
Quelle est la fonction sociale du secteur financier ? Dans l’optique des objectifs climatiques, cette question appelle urgemment une réponse franche. Chacun sait désormais que si nous ignorons le scénario de limitation à 2°C du réchauffement climatique esquissé dans l’accord de Paris, nous nous exposons à des conséquences climatiques et sociales hasardeuses.
Or, à quelques exceptions près, le secteur financier belge a pendant longtemps brillé par son absence dans le débat. Il essaie désormais de rattraper son retard, notamment en travaillant sur un label de qualité pour les produits durables. Mais un secteur qui fait cavalier seul afin de redorer son blason risque d’aller trop vite en besogne sur ce qui est probablement la mutation la plus profonde de l’économie de marché : la transition vers un système économique durable.
La durée de cette phase transitoire dépendra au final du degré de collaboration des parties prenantes. En effet, de nombreux aspects doivent être intégrés dans un vaste plan d’action politique et économique. Et c’est l’UE qui, en tant que chef de file de la durabilité, doit mener le bal. Car le marché n’est pas encore capable d’estimer correctement les risques inhérents à la transition énergétique, et nous ne réussirons dès lors pas sans une réglementation appropriée. Certains secteurs vont devoir s’adapter s’ils veulent une place dans la nouvelle donne. Par ailleurs, les nouvelles technologies ne pourront réaliser une percée significative que si elles peuvent, grâce à des subventions, se développer dans des conditions de concurrence équitable. La transition ne pourra être menée à bien tant que les subventions pour l’énergie fossile subsistent à l’international.
Pour réallouer le capital vers des alternatives durables, le secteur financier, en sa qualité d’intermédiaire, a besoin d’un cadre réglementaire incitatif, qui pénalise les industries non durables en adaptant les prix sur le marché. Fixer un prix pour le carbone représenterait pour cela le moyen le plus adapté. Or, à l’heure actuelle, le marché n’inclut pas encore les conséquences négatives de la combustion de l’énergie fossile. En d’autres termes, les pollueurs ne paient toujours pas la facture. Cela signifie-t-il que nous devons dès à présent supprimer toutes les énergies fossiles de notre économie de marché ? Non, bien au contraire. Peu comprennent les conséquences sociales de tels désinvestissements – et au vu de la situation actuelle, il serait naïf même de les préconiser.
Au final, c’est la transition, et non les désinvestissements, qui va générer la plus forte valeur ajoutée. De plus, il faut le dire clairement : pour certaines activités, il n’existe pas d’alternative durable. Sans même entrer dans le débat sur les possibles pénuries prochaines d’électricité, notre réseau électrique n’est pas encore prêt pour l’adoption massive des voitures électriques.
Les secteurs du transport, de la chimie et de la construction ont enregistré d’immenses avancées, mais pour certains problèmes, une solution acceptable en termes de rapport qualité-prix n’a pas encore été trouvée. La production de ciment et d’acier requiert énormément d’énergie, et nous ne sommes pas du tout encore en mesure d’éviter les émissions de CO2 à grande échelle. Et quid du plastique ? L’on semble oublier que le matériau qui sert de base à tous les emballages est produit à base de pétrole. Enfin, nous ne pouvons pas encore nous passer de l’industrie minière, qui cristallise toutes les critiques. Et pourtant, avec des matières premières telles que le lithium, le nickel et le cobalt, elle offre une base précieuse pour certaines solutions énergétiques durables.
Je plaide donc pour une attitude pragmatique. Le secteur financier a une responsabilité énorme au niveau de la réallocation du capital vers les secteurs et les entreprises qui permettront au final la transition énergétique. Cette dernière ne peut se faire sans l’appui des instances de régulation, qui doivent agir sur notre modèle économique via des subventions et paver la voie vers un avenir durable. La Belgique peut – ou plutôt doit – mener le bal.
Wim van Hyfte est directeur mondial de la recherche et des investissements durables chez Candriam.