Han Dieperink
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L’intelligence artificielle est encore sous-estimée, tant en termes de portée que de rapidité de mise en œuvre. Ce constat a un petit air de déjà vu… L’ordinateur personnel dans les années 1980, l’Internet dans les années 1990, le smartphone à partir de 2007 : toutes ces technologies révolutionnaires ont été massivement sous-estimées par les analystes, les investisseurs et même les plus grands optimistes. Aujourd’hui, nous vivons la même chose avec l’intelligence artificielle, mais à un rythme qui éclipse toutes les révolutions technologiques précédentes.

Revenons à 1981, quand IBM prévoyