
Au Luxembourg, les family offices se préparent au changement des jeunes générations qui commencent à prendre plus de contrôle. Avec de nouvelles priorités telles que le développement durable, les outils numériques et l’investissement d’impact, les gestionnaires de patrimoine ajustent la manière dont ils soutiennent leurs clients.
Dans un entretien avec Investment Officer, Pascal Rapallino, président de l’association luxembourgeoise des family office (LAFO), partage son point de vue sur un secteur discret, mais qui évolue rapidement dans le secteur financier.
Alors que les single family offices (SFO) continuent de se multiplier au Luxembourg, attirées par sa stabilité réglementaire et son rayonnement international, les multi family offices (MFO) sont sous pression croissante pour s’adapter. Les outils numériques, les normes de transparence, les objectifs de et les ambitions philanthropiques redéfinissent les attentes des clients. Entre le transfert de patrimoine générationnel et la réinvention stratégique, le family office devient un acteur de plus en plus central dans la gestion à long terme des actifs.
Comment se répartissent les family office au Luxembourg et comment évoluent-ils ?
« Les single family office (SFO), par nature, ne sont pas régulés. Il est donc difficile de donner un chiffre exact, mais on peut estimer leur nombre à une centaine, en incluant les holdings d’investissement de grandes familles. Concernant les multi family office (MFO) régulés par la CSSF, leur nombre est plus restreint (99 d’après le site de la CSSF, chiffre stable, mais en baisse depuis 10 ans, ndlr). Si l’on ajoute les acteurs qui ont obtenu un complément de licence, le nombre augmente significativement.
La tendance pour les SFO et structures assimilées est à une forte croissance au Luxembourg, et ce en particulier ces dernières années. De nombreuses nouvelles structures, qu’il s’agisse d’investment holdings ou de SFO, ou de grandes familles, installent ici leurs structures d’investissement. Cette attraction du Luxembourg est due à une pérennité législative et une souplesse qui contraste avec des changements dans d’autres juridictions comme celui sur les capital gain en Belgique et aux Pays-Bas, ou encore la fin des Non Dom au Royaume-Uni.
Pour les MFO régulés, la croissance est plus contenue, mais il y a une attraction certaine. Il faut aussi considérer les nombreux prestataires de services qui, sans avoir l’agrément MFO complet, offrent des services à la clientèle fortunée, parfois en tant que conseillers économiques ou brokers immobiliers. On observe également une tendance d’anciens banquiers privés à créer leurs propres structures pour accompagner leurs anciens clients. »
Quels sont les principaux défis actuels pour les family offices au Luxembourg ?
« Un défi majeur est la transition générationnelle. Nous arrivons à la fin de la génération des baby-boomers, et la transmission du patrimoine à la «Next Gen» est un enjeu crucial. Les MFO ont un rôle important à jouer pour que cette transition se fasse de manière opérationnelle.
L’autre grand défi est de s’adapter aux attentes de cette Next Gen. Leurs préoccupations sont différentes : digitalisation, reporting, CRM, flexibilité, mais aussi un intérêt marqué pour l’investissement à impact et le «green». Les MFO doivent donc évoluer pour répondre à ces nouvelles demandes, y compris en matière de transparence et de rendement pour ces types d’investissements. Les cryptomonnaies suscitent également l’intérêt d’une partie de cette nouvelle génération, et les family offices doivent être capables d’accompagner leurs clients sur ce terrain, tout en expliquant les risques. »
On observe un intérêt croissant pour le private equity. Est-ce une tendance que vous confirmez ?
« Oui, absolument. Après une décennie exceptionnelle pour le private equity, favorisée par des taux bas, le contexte a changé avec la remontée des taux. Les fonds de private equity se tournent donc davantage vers les grandes familles en tant qu’investisseurs, ce que l’on ne voyait pas du tout il y a dix ans. Nous avons observé une ascension fulgurante du private equity dans les family office. On voit également une augmentation du «co-investissement», où les familles peuvent investir directement aux côtés des fonds, devenant de véritables partenaires. »
Selon une enquête d’Ocorian, près de 70% des family offices prévoient une augmentation de 15% de leurs dépenses philanthropiques au cours des deux prochaines années. Est-ce que vous témoignez aussi de ce phénomène ?
« La philanthropie a toujours été présente, mais elle prend une importance croissante, notamment avec l’essor des critères ESG qui sont devenus incontournables du côté des investisseurs. C’est une tendance de fond, liée à l’augmentation de la concentration des richesses et à une prise de conscience. Faire du bien, que ce soit pour la planète ou pour son prochain, est clairement sur l’agenda de nombreuses grandes familles. La philanthropie fait partie intégrante de l’ADN de la grande majorité d’entre elles. Le rôle des family offices est aussi d’accompagner cette démarche de manière structurée.»
L’environnement économique et géopolitique actuel, avec ses incertitudes, impacte-t-il les family offices au Luxembourg ?
« L’incertitude mondiale pousse à plus de diversification et d’anticipation dans les stratégies d’investissement. Cependant, l’impact direct sur la place luxembourgeoise en tant que telle est limité. Luxembourg reste perçu comme un havre de stabilité et un «bon élève» en Europe, notamment grâce à son cadre réglementaire et sa solidité financière (AAA).
Si la Next Gen souhaite investir en Europe de manière éthique et «green», il n’y a aucune raison de quitter Luxembourg. Les décisions de résidence des familles peuvent être influencées par la géopolitique, mais les structures d’investissement elles-mêmes bénéficient de la stabilité luxembourgeoise. »
Il s’agit donc de garder la tête froide dans l’intérêt de vos clients…
« Notre rôle est multiple : assurer la pérennité des allocations d’actifs avec une vision à long terme, garantir une diversification adéquate (actifs et géographies), faciliter la transmission entre générations de manière coordonnée et avec une gouvernance solide, et enfin, s’assurer que le leadership familial perdure. Il s’agit d’éviter que, comme le dit l’adage, «la troisième génération ne dilapide la fortune». C’est un enjeu crucial, et c’est aussi, bien sûr, dans l’intérêt du family office lui-même. »