Stefan Duchateau
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Vous ne nous entendrez pas vite dire du mal des descendants de l’illustre famille du felis silvestris catus. Contrairement à leurs ennemis jurés à quatre pattes, qui vous trahiraient sans hésiter pour une croquette pour chien de plus, ces nobles animaux domestiques ont sincèrement et volontairement choisi d’adoucir le sort de l’humanité par leur agréable compagnie. En même temps, ils éloignent les rongeurs de votre maison et débarrassent votre jardin des spécimens faibles de la population d’oiseaux. Histoire de maintenir cette espèce aussi en bonne santé. 

En revanche, nous faisons preuve de beaucoup moins de compréhension pour les anciens décideurs politiques qui, au cours de la décennie écoulée, ont dégradé le citoyen européen au rang de spécimen affaibli de l’espèce humaine. En liant leur sort en termes d’approvisionnement énergétique dans une structure d’offre quasi monopolistique aux ambitions et aux frustrations du Kremlin, les consommateurs et l’industrie européens sont devenus un oiseau sans défense pour le chat russe. Sans un changement audacieux de la politique énergétique, le vieux continent sera confronté à un sombre destin darwinien.

Les dirigeants cachés derrière le mur de briques rouges à Moscou, presque en face de l’incomparable cathédrale Saint-Basile, ne vont évidemment pas laisser passer l’occasion d’étrangler l’Europe, avec la ferme conviction que cela entraînera une perte de popularité significative du soutien européen à l’Ukraine. Le roi Hiver, qui a également déjà été un allié crucial des Russes pendant les années traumatisantes de l’occupation allemande, risque à présent aussi de jouer un rôle crucial dans les mois à venir.

Les marchés financiers et, par extension, la civilisation occidentale vont-ils s’effondrer ? Bien sûr que non ! Mais il faudra de la patience et beaucoup de détermination pour surmonter cette phase défavorable. Tenons bon, car cela finira aussi par s’arranger.

Le problème sous-jacent n’est en réalité pas économique, mais géopolitique, et il ne semble pour le moment pas qu’une solution puisse être trouvée de sitôt. Les reportages subjectifs sur le conflit et sa présentation caricaturale brouillent les cartes des deux côtés et ne contribuent en rien à la recherche d’une issue.

À quelques exceptions près, la presse occidentale ne se montre pas non plus sous son meilleur jour. C’est compréhensible étant donné que les lecteurs et téléspectateurs s’intéressent peu aux arguments de la Russie, dont ils condamnent l’action militaire, éloignant ainsi de plus en plus une solution potentielle au conflit.

 

Mais il y a aussi un côté positif à toute cette histoire. Une fois la solution inévitablement en vue, les marchés financiers verront la plupart de leurs problèmes disparaître comme neige au soleil. Fondamentalement, l’économie ne présente en effet aucun problème. Au contraire, en dépit de la pire pandémie depuis 100 ans, du conflit géopolitique le plus dangereux depuis 60 ans, de la pire poussée inflationniste depuis plus de 40 ans, de la pire crise énergétique depuis plus d’un demi-siècle et de la pire sécheresse de mémoire d’homme, les marchés boursiers naviguent prudemment dans cette tempête et, malgré les circonstances ingrates, résistent plutôt bien pour le moment, avec toutefois de grandes différences de performance boursière entre les différents pays et secteurs. 

Graphique 1 : Évolution de plusieurs bourses mondiales depuis l’invasion militaire. (Indice return en euros) 

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Les principales pertes continuent de s’accumuler en ce qui concerne les positions obligataires, les obligations européennes étant particulièrement touchées. En effet, la BCE a beaucoup plus de mal à relever ses taux d’intérêt à court terme étant donné la vulnérabilité de son économie à de nouveaux chocs sur les marchés du gaz et du pétrole. La lutte contre la hausse de l’inflation devrait donc être confiée davantage aux marchés financiers eux-mêmes, qui ne peuvent réagir que par une hausse des taux d’intérêt sur les obligations à long terme.

Cela laisse une traînée de destruction sans précédent sur les marchés obligataires européens et la différence d’efficacité attendue dans la lutte contre l’inflation pousse le dollar américain à son niveau le plus élevé depuis 20 ans. La valeur de notre modèle, calculée sur la base des différentiels de taux d’intérêt réels, va dans le même sens.

Graphique 2 : Taux de change US$/euro et valeur du modèle 

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Les marchés boursiers américains sont, bien entendu, influencés positivement (d’un point de vue européen) par la forte hausse du dollar américain face à l’euro.

 

La plupart des marchés boursiers parviennent à se rétablir assez rapidement après des crochets et uppercuts répétés. Les économies occidentales continuent, elles aussi, à se défendre vaillamment malgré tout, grâce aux aides publiques et aux dépenses de consommation. Pour l’instant, les États-Unis sont soutenus par un marché du travail invraisemblablement fort, l’économie chinoise est de plus en plus stimulée et l’économie russe prospère sous l’afflux de masses d’argent occidental. Même les économies européennes plient, mais ne cèdent pas (pour le moment).

 

Éviter une récession maintenant est néanmoins peine perdue. Mais nous ne sommes pas de ceux qui s’abandonnent au défaitisme. Un revers économique de relativement courte durée n’est effectivement pas fatal. Ni pour l’emploi, la consommation ou les marchés boursiers. Au contraire, cela crée même de nouvelles opportunités. 

L’influence la plus néfaste sur le contexte économique actuel vient de la montée en flèche des prix de l’énergie, qui fait grimper impitoyablement les indicateurs d’inflation et oblige les autorités monétaires à relever les taux d’intérêt, ce qui déclenche à son tour une récession. Toutefois, à condition de trouver une solution politique, l’inflation pourra alors diminuer rapidement et les taux d’intérêt à long terme se stabiliseront à un niveau raisonnable. La combinaison de ces éléments positifs poussera rapidement les marchés boursiers vers de nouveaux sommets. Cependant, le compromis géopolitique se fait attendre depuis un sacré bout de temps et, six mois après le déclenchement du conflit militaire, il semble toujours aussi lointain qu’au premier jour.

 

La hausse des prix de l’énergie anticipe actuellement une nouvelle escalade du conflit, qui se concentre désormais moins sur le plan militaire et davantage sur le plan économique. Cette dernière option est en effet beaucoup plus efficace. La crainte d’une nouvelle réduction stratégique de l’offre fait grimper le prix du gaz à des niveaux stratosphériques, largement aidée par la panique, mais aussi par l’accumulation accélérée des réserves de gaz occidentales.

Cependant, les prix actuels sont insoutenables pour les consommateurs et (surtout) l’industrie européens. Personne n’a besoin d’en être convaincu, que ce soit ici ou sur la place Rouge. En effet, malgré la baisse des prix des matières premières, les coûts de production continuent de grimper, de sorte que les marges bénéficiaires des entreprises implosent et que les consommateurs se retrouvent avec un produit final (beaucoup) plus cher, alors que la pénurie risque de s’accentuer. Et ce, parce que de plus en plus d’entreprises jetteront l’éponge lorsque leur activité deviendra déficitaire en raison de la hausse de la facture énergétique. Selon les attentes de Poutine, la hausse du chômage, la diminution des dépenses de consommation et l’augmentation des dépenses publiques prépareront l’Europe à un compromis politique sur l’Ukraine.

  

La forte baisse inattendue de la plupart des prix des denrées alimentaires est également contrebalancée par l’évolution défavorable des coûts de l’énergie, de sorte que là aussi, le consommateur final ne remarquera guère les récentes baisses des prix du blé, du maïs et du soja, entre autres. Mais ne nous réjouissons pas trop vite, car la tendance récente des prix des denrées alimentaires est à nouveau à la hausse. L’assèchement du Rhin contribue évidemment à cette évolution désastreuse.

 

Malgré les récents revers, les taux d’inflation ont progressivement retrouvé des niveaux plus bas au cours du mois dernier. Cette évolution a été principalement soutenue par la baisse des prix du pétrole et de la plupart des matières premières. Cependant, en raison de l’explosion du prix du gaz, ce processus sera directement ralenti. Sans doute en raison de la hausse des coûts de production et de transport et de la raréfaction des ressources. Cette dernière parce que les entreprises risquent de mettre la clé sous la porte lorsque la hausse de la facture énergétique rend leurs activités déficitaires. 

Graphique 3 : Chute de l’inflation américaine de base (indices PPI, CPI et PCE

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Toutefois, la plus grande inconnue reste la réaction de la banque centrale américaine. Le discours prononcé par le président Powell lors de la grand-messe annuelle des banques centrales à Jackson Hole n’augure cependant rien de bon. Selon nous, la Fed a déjà suffisamment relevé ses taux directeurs, surtout dans le contexte de la hausse du dollar et de l’affaiblissement des indicateurs conjoncturels américains. Les marchés financiers ont donc été surpris par le ton tranchant et le contenu de son message. Après ses errements grotesques du passé, le président de la Fed n’a plus guère de crédibilité, mais cela n’exclut pas une répétition du scénario de 2018 : des relèvements de taux d’intérêt inutiles et la réduction du bilan de la banque centrale à un moment malheureux. Les marchés financiers ont trébuché vendredi soir (26/8) principalement à cause d’une phrase de Powell : (…) estimates of longer-run neutral (policy rates) are not a place to stop or pause (…) 

Cela signifie que la Fed n’hésitera pas à relever le taux directeur au-dessus du niveau neutre. Cela rendra la politique monétaire restrictive et une récession inévitable. Jay Powell se plaît manifestement à se comparer à Paul Volcker, le légendaire président de la Fed qui, au début des années 80, avait porté les taux d’intérêt à des niveaux sans précédent et ainsi étouffé l’économie mondiale. Par la suite, le prix du pétrole a chuté de manière spectaculaire et on aurait dit que Volcker avait jugulé l’inflation. Pure coïncidence, mais c’est ainsi que se crée un mythe. Aucun économiste ne tombe dans ce piège. Mais Powell n’est pas économiste… 

Même dans le contexte actuel, de nouveaux relèvements des taux officiels à court terme ne font rien ou presque pour freiner l’inflation. En effet, la hausse des indicateurs de prix n’est pas due à la croissance économique, mais aux prix de l’énergie et des denrées alimentaires. Des taux directeurs plus élevés n’ont qu’un impact très limité sur ce point, mais ne font qu’augmenter la probabilité d’une récession économique. 

La question de savoir si la banque centrale américaine en est consciente reste pour l’instant ouverte. La probabilité d’une triple hausse (de 0,75 %) le 21 septembre est entre-temps à nouveau (nettement) passée au-dessus de 65 %, suivie de hausses de 25 points de base en novembre et décembre. Même après ces interventions, l’arme des taux d’intérêt risque d’être à nouveau déployée en mars 2023 avec une nouvelle hausse d’un quart de pour cent. Cela nous situerait quelque part entre 3,5 % et 3,75 %, ce qui est inutilement restrictif.

 

Par souci de compréhension, nous pensons que les marchés financiers exagèrent avec ce modèle d’attente actuel, mais la crainte demeure que les autorités monétaires, dans la formulation de leur politique, se concentrent sur le marché du travail actuel, très robuste, et ne prennent pas en compte les signaux concernant l’affaiblissement futur de l’économie américaine. Nos indications préliminaires concernant l’activité industrielle aux États-Unis ne sont pas du tout de bon augure. Toutefois, la vigueur du secteur des services permet de maintenir le cap pour l’instant.

 

Le président russe est sans aucun doute très conscient de cette position de force et sait mieux que quiconque que, par conséquent, il n’a même pas besoin de prendre de nouvelles initiatives militaires pour atteindre son objectif : un libre passage vers le port de Crimée, une zone tampon sûre entre la Fédération de Russie et les États membres de l’OTAN, un respect forcé sur la carte géopolitique et la prise de conscience par ses partisans du fait que l’hégémonie américaine appartient au passé et qu’il faut rechercher un nouvel équilibre. La Chine, quant à elle, est reconnaissante de cette avancée et ne manquera pas de revendiquer sa position en Asie. L’Inde, avec son attitude confiante, impose le respect en tant que pays possédant le plus grand nombre de consommateurs et de travailleurs ainsi qu’une solide ossature technologique. L’Afrique espère que sa position dans les minerais cruciaux lui donnera un meilleur pouvoir de négociation sur les marchés mondiaux. C’en est fini de la Pax Americana.   



 

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