Han Dieperink
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Le dollar américain a connu une chute spectaculaire au cours des derniers mois. Les investisseurs parlent d’une correction, les analystes d’un tournant et les pessimistes prédisent même la fin de l’hégémonie du dollar. Arrêtons-nous un instant. Même si le dollar chute rapidement, il ne s’agit pas d’un effondrement.

Cette baisse spectaculaire doit être relativisée. Historiquement, le dollar américain reste fort. Son cours a augmenté de plus de 50 % entre 2011 et son pic de 2022, atteignant des niveaux rarement vus depuis les années 1980. 

Après sa récente chute, le dollar a retrouvé ses niveaux d’il y a cinq ans et s’échange 35 % au-dessus de son plus bas niveau de 2011. En outre, le dollar a terminé très fort l’année dernière en raison de l’euphorie suscitée par la victoire de Donald Trump aux élections et des bonnes performances du marché boursier américain. La faiblesse de cette année est principalement une réaction à la vigueur du billet vert en 2024. Plutôt qu’une chute brutale en termes absolus, il s’agit d’une correction rapide après une longue période de performances extraordinaires.

Les arguments contre le dollar

Les raisons de la récente chute du dollar sont nombreuses et préoccupantes. Les politiques commerciales protectionnistes agressives du président Trump ont alimenté les craintes d’un ralentissement économique mondial. L’annonce de droits de douane sur les marchandises en provenance de Chine, d’Europe et d’autres partenaires commerciaux a transformé le dollar en une source de risque plutôt qu’en une valeur refuge, pour la première fois.

La crise de confiance à l’égard de la Réserve fédérale est encore plus préoccupante. Les pressions publiques exercées par M. Trump sur le président de la Fed, Jerome Powell, nuisent à l’indépendance de la banque centrale. Pour une monnaie de réserve, rien n’est plus pernicieux que les doutes sur l’indépendance de la politique monétaire. De plus, les États-Unis connaissent des déficits records : le déficit budgétaire s’élève à 6,8 % du PIB et le déficit de la balance courante à plus de 4 %. Le pays devient de plus en plus dépendant des financements étrangers. La dynamique mondiale est également en train de changer : l’Europe se redresse, la Chine se stabilise, les marchés émergents attirent à nouveau les capitaux.

Les arguments en faveur du dollar

Toutefois, ces inquiétudes sont contrebalancées par de puissants arguments en faveur de l’hégémonie du dollar. Le premier étant qu’il n’y a tout simplement pas d’alternative réelle.

L’euro est souvent cité comme successeur possible, mais cette monnaie présente des faiblesses fondamentales. La zone euro est en fait composée de 27 pays différents qui manquent d’unité dans leur fonctionnement. Chaque crise révèle ce défaut structurel, de la crise de la dette grecque à la récente crise de l’énergie. Le renminbi chinois est entravé par des contrôles de capitaux et un manque de transparence. Pékin souhaite bénéficier des avantages d’une monnaie de réserve, mais pas de l’ouverture et de la libre circulation des capitaux qui en découlent. Tant que la Chine n’ouvrira pas complètement ses marchés financiers, le yuan ne pourra pas devenir un véritable concurrent.

Il existe également des actifs alternatifs comme l’or et le bitcoin. Mais il s’agit en fin de compte de la théorie du plus grand fou : ces investissements valent le prix qu’un idiot est disposé à en donner. Ils sont sans valeur économique intrinsèque et n’offrent pas non plus la stabilité qu’on attend d’une monnaie de réserve. La différence essentielle réside dans le monopole américain de la violence, qui garantit la valeur du dollar. L’or et le bitcoin en sont dépourvus.

Effets de réseau

Ce sont les effets de réseau qui rendent le dollar particulièrement fort. Plus de 80 % des transactions monétaires se font encore en dollars et près de 60 % des réserves mondiales sont en dollars. Cette domination se renforce d’elle-même : puisque tout le monde utilise des dollars, tout le monde veut en avoir. C’est comme le système d’exploitation de Microsoft : ce n’est pas le meilleur, mais comme tout le monde l’utilise, il reste populaire. En outre, les États-Unis disposent du système financier le plus avancé, le plus liquide et le plus fiable au monde. Les titres du Trésor américain offrent toujours la meilleure combinaison de sécurité, de liquidité et de rendements à grande échelle.

Diversification et psychologie des marchés

Néanmoins, la tendance à la diversification est réelle. Nous voyons des accords bilatéraux en monnaies locales, des projets de monnaies des BRICS, la montée en puissance des monnaies numériques des banques centrales. La Chine et la Russie commercent de plus en plus dans leur propre monnaie, et l’Arabie saoudite envisage de vendre du pétrole en yuans. Ces évolutions indiquent une fragmentation progressive du système monétaire, mais restent marginales par rapport à l’hégémonie du dollar.

Il est intéressant de noter que le marché semble actuellement massivement positionné pour une nouvelle baisse du dollar. C’est généralement à ce moment-là que le marché est testé par un dollar plus fort. Lorsque tout le monde penche dans la même direction, le marché a tendance à faire l’inverse.

Conclusion

Le dollar reste donc roi parce que tous ses concurrents présentent de sérieux défauts. Il s’agit d’une hégémonie fondée sur l’absence d’alternatives plutôt que sur sa propre force. Cette situation pourrait perdurer pendant des décennies. L’histoire nous enseigne qu’aucune monnaie ne domine éternellement : la livre sterling a régné jusqu’à la Première Guerre mondiale, puis le dollar a pris le dessus.

Le dollar est peut-être aujourd’hui à l’aube d’une transition similaire, mais il s’agit plutôt d’une transition progressive qui pourrait durer des décennies. En termes de monnaie, la confiance est essentielle, et celle-ci peut s’évaporer en un instant. Jusqu’à l’émergence d’une véritable alternative ayant l’ampleur, la liquidité et la fiabilité du système dollar, le billet vert reste la moins mauvaise des options.

Han Dieperink est directeur de la stratégie d’investissement chez Auréus Vermogensbeheer. Il a auparavant été directeur des investissements chez Rabobank et Schretlen & Co.

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