
Jerome Powell est sans doute sur le point de prononcer le discours le plus important de sa carrière. Cette semaine, lors du symposium annuel de Jackson Hole, le président de la Réserve fédérale doit défendre non seulement ses politiques, mais aussi le principe même de l’indépendance des banques centrales.
Le président Trump l’a publiquement qualifié de « stubborn moron » et a menacé de le limoger. C’est une situation étrange qui illustre exactement pourquoi nous avons besoin d’une banque centrale indépendante.
La tentation politique
Les politiciens veulent toujours des taux d’intérêt bas. C’est compréhensible : de l’argent bon marché signifie plus d’investissements, plus d’emplois et des électeurs heureux. Mais l’économie n’est pas une démocratie où la majorité a toujours raison. Il faut parfois prendre des décisions douloureuses pour protéger le long terme.
C’est exactement ce qu’Arthur Burns n’a pas réussi à faire dans les années 1970, sous la pression de Richard Nixon. Le résultat ? Une inflation supérieure à 10 %, qui n’a été interrompue que par les hausses drastiques des taux d’intérêt de Paul Volcker, jusqu’à près de 20 %. Tout le monde n’a pas retenu cette leçon. Par exemple, le président de la Turquie, Recep Tayyip Erdogan a récemment licencié des banquiers centraux qui voulaient augmenter les taux d’intérêt. Résultat : une inflation de plus de 80 % et une livre turque qui a perdu 82 % de sa valeur en cinq ans.
Le taux d’intérêt neutre comme boussole
Mais l’indépendance seule ne suffit pas. Les banquiers centraux n’ont pas besoin de la politique pour faire des erreurs. Au cours des dernières décennies, ils ont parfois fixé des taux d’intérêt trop élevés, mais le plus souvent trop bas, avec des conséquences désastreuses. Des taux d’intérêt trop bas entraînent des bulles, des entreprises zombies et une mauvaise répartition du capital. Des taux d’intérêt trop élevés étranglent l’innovation et la croissance.
La solution consiste à déterminer avec précision le taux d’intérêt neutre, c’est-à-dire le niveau de taux d’intérêt auquel l’économie est en équilibre, sans inflation ni déflation. Le taux directeur idéal devrait se situer juste au-dessus de ce taux neutre. Pourquoi ? Cela favorise la fluidité des marchés.
Les entreprises qui ne croissent qu’au rythme de l’économie n’ont pas intérêt à se financer par l’endettement. En effet, le coût des emprunts est plus élevé que leur taux de croissance. Mais les entreprises qui peuvent croître plus rapidement que le taux d’intérêt neutre grâce à l’innovation ont intérêt à emprunter. La différence entre leur taux de croissance et le taux d’intérêt constitue leur profit.
La fin des entreprises zombies
Ce mécanisme simple a deux effets puissants. Tout d’abord, les entreprises zombies – celles qui ne survivent que grâce à de l’argent bon marché – disparaissent. Elles ne peuvent pas supporter les taux d’intérêt plus élevés et disparaissent du marché, libérant ainsi des capitaux pour des utilisations plus productives.
Deuxièmement, les entreprises sont fortement incitées à innover. Ce n’est qu’en se montrant plus intelligentes que la concurrence qu’elles pourront surmonter l’obstacle des taux d’intérêt. Cela favorise la créativité, l’efficacité, l’innovation et le progrès.
Le robot banquier central
Il est peut-être temps de lancer une idée radicale : une intelligence artificielle dans le rôle de banquier central. Un algorithme qui s’appuie exclusivement sur des données économiques, sans tenir compte des pressions politiques, de la couverture médiatique ou du sentiment social. Un système qui calcule avec précision le taux d’intérêt neutre et qui se maintient constamment juste au-dessus de ce taux, quel que soit le président à la Maison Blanche.
Bien sûr, cela présente aussi des inconvénients. L’économie n’est pas seulement une affaire de mathématiques, et les circonstances exceptionnelles requièrent parfois un jugement humain. Mais compte tenu des antécédents des banquiers centraux humains – de Burns à Greenspan en passant par la génération actuelle – cela mérite d’être pris en considération.
Jackson Hole, un tournant
Le discours de M. Powell cette semaine est important pour sa propre réputation et pour le principe de l’indépendance des banques centrales dans le monde entier. Si la Fed cède aux pressions politiques, d’autres banques centrales pourraient suivre. Les conséquences seraient désastreuses : l’inflation, l’instabilité et la fin de la confiance dans la politique monétaire.
L’ironie est que M. Trump, en attaquant M. Powell aussi ouvertement, montre exactement pourquoi nous avons besoin de banques centrales indépendantes. Les politiciens raisonnent en termes de cycles électoraux, les économies fonctionnent en décennies. Ces deux horizons temporels sont fondamentalement désynchronisés.
Dans l’air raréfié des montagnes du Wyoming, l’enjeu va bien au-delà de l’héritage personnel de M. Powell. En enfilant leurs chapeaux de cow-boy et en échangeant leurs théories économiques avec en toile de fond les montagnes du Grand Teton , les invités pourraient bien déterminer l’avenir du capitalisme lui-même. Car si nous ne pouvons pas faire confiance aux banquiers centraux pour s’élever au-dessus du tourbillon politique, nous devrions peut-être effectivement nous tourner vers les machines et les algorithmes. L’ironie serait totale : dans le but d’éliminer le facteur politique de la politique monétaire, nous rendons la politique monétaire aussi humaine que possible, en la confiant à des machines.
Han Dieperink est directeur de la stratégie d’investissement chez Auréus Vermogensbeheer. Il a auparavant été directeur des investissements chez Rabobank et Schretlen & Co.