Continent est en effet nettement plus vulnérable à l’évolution des prix de l’énergie, et aussi moins capable de résister par le biais de sa politique monétaire. Des augmentations drastiques des taux directeurs, telles que celles actuellement envisagées aux États-Unis, ne sont pas possibles ici sans déclencher une profonde récession. 

En outre, cette arme des taux d’intérêt ne fonctionne même pas contre la hausse des prix de l’énergie et ne peut être utilisée que pour affaiblir la composante de l’inflation alimentée par une (trop) forte croissance économique.

Mais il n’y a aucun signe de cette dernière dans la zone euro. 

Dans l’intervalle, les prévisions des futures hausses de taux d’intérêt aux États-Unis prennent une dimension de plus en plus dramatique. Certains analystes influents évoquent la possibilité d’un super-super  hike de 75 points de base à l’occasion de la prochaine réunion du FOMC le 4 mai. Bien que ce ne soit pas étayé par des observations objectives, on table avec une quasi-certitude sur une augmentation de 50 points de base. Suivie d’une autre série impressionnante d’augmentations successives, jusqu’à atteindre un niveau de 2,75 % (éventuellement 3 %) en mars 2023. 

Ce qui est beaucoup et, surtout, rapide, si bien qu’on s’attend à ce que l’inflation et (par voie de conséquence) la croissance économique soient affectées. La prédiction de la mesure dans laquelle cette dernière se produira détermine actuellement les hauts et (surtout) les bas des marchés boursiers.

La composante la plus vulnérable est ici constituée par les entreprises de croissance et les entreprises industrielles dont les chaînes d’approvisionnement sont menacées par les confinements en Chine et les perturbations de l’approvisionnement en provenance des pays en guerre. 

Néanmoins, l’évolution récente des marchés boursiers affiche une note positive, tablant sur la fin imminente du conflit militaire, la stabilisation des marchés des matières premières et le refroidissement progressif des indicateurs d’inflation. Cela permettrait à la Fed d’adapter au nouveau contexte la trajectoire actuelle des hausses de taux d’intérêt, fortement orientée vers le haut. 

Cependant, la proposition d’une règle fixe visant (pour des raisons peu claires) à réduire le bilan de la banque centrale américaine par des étapes fermes ne s’inscrit pas dans un tel scénario et reste le principal épouvantail pour les indices boursiers axés sur la croissance. 

La résistance est moindre dans la zone euro, mais la performance moyenne des actions européennes reste louable et n’est malgré tout ‘que’ de 4 à 5 % dans le rouge depuis l’invasion du 24 février. 

Graphique 1 : Évolution de quelques marchés boursiers caractéristiques depuis l’invasion. 

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À l’avenir, les secteurs américains de la technologie et de l’énergie bénéficieront cependant d’un avantage stratégique tel qu’il sera difficile de ne pas leur donner plus de poids qu’ils n’en ont déjà dans les portefeuilles d’investissement. Toutefois, ce déplacement s’opère très progressivement car dans le même temps, la sensibilité spécifique aux ralentissements de la croissance économique augmente, comme on le voit clairement pour les semi-conducteurs (comme Nvidia ou ASML), et la dépendance vis-à-vis des chaînes d’approvisionnement s’accroît (comme chez Apple).

Dans l’intervalle, les positions dans les entreprises actives dans le domaine des engrais et de l’agriculture sont explicitement augmentées. Quoi qu’il en soit, l’accent reste mis sur l’automatisation, l’organisation du travail et la robotique. Mais malgré ces accents et une large diversification, une telle composition ne suffit pas à immuniser le portefeuille contre les crampes de croissance, c’est pourquoi on recherche dans les allocations d’actifs une pondération neutre à légèrement sous-pondérée pour les actions. 

Les marchés émergents apportent par ailleurs peu de réconfort. Seules les bourses indiennes offrent une très forte résistance à la pression baissière croissante. Pour la première fois depuis (très) longtemps, l’Amérique latine affiche même une excellente performance, laquelle est bien évidemment due à la récente hausse des prix des matières premières et du pétrole. 

Graphique 2 : Évolution de certains prix caractéristiques des matières premières depuis l’invasion. 

