Malgré la onzième hausse des taux de la Fed, l’économie américaine refuse de craquer. Au contraire, le PIB a progressé nettement plus que prévu au dernier trimestre. Cette hausse surprenante peut être attribuée en grande partie à une augmentation significative des investissements des entreprises. En revanche, la consommation privée est en perte de vitesse. Ce dernier point ne nous inquiète guère. Le premier ne nous surprend pas non plus.
En effet, les entreprises sont tournées vers l’avenir, attentives aux nombreuses opportunités qui se présenteront alors et s’y préparent dès maintenant en investissant dans l’infrastructure et l’automatisation. Leur vision de l’avenir transcende les politiques incongrues de leur banque centrale.
Les consommateurs se tournent vers le présent, où ils sont temporairement freinés par des coûts d’emprunt élevés et des hausses de prix plus rapides que celles de leurs salaires nominaux. À partir du second semestre, cependant, une augmentation significative du pouvoir d’achat est prévue, ce qui permettra aux dépenses de consommation de reprendre en 2024.
Entre-temps, les derniers chiffres de l’inflation confirment la tendance à la baisse qui s’est amorcée dès la mi-2022 aux États-Unis. En fait, le taux de croissance de l’indice global des prix diminue remarquablement plus vite que lors de la précédente vague d’inflation, au début des années 1980. L’inflation de base suit une évolution similaire à celle de l’époque.
Graphique 1 : Évolution de l’inflation IPC aux États-Unis entre 01/1979-12/1982 et 03/2019-07/2023
Si cette tendance à la baisse se confirme dans les chiffres publiés en août et en septembre, il n’y aura plus de raison de relever les taux directeurs. Mais le groupe actuellement à la tête de la banque centrale veut éviter à tout prix d’être accusé d’avoir non seulement trop dormi au début de la vague d’inflation, mais aussi de s’être éloigné trop tôt du champ de bataille. Le fait que cela risque de déclencher une récession inutile est tout au plus un dommage collatéral pour eux et est négligeable dans la perspective de leur objectif supérieur. C’est pourquoi les marchés des swaps accordent encore 30 % de chances à une nouvelle hausse de 25 points de base en novembre.
La performance économique plus forte que prévu au cours du dernier trimestre ne donne aucune garantie quant à l’évolution des indicateurs économiques au second semestre 2023, lorsque les entreprises et les consommateurs devront supporter tout le poids de taux d’intérêt nettement plus élevés.
Il est peu probable que cette baisse attendue de l’activité économique soit comptabilisée comme une récession officielle. Les critères du NBER en la matière accordent beaucoup d’importance au marché du travail, qui reste très robuste jusqu’à nouvel ordre.
Pour le paradoxe d’un cycle économique faible combiné à un taux d’emploi élevé, la solution est vite trouvée. La génération des baby-boomers quitte actuellement le marché du travail à grands coups de tambour, et son départ n’est pas suffisamment absorbé par les nouveaux arrivants sur le marché du travail. De plus, cette situation ne s’atténuera qu’après 2030 et, dans l’intervalle, obligera les entreprises à automatiser massivement.
Cette tendance démographique s’applique superlativement à l’Europe et touche de plein fouet l’économie chinoise. Le géant rouge subit les conséquences de la politique de l’enfant unique qui a été imposée entre 1975 et 2015 et qui fait que les usines ne trouvent (de plus en plus) pas assez de main-d’œuvre qualifiée pour maintenir leur production en masse. Malgré cette évolution hautement prévisible, le gouvernement chinois n’a pas réussi à ajuster ses structures économiques à temps, ce qui s’est traduit par une nouvelle baisse consécutive des indicateurs conjoncturels.
Malgré les mesures de relance de grande envergure, les baisses prolongées des taux d’intérêt et les réductions des ratios de fonds propres des banques semblent également n’avoir que peu ou pas d’impact et les perspectives de croissance doivent être révisées à la baisse à plusieurs reprises. Le marché boursier chinois rebondit tout de même (parmi les derniers), mais tant qu’il n’y aura pas de signes tangibles de reprise de l’activité industrielle, nous considérons qu’il y a de meilleures alternatives ailleurs.
Entre-temps, le marché boursier européen se montre sous son meilleur jour. Après avoir été confronté pendant des années à un écart croissant avec ses concurrents américains, l’indice des actions de la zone euro a été le premier à dépasser le niveau de prix du 01/01/2022, et ce en dépit du fait que les taux d’intérêt ont augmenté de façon spectaculaire au cours de cette période et que l’approvisionnement en énergie dans la zone euro semble plus vulnérable aux développements géopolitiques qu’aux États-Unis.
En outre, la dynamique économique semble (beaucoup) plus faible dans la zone euro que le rythme de croissance outre-Atlantique. La dernière hausse des taux de la BCE semble donc peu fondée. Après tout, le relèvement des taux directeurs sert à refroidir l’économie. Or, la croissance économique est quasi inexistante… Qu’espère donc la BCE avec cette nouvelle hausse des taux d’intérêt ?
Si l’inflation européenne reste élevée, l’évolution attendue des indicateurs de prix est facile à deviner sur la base des développements précédents aux États-Unis. L’inflation de base dans la zone euro est même plus tenace que l’inflation américaine, mais cela est principalement dû à la structure industrielle et au pouvoir d’un nombre limité de fournisseurs, qui empêchent les forces concurrentielles de faire leur travail.
Cela permet à l’inflation avide de suivre son cours effréné, de sorte que les augmentations des prix des produits de base atteignent sans entrave les caisses enregistreuses des grands magasins, tandis que les baisses se poursuivent (dans le meilleur des cas) avec une lenteur angoissante. Avec 5 minutes de courage politique, l’inflation dans la zone euro peut être contenue beaucoup plus efficacement qu’avec les vexations imposées actuellement par la Banque centrale européenne.
