Han Dieperink
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En 1996, j’ai mis la main sur le rapport annuel de Cisco qui contenait un CD-ROM avec une présentation du CEO John Chambers intitulée « The internetworking takes off ». À l’époque, il n’était pas encore question d’engouement pour les dotcoms, même si qu’Alan Greenspan n’était pas de cet avis dans son discours sur la notion d’irrational exuberance en 1996.

Presque au même moment, Yahoo! est entré en Bourse. Un de mes collègues, fervent investisseur dans les (bio)technologies, avait souscrit à cette introduction en Bourse. Bien que la performance  de l’action ait été initialement décevante, ce titre a connu une forte hausse au cours du second semestre de 1998.

Après Noël 1998, grâce à l’explosion du cours de l’action Yahoo!, j’ai réalisé  que nous n’avions pas assez d’entreprises internet dans notre offre de titres. Nous nous sommes davantage concentrés sur l’« ancienne économie » que sur la coûteuse « nouvelle économie ». Pourtant, un nom particulier est entré dans notre univers : Softbank. Il était fascinant de constater que la participation de Softbank dans Yahoo! valait plus que l’ensemble des actions de Softbank. En 1999, le cours de l’action de Softbank a été multiplié par vingt ; Masayoshi Son, le CEO de la société, avait compris très tôt que l’Internet serait une réussite. Il a ensuite répété cet exploit avec l’action Alibaba.

Du pionnier de l’Internet au géant de l’IA

Masayoshi Son s’est imposé comme l’un des acteurs les plus influents du secteur technologique mondial depuis les années 1990. Ce milliardaire japonais d’origine coréenne s’est positionné comme un pont entre la Silicon Valley et le Japon, ce qui lui a permis de conclure des accords révolutionnaires tels que le lancement de l’iPhone au Japon en 2008. Cet accord a donné à SoftBank un avantage décisif sur le marché japonais de la téléphonie mobile et a démontré la capacité de M. Son à forger des partenariats stratégiques.

La philosophie d’investissement du CEO de SoftBank se caractérise par des paris audacieux sur les technologies futures. Ses plus grands succès – des investissements précoces dans Yahoo!, Alibaba, le concepteur de puces Arm et ByteDance (TikTok) – témoignent de sa capacité à repérer rapidement les tendances et à en tirer parti à grande échelle. Son investissement dans Alibaba a rapporté des dizaines de milliards à SoftBank et a fait de lui l’un des investisseurs technologiques les plus prospères au monde.

Mais son bilan comprend également des échecs spectaculaires, dont WeWork a été le plus douloureux. Cet investissement a coûté des milliards de dollars à SoftBank et a montré les risques liés à la stratégie d’investissement agressive de M. Son. L’effondrement de la société de coworking a soulevé des questions sur son jugement et son goût du risque.

Le lien avec Donald Trump

Ce qui distingue M. Son des autres investisseurs dans la technologie aujourd’hui, c’est sa relation privilégiée avec le président américain. Ce lien a été établi dès le premier mandat de M. Trump, lorsque M. Son a promis un investissement de 50 milliards de dollars à la Trump Tower en décembre 2016. Après la réélection de M. Trump, M. Son a porté cette promesse à 100 milliards de dollars, un geste qui illustre sa réflexion stratégique sur le marché américain.

L’accord récemment annoncé sur Stargate montre la véritable portée des ambitions américaines de Masayoshi Son. Avec Sam Altman, d’OpenAI, et Larry Ellison, d’Oracle, il a promis d’investir jusqu’à 500 milliards de dollars dans les centres de données d’IA. Ces projets de grande envergure positionnent SoftBank comme un investisseur étranger crucial dans des secteurs stratégiques tels que l’intelligence artificielle et les semi-conducteurs.

L’approche de M. Son à l’égard du marché américain témoigne de sa compréhension des dynamiques politiques locales. Alors que les autres investisseurs étrangers se heurtent souvent à la résistance ou à la méfiance, M. Son est plutôt bien accueilli à Washington. Ses promesses concrètes d’emplois et sa volonté d’investir dans des infrastructures physiques stratégiquement importantes font de lui un partenaire de choix pour l’administration Trump.

Changement géopolitique

Il convient de noter la réorientation stratégique de Masayoshi Son, de la Chine vers les États-Unis. Bien que SoftBank détienne encore des participations importantes dans des entreprises chinoises telles que ByteDance, le changement de cap amorcé ces dernières années est nettement en faveur de l’Amérique. Cette décision reflète non seulement les tensions géopolitiques entre les superpuissances, mais aussi l’approche pragmatique de M. Son en matière d’investissement international.

Cependant, la relation étroite avec Donald Trump comporte également des risques. Des diplomates japonais ont exprimé leur inquiétude quant au rôle d’intermédiaire officieux entre les deux pays que joue M. Son. Lorsque des discussions cruciales ont lieu au plus haut niveau sans passer par les canaux diplomatiques traditionnels, les deux pays se retrouvent dans une situation potentiellement vulnérable.

Avenir et risques

Pour les investisseurs, Masayoshi Son reste un visionnaire qui a connu à la fois des succès spectaculaires et des échecs douloureux. Si ses liens étroits avec M. Trump peuvent ouvrir des portes, ils créent en même temps de nouvelles vulnérabilités. À une époque où la technologie et la géopolitique sont de plus en plus imbriquées, M. Son incarne la complexité de l’investissement international moderne.

En repensant aux années 1990, lorsque SoftBank était encore un acteur relativement inconnu avec une participation sous-évaluée dans Yahoo!, l’ascension de M. Son, qui a créé un empire technologique mondial, est remarquable. Reste à savoir si sa stratégie américaine actuelle sera aussi fructueuse que ses précédents paris sur les géants de l’Internet, ou si de nouveaux défis l’attendent. Ce qui est certain, c’est que le milliardaire japonais continuera à jouer un rôle central dans le développement de l’industrie technologique mondiale, en partie grâce à sa position unique entre l’Est et l’Ouest.

Han Dieperink est directeur de la stratégie d’investissement chez Auréus Vermogensbeheer. Il a auparavant été directeur des investissements chez Rabobank et Schretlen & Co.

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