
Par Hans Stegeman, responsable de la recherche et de la stratégie d’investissemen chez Triodos Investment Management.
Notre situation n’est pas très bonne en ce moment. Sur le plan sanitaire, mais également sur les plans économique et financier, je ne vous apprends rien de nouveau en tant qu’investisseur. Les marchés financiers sont frappés de plein fouet et l’économie réelle s’effondre également dans de nombreux secteurs importants. La raison est claire, mais il n’est pas certain où cela va s’arrêter. Tant que nous ne savons pas combien de temps durera la pandémie du coronavirus, toute estimation de la durée et de la profondeur des dommages économiques est purement spéculatif. Nous ne savons pas combien de temps certaines activités économiques resteront limitées, nous ne savons pas si d’autres secteurs seront soumis à des restrictions supplémentaires et nous ne savons pas non plus jusqu’où les gouvernements iront dans leur soutien aux entreprises. Trop d’incertitudes, mais en tant qu’investisseur, nous aimerions bien sûr savoir quel sera le préjudice éventuel pour les bénéfices (futurs) des entreprises, l’emploi et les revenus. Après tout, les cours de la bourse ne sont-ils pas l’étalon de l’économie qui devrait largement refléter la rentabilité future des entreprises ? Et c’est pourquoi, même si nous sommes encore en plein milieu de la pandémie et que l’incertitude est énorme, cette chronique n’offre qu’un aperçu de l’avenir et une réponse à cette question pressante : comment se passera la reprise de l’économie et des secteurs les plus touchés ? En utilisant l’alphabet, nous examinons les options possibles. Le V de la victoire est pour les optimistes et le M de misère est pour les pessimistes notoires.
Temporaire… mais encore ?
En soi, les conséquences économiques de cette pandémie - défaillance du côté de l’offre, mais surtout de la demande - sont temporaires. On pourrait penser que le pire est passé au moment où tout le monde peut reprendre le travail.
Mais cela ne se passe pas forcément ainsi. Si des entreprises font faillite, si le chômage augmente et si le report des investissements entraîne un ajustement, les effets temporaires peuvent alors devenir permanents. La politique gouvernementale, comme nous le voyons maintenant dans de nombreux pays, peut tenter d’y remédier. Cependant, plus longtemps ces effets persistent, plus il devient difficile d’y remédier.
Un autre sujet dont les investisseurs préféreraient certainement ne pas parler : la valorisation de la plupart des classes d’actifs n’était-elle pas trop élevée juste avant l’épidémie du coronavirus ? Si tel est le cas, il n’y a aucune raison de penser que les valuations retourneront au niveau d’avant l’épidémie de coronavirus.
La casse aux lettres
Même lors de la précédente crise majeure - celle de 2008 - on spéculait sur la forme que prendrait la reprise. De la casse aux lettres de l’époque, je prends quelques lettres et j’ajoute quelques nouvelles options :
Le scénario V : vite en bas, vite en haut. Le scénario le plus optimiste. C’est assez bien pour le moment. Dès que la pandémie aura dépassé son pic, il devrait être possible de compenser ces pertes tout aussi rapidement. Pour les marchés boursiers, cela pourrait signifier qu’il y a une sous-évaluation importante à l’heure actuelle. Avertissement : même pendant la crise financière, nous avons d’abord observé un V. Mais ce dernier s’est transformé en W, avec une crise de l’euro juste derrière. Plus précisément, un W avec une dernière jambe plus petite, parce que la croissance qui a été perdue n’a jamais été rattrapée. Franchement, presque personne ne table plus sur un V. Nous assistons à un repli très rapide, mais la fin des mesures et le retour à la normale ne sont pas encore en vue.
Le scénario U : une variante du scénario V, mais moins exubérante. On reste un peu plus longtemps au fond. Pas un trimestre ou deux, ce que beaucoup envisagent maintenant, mais peut-être un an. Deux facteurs de dépendance : la durée de la pandémie et le degré d’intervention (mondial) des gouvernements.
Le scénario L : pour les vrais pessimistes parmi nous. Elle est mauvaise et ne sera plus jamais bonne. Ce n’est pas vraiment probable dans le cadre de la pandémie actuelle. Dès le moment où les mesures restrictives pourront être levées, il n’y a pas de raison de craindre que l’activité économique ne puisse pas se redresser. Les effets structurels, notamment l’augmentation de la dette, un chômage élevé et prolongé et le report des investissements peuvent bien sûr avoir un effet à long terme sur l’économie.
Le scénario n : nous avons atteint la minuscule et passons du niveau macro au niveau méso. C’est qu’il y a une différence importante entre une crise pandémique et une crise financière. Pour certains secteurs, il ne s’agit pas du tout d’une crise. Prenons les producteurs d’accessoires médicaux ou les services logistiques, par exemple, qui sont en bonne santé ; une forte croissance, une hausse prolongée et, à un moment donné, un affaiblissement une fois la pandémie terminée. D’autres secteurs attrayants existent. Cependant, le sentiment négatif à l’échelle macro reste dominant pour l’instant…
Le scénario r : idem au scénario n, mais sans le mouvement descendant. Il affecte les secteurs qui peuvent vraiment faire mieux à long terme grâce à ces développements. Par exemple, tous les fournisseurs d’équipement pour le travail à distance, où, après cette période d’accoutumance, beaucoup sont susceptibles de connaître un changement structurel. Ou bien tous les commerces en ligne. Une fois que les hommes seront habitués à la commodité de ne pas devoir sortir de chez eux, je ne serais pas étonné d’apercevoir un changement structurel de la demande. Ceci impliquerait aussi quelques petits «L» pour des secteurs où les situations seraient alors pires.
Pas d’abc
Assez de lettres pour tous les scénarios possibles, donc. Mais quel est le scénario le plus probable ? En ce qui me concerne, les chances d’une reprise en forme de U sont les plus élevées, même si la deuxième branche restera un peu plus faible que la première. En d’autres termes, nous ne retrouverons pour l’instant pas les mêmes valuations élevées qu’avant l’épidémie du corona. Je ne vois aucune raison de considérer un grand L pour l’instant. Nous observerons certainement le n, le petit L et le r au niveau des secteurs. Mais pour l’instant, il n’y a qu’une seule lettre qui compte. Vous pouvez deviner laquelle…