Les hausses de taux d’intérêt de la BCE ne sont qu’une copie servile de ce qui se passe aux États-Unis. Dans les deux cas, l’augmentation des coûts d’emprunt ne fait qu’aggraver l’inflation et maintenir l’inflation de base à des niveaux élevés. Les hausses de taux d’intérêt sont contre-productives lorsque l’inflation augmente en raison de la hausse des coûts et ne sont utiles (dans une certaine mesure) que lorsque l’inflation est causée par une hausse de la demande.
L’erreur de raisonnement impardonnable des banquiers centraux de Francfort et de Washington est de confondre un marché du travail robuste avec une forte dynamique économique. Le premier est dû à des changements démographiques spécifiques, le second n’existe tout simplement pas en Europe et reste limité aux États-Unis.
Mais les marchés boursiers ne se laissent pas abattre pour l’instant. La perspective d’une baisse suffisante de l’inflation dans un avenir prévisible, combinée à une reprise économique qui pourrait s’installer à partir du premier trimestre 2024, fait grimper les marchés boursiers par à-coups. Encore chancelants au début, après la chute vertigineuse de 2022, mais un peu plus fermes aujourd’hui. La plupart des marchés boursiers se rapprochent des niveaux de la fin 2021, voire les dépassent. Même si c’est de justesse…
Graphique 3 : Évolution de quelques marchés boursiers mondiaux depuis le 1er janvier 2022 (rendement en euros)
Fin juillet 2023, l’indice MSCI world (rendement net en euro) est même supérieur de 0,4 % à celui du 1/1/2022. Sur la base de l’indice de rendement en €, le NASDAQ dépasse de 0,9 % le niveau de début 2022. L’indice S&P et le Dow Jones gagnent respectivement 1,9 % et 2,3 %.
Ce n’est pas très impressionnant, nous dites-vous. Et pourtant, c’est le cas. Si l’on tient compte de la poussée inflationniste, de l’affolement des banquiers centraux et des redoutables développements géopolitiques, ces performances sont tout à fait honorables. Surtout si l’on tient compte de la zone euro et de l’indice FANG. Ce dernier a progressé de 12 % depuis le début de l’année 2022.
Mais la plus grande surprise reste la performance étonnamment forte des indices boursiers européens, qui contraste fortement avec les obligations européennes qui continuent de flotter comme des épaves. Malgré le ralentissement de la croissance économique et la proximité du conflit militaire, l’indice boursier de la zone euro a été le premier à sortir la tête de l’eau. Il s’agit sans doute d’un rattrapage, qui n’a d’ailleurs comblé qu’une partie de l’écart avec les Etats-Unis.
Il n’en reste pas moins frappant de constater qu’une partie du terrain perdu est en train d’être récupérée précisément maintenant. La solution à cette énigme est vite trouvée. L’indice des actions de la zone euro est largement composé de valeurs financières (17 %) et attribue à ASML et LVMH (à juste titre) une pondération importante de 5,5 % et 5 % respectivement. Ces deux valeurs ont connu une forte hausse en 2023, alors que les grandes banques européennes augmentent fortement leurs marges basées sur la différence entre les taux interbancaires et la rémunération offerte sur les comptes d’épargne. En conséquence, le niveau de profit des banques européennes a (presque) retrouvé son niveau de … 2000.
La question de savoir si une telle pratique est viable sur une longue période est toutefois ouvertement posée. Le fait est que l’indice des banques commerciales européennes a récemment fait un bond considérable, dépassé seulement par les indices FANG et NASDAQ. Néanmoins, nous continuons à donner la priorité aux investissements qui reposent sur une base solide et qui sont étroitement liés à une tendance intéressante à long terme. La cybersécurité, les applications en nuage, les technologies d’automatisation, de mesure et de contrôle (ou Nano-Tech, comme on les appelle maintenant) et les habitudes de consommation spécifiques.
Compte tenu du contexte économique, financier et géopolitique difficile dans lequel se sont inscrits les récents gains boursiers, la question ne peut manquer de se poser de savoir si les niveaux de valorisation atteints sont toujours justifiés.
À première vue, les ratios cours/bénéfice actuels semblent particulièrement élevés. Si l’on tient compte de la forte augmentation des taux d’intérêt, il semble qu’une évaluation raisonnable ne soit plus possible. En effet, la combinaison de ces deux éléments conduit à une prime de risque particulièrement faible, et cette dernière est précisément le rendement supplémentaire qu’un investisseur en actions espère obtenir. Cela semble indiquer que les marchés d’actions sont excessivement chers.
Cependant, un examen plus approfondi révèle que l’évaluation actuelle est basée sur le niveau de bénéfices attendu pour la mi-2024. Une position audacieuse qui fait un bond dans le futur, dans la période où la reprise économique attendue aura relégué le mauvais second semestre 2023 dans les livres d’histoire. Vraisemblablement en tout cas…
Un postulat aussi audacieux garantit des chutes et des corrections de prix régulières. Mais les marchés boursiers ne se laissent pas facilement berner, surtout après avoir jeté un regard rétrospectif sur une période qui a connu la pire crise sanitaire depuis 100 ans, le conflit géopolitique le plus dangereux depuis 60 ans, la flambée des prix des denrées alimentaires, des matières premières et de l’énergie la plus terrifiante depuis 40 ans, la plus forte vague d’inflation depuis 1981 et les interventions des banquiers centraux les plus discutables de mémoire d’homme. Rien ne semble alors impossible ou insurmontable.
D’ailleurs, comme notre philosophe préféré a su nous le dire : Rien n’est impossible ? Je ne fais rien de mes journées, donc c’est possible.