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La performance de la Chine est très faible. Malgré toutes les mesures, le gouvernement chinois ne parvient pas à donner un élan à sa croissance économique en raison de divers problèmes structurels (tels que la démographie locale et le degré d’endettement croissant des entreprises chinoises), avec dans l’intervalle plus d’une douzaine de métropoles hermétiquement confinées, dans une tentative désespérée d’endiguer le variant Omicron du virus. 

Afin de sortir son économie du marasme, le gouvernement chinois a recours aux recettes traditionnelles, comme une nouvelle réduction des réserves obligatoires des banques, mais avec un impact marginal seulement. Dans l’optique du tour de réélection (ou ce qui doit passer pour tel), Xi devra présenter de meilleurs chiffres au Congrès prévu en automne afin d’obtenir un nouveau mandat pour les 5 prochaines années. Dans l’intervalle, la hausse des prix des denrées alimentaires et l’incertitude géopolitique n’améliorent pas sa position. Une raison pour inciter le Kremlin à mettre fin aux hostilités russes ? 

Quoi qu’il en soit, cela entraîne une nouvelle réduction des positions en actions chinoises dans les portefeuilles d’investissement, mais conduit simultanément à une augmentation de la position chinoise en obligations d’État. Nous tablons à cet égard sur un yuan stable par rapport au dollar américain et de nouvelles réductions des taux d’intérêt à l’extrémité longue de la courbe de rendement chinoise.  

Les marchés obligataires subissent clairement les plus grandes pertes. Par conséquent, ce sont surtout les portefeuilles les plus défensifs qui subissent la plus forte baisse. 

Graphique 3 : Rendement annualisé des obligations d’État allemandes à long terme (10 ans) 

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L’augmentation des taux d’intérêt à long terme est maintenant de l’ordre de grandeur d’un scénario de stress, avec un bond des taux d’intérêt depuis le début de cette année (jusqu’à présent) maudite de l’ordre de 1 %. Ce qu’on a rarement vu. Il faut en effet remonter à 1994 et 2000 pour voir de telles pertes sur les marchés obligataires. Consolation : avec un peu de patience, ces pertes finissent toujours par se rétablir.  

Dans le volet obligations (limité) du portefeuille, il n’y a un peu de place que pour des positions offrant encore une prime de risque suffisante (comme en Italie par exemple) ou des obligations avec ajustement du rendement à la hausse, comme les obligations à taux variable aux États-Unis ou en Norvège. Les premières, en raison du renforcement du dollar US par rapport à l’euro. Et les dernières, en raison de l’amélioration des écarts de taux d’intérêt des entreprises actives dans le secteur de l’énergie. 

Graphique 4 : Évolution du dollar US par rapport à l’euro. 

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L’évolution du taux de change US $/€ est tout à fait conforme à la valeur de notre modèle. 

Les investisseurs qui se croyaient en sécurité en raison de la surpondération des positions obligataires sont désormais sans défense là où les coups pleuvent. En détenant de tels investissements, on s’attendait à ce qu’en se contentant d’un faible rendement attendu, on ait aussi le moins à craindre sur les marchés financiers.  

Les investisseurs avisés  savent depuis quelques milliers d’années que ce point de vue repose sur une hypothèse totalement erronée : Celui qui recherche le moindre risque à court terme court le plus grand risque à long terme.  

Revenons un instant à notre marionnette en bois évoquée dans la considération introductive. Ce qui nous frappe particulièrement, c’est l’énorme efficacité de la guerre de propagande (des deux côtés, d’ailleurs).

Celui qui gagne la guerre de l’information peut de plus en plus influencer le cours d’un conflit militaire. Pendant la guerre du Vietnam, ce processus a encore pris des années, mais avec l’impact actuel des médias, il peut se produire très rapidement. Nous sommes convaincus que les images de la dévastation et des nombreuses victimes civiles auraient également un impact majeur en Russie. Surtout avec un important nombre de victimes à déplorer dans leur propre camp. Russians love their children too.

Nous proposons donc que toute personne qui communique une opinion ou une information sur un écran reçoive un nez de Pinocchio. Cela clarifierait rapidement beaucoup de choses pour le spectateur. 

Stefan Duchateau est professeur en sciences de l’investissement et expert en matière d’investissement. Il écrit sur la répartition des actifs et la théorie des investissements financiers.

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