Han Dieperink
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Pour des générations d’investisseurs, l’évangile était simple : investissez dans un portefeuille équilibré composé de 60 % d’actions et de 40 % d’obligations. Cette formule sacrée a été transmise de gestionnaire de patrimoine en gestionnaire de patrimoine, de père en fils, comme une loi immuable de la physique financière. Mais que se passe-t-il lorsque l’intelligence artificielle passe au crible cette sagesse ancestrale ? La réponse surprendra de nombreux investisseurs.

Le portefeuille équilibré traditionnel était essentiellement un vestige de l’époque où les ordinateurs étaient des calculatrices et où les données de marché étaient collectées manuellement. Vous déterminez votre allocation d’actifs une fois pour toutes, vous l’ajustez au maximum une fois par an et vous espérez que tout ira pour le mieux. Les systèmes d’intelligence artificielle ont une approche fondamentalement différente. Pour un algorithme, un portefeuille « neutre » n’est pas une recette fixe, mais un point d’équilibre dynamique qui évolue constamment.

Au moment où vous lisez ces lignes, l’IA, quelque part dans le monde, analyse des milliers de points de données par seconde : des indicateurs économiques fondamentaux aux images satellites des ports chinois, du sentiment prévalant sur les réseaux sociaux aux corrélations complexes entre les devises et les matières premières. Ces systèmes peuvent détecter les régimes de marché en temps réel et réagir en quelques millisecondes, sans le bagage émotionnel qui affecte les investisseurs humains.

Répartition des risques

Alors que le portefeuille équilibré classique tient compte principalement des grandes catégories d’actions et d’obligations, l’IA introduit un équilibre beaucoup plus nuancé. Au lieu de considérer l’Europe dans son ensemble, un système d’intelligence artificielle peut conclure que les actions italiennes devraient représenter 16 % du portefeuille en raison d’une sous-valorisation cyclique, tandis que les actions allemandes ne devraient représenter que 2 %, malgré leur statut traditionnellement « sûr ».

Il ne s’agit pas d’un hasard. C’est le résultat de calculs complexes qui tiennent compte du momentum, de la valorisation, de la liquidité et des cycles macroéconomiques d’une manière pratiquement impossible à réaliser pour les analystes humains. Par exemple, un système d’IA peut détecter que la corrélation entre les marchés asiatiques et européens a temporairement baissé en raison de schémas de négociation spécifiques, et réagir immédiatement.

Investir dans l’or, sans émotion

Le changement le plus fascinant concerne peut-être la manière dont l’IA traite ce que nous appelions autrefois les « investissements alternatifs ». L’or n’est plus considéré comme une « couverture contre la peur » que l’on achète quand la fin du monde approche. Pour l’IA, l’or est un investissement rationnel qui répond à des facteurs spécifiques et mesurables : taux d’intérêt réels, évolution du dollar et cycles de momentum.

En période de baisse des taux d’intérêt réels, l’or peut très rapidement représenter 5 à 10 % du portefeuille – un pourcentage bien plus élevé que ce que les modèles traditionnels n’oseraient jamais suggérer. Inversement, le même système peut éviter complètement les matières premières lorsque la volatilité des cours devient trop importante par rapport aux rendements attendus. Elle reconnaît que toutes les classes d’actifs ne méritent pas toujours une place dans un portefeuille.

La révolution obligataire

Le bouleversement le plus spectaculaire concerne les obligations. Traditionnellement, les emprunts d’État constituaient la base stable de tout portefeuille – le lest fiable qui assurait la stabilité. Les systèmes d’IA sont devenus beaucoup plus sélectifs. Ils peuvent choisir spécifiquement les obligations d’État japonaises tout en évitant les obligations américaines et européennes, sur la base des courbes de rendement, des attentes en matière d’inflation et de la dynamique des devises.

Cette sélectivité permet aux obligations de fluctuer entre 0 % et 50 % du portefeuille, en fonction de leur attrait relatif. Cela correspond beaucoup mieux à la réalité des rendements réels négatifs de nombreuses obligations que l’adhésion dogmatique aux taux fixes.

Le paradoxe du momentum

Les modèles traditionnels supposaient un retour à la moyenne – les marchés finissent par revenir à leur valeur moyenne, ce qui rendait intéressant l’achat de titres inférieurs à cette dernière. Les systèmes d’IA sont plus nuancés. Ils reconnaissent que certaines tendances peuvent persister tandis que d’autres s’inversent. Cela conduit à des portefeuilles qui, paradoxalement, peuvent être à la fois à contre-courant et axés sur le momentum, en fonction de la classe d’actifs et de l’horizon temporel.

Ce qui est révolutionnaire, c’est que la définition même du terme « neutre » est en constante évolution. Ce qui était considéré comme une allocation neutre en janvier peut être fondamentalement différent en juin parce que de nouvelles données économiques ont modifié l’attractivité relative.

Cependant, même les portefeuilles pilotés par l’IA ont des limites. Ils ne peuvent pas prendre en compte les événements de type « cygne noir » ou les changements structurels fondamentaux qui sortent du cadre de leurs données. La définition de la tolérance au risque et des objectifs d’investissement nécessite toujours une intervention humaine. L’IA peut optimiser les paramètres donnés, mais les valeurs finales doivent être déterminées par les humains.

L’avenir, c’est maintenant

Nous sommes à l’aube d’un changement fondamental dans notre façon d’envisager l’investissement. Au lieu d’allocations statiques basées sur des règles empiriques, nous obtenons des points d’équilibre dynamiques, basés sur des données, qui s’ajustent en temps réel. Plus qu’une amélioration technologique, il s’agit d’une révolution conceptuelle.

La question n’est plus « Quelle est la bonne répartition des actifs ? » mais « Quelle est la répartition optimale compte tenu des conditions actuelles, et comment doit-elle s’adapter à l’évolution de ces conditions ? » Pour l’investisseur de demain, cela signifie des portefeuilles beaucoup plus réactifs que les approches traditionnelles. Cela nécessite également une nouvelle forme de confiance, non pas dans les règles statiques et la sagesse traditionnelle, mais dans le pouvoir des données, des algorithmes et de l’adaptation constante.

Le portefeuille équilibré est mort. Vive le portefeuille équilibré du futur, intelligent, adaptatif et piloté par l’IA.

Han Dieperink est directeur de la stratégie d’investissement chez Auréus Vermogensbeheer. Il a auparavant été directeur des investissements chez Rabobank et Schretlen & Co.

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