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Si les risques liés au phénomène météorologique El Niño doivent être considérés comme une opportunité, les grands investisseurs néerlandais se montrent prudents et préfèrent les éviter. Il est déjà suffisamment compliqué de quantifier les effets de ce facteur climatique, et de manière plus globale, de tous les autres. 

Le phénomène météorologique El Niño se produit tous les trois à sept ans. Un réchauffement encore inexpliqué de la surface de l’océan autour de l’Amérique du Sud entraîne une modification des conditions météorologiques dans diverses parties du monde, avec à la clé six à douze mois de conditions météo extrêmes qui occasionnent non seulement des souffrances humaines, mais affectent également les entreprises. Le gestionnaire d’actifs américain Morgan Stanley a récemment identifié l’impact d’El Niño sur divers secteurs, mais aussi ses conséquences potentielles sur l’évolution de la valeur des entreprises. 

Thème récurrent 

El Niño est une priorité pour les entreprises et actionnaires du monde entier, comme l’ont constaté les chercheurs de Morgan Stanley, et tout particulièrement à présent que les météorologues lancent diverses mises en garde : la version actuelle d’El Niño est puissante et comparable à celle de 2016, qui avait provoqué inondations, sècheresses, tempêtes, incendies et gel dans plus de quarante pays. Depuis les premiers signes d’El Niño début 2023, le sujet revient dans la plupart des présentations, chiffres à l’appui.

Les entreprises des secteurs alimentaire et énergétique, en particulier, discutent des effets attendus d’El Niño avec les analystes et actionnaires. Mais pour les entreprises actives dans la chimie, la banque, les assurances et les matériaux de construction aussi, le sujet revient souvent sur la table. Il impacte les cours, comme le montrent les données de Morgan Stanley. Les entreprises des secteurs susmentionnés qui examinent les risques liés à El Niño ont généré, , entre janvier et mi-novembre 2023, un rendement jusqu’à 28 points inférieur à celui de l’indice S&P500

Mauvaises récoltes de cacao

Il est précieux pour les investisseurs d’avoir des informations concrètes sur les risques d’El Niño. Des conditions météo extrêmes affectent en effet les entreprises et secteurs dans différentes mesures, selon l’emplacement des terres agricoles, usines et autres activités. Le producteur allemand de chocolat Lindt & Spruengli doit par exemple compter sur de mauvaises récoltes de cacao et tabler sur des prix plus élevés dus aux sècheresses attendues en Afrique de l’Ouest. L’entreprise brésilienne de traitement de canne à sucre São Martinho tourne à 90 % de sa capacité, des pluies excessives minant les récoltes des producteurs de canne à sucre. 

Notons cependant que ces influences météorologiques n’affectent pas négativement toutes les entreprises. L’entreprise brésilienne AES Brasil Energia prévoyait par exemple de bien terminer 2023, notamment grâce à l’effet positif des vents plus forts sur le rendement de ses parcs éoliens. Même les (ré)assureurs ne voient pas uniquement d’un mauvais œil une potentielle augmentation de la sinistralité. Les vents plus violents provoqués par El Niño diminuent l’ampleur des tempêtes tropicales annuelles. Ainsi, la saison cyclonique en zone caribéenne est plus modérée pendant cette période.

Sites de production

Les influences d’El Niño sont incluses dans les modèles utilisés par la plupart des investisseurs pour analyser l’effet des facteurs climatiques sur les portefeuilles d’investissement. La gestionnaire de portefeuille Rosl Veltmeijer, de Triodos Investment Management, a ainsi déterminé que l’effet d’une météo extrême sur les investissements individuels et l’exposition du portefeuille dans son ensemble « est relativement faible. La base de notre politique d’investissement consiste à limiter au maximum l’impact climatique de nos portefeuilles. Nous excluons ainsi les investissements dans l’exploitation minière, l’industrie pétrochimique et d’autres industries lourdes. »

L’équipe a en outre identifié les risques pour les entreprises qui font partie du portefeuille. « Nous nous intéressons aux risques physiques et financiers liés aux sècheresses, aux ouragans, aux inondations, aux séismes et au stress thermique. » Rosl Veltmeijer explique que cela requiert des informations très détaillées, car bon nombre de ces risques dépendent du site exact de production. « Il importe par exemple de savoir de quel côté d’un fleuve se situe l’usine d’une entreprise. » Entretenir de bons contacts avec les dirigeants permet également de mieux comprendre ces risques. « Les conditions climatiques n’étaient pas un sujet de discussion jusqu’à il y a trois ans. Aujourd’hui, une entreprise de télécom va clairement mentionner que les poteaux portant les lignes téléphoniques peuvent résister à des inondations prolongées. » 

Pour Rosl Veltmeijer, il est également crucial de disposer d’informations sur la situation économique du pays. « À quel point l’économie du pays est-elle résiliente et comment son gouvernement aborde-t-il la gestion des risques ? »

Modéliser les risques et opportunités

Pour Achmea Investment Management également, El Niño joue un rôle dans la constitution du portefeuille. Le conseiller fiduciaire Mark Leeijen explique que les équipes du gestionnaire emploient la méthode de la VaR climatique (Climate Value-at-Risk) pour évaluer les risques liés à un changement climatique structurel et à des effets plus temporaires tels qu’El Niño. « Nous utilisons plusieurs ensembles de données issus de fournisseurs de données ESG externes pour modéliser les opportunités et risques financiers générés par les changements climatiques. »  

La combinaison de données sectorielles et de données d’entreprises individuelles est mise en rapport avec divers scénarios de réchauffement climatique, ce qui apporte des informations sur les effets des changements climatiques à long terme et, en fin de compte, sur la perte attendue de valeur au niveau sectoriel ou de l’entreprise en raison des risques physiques, précise Mark Leeijen. « Sur la base de ces informations, nous agissons sur les portefeuilles afin de réduire leur exposition aux risques climatiques. » 

Canal de Panama

El Niño a non seulement un impact sur les actions individuelles, mais aussi sur l’économie dans son ensemble. La hausse des prix alimentaires et les perturbations dans les chaînes logistiques contribuent à l’inflation. Une part substantielle de la production alimentaire mondiale provient de Chine, des États‑Unis, d’Inde, du Brésil et d’Argentine, autant de pays affectés par El Niño. Les analystes de Morgan Stanley évoquent également l’effet de la sècheresse sur la capacité du canal de Panama en Amérique centrale, un itinéraire important dans de nombreuses chaînes logistiques mondiales. La capacité du canal est déjà passée des 36 traversées quotidiennes habituelles à 31 traversées, avec la perspective d’une nouvelle diminution à 18 seulement si la sècheresse persiste. Pour Rosl Veltmeijer, ceci pourrait encore exacerber l’inflation. « Nous avons naturellement déjà vu les effets de perturbations sur les chaînes logistiques pendant le Covid. » 

Prudence

Si le rapport du gestionnaire d’actifs Morgan Stanley montre comment les investisseurs peuvent s’adapter à El Niño, Triodos et Achmea IM choisissent tout de même la prudence. Ces données sont essentiellement utilisées pour signaler et prévenir l’exposition aux risques. Ralph Sandelowsky, gestionnaire de portefeuille spécialisé dans les matières premières explique que chez Achmea IM , « rien n’est timé, les incertitudes quant à la dynamique, l’impact et les emplacements sont trop importantes pour cela. » 

L’équipe préfère plutôt employer les données pertinentes pour indiquer des évolutions à long terme. « Ainsi, nous constatons, pour les cultures agricoles spécifiquement, que des conditions météorologiques extrêmes se traduisent par des amplitudes plus importantes, à la hausse comme à la baisse. L’impact est variable, en fonction de la région et du stade du cycle de vie de la culture auquel se produit le phénomène. Ceci crée en moyenne plus de volatilité, mais sans offrir de contrepartie additionnelle. » Une bonne raison, pour les investisseurs d’Achmea Investment Management, de prendre surtout une position plus longue sur la courbe à terme (c’est-à-dire des contrats à terme qui expirent plus tard, red.), « afin d’optimiser le rapport rendement-risque. » 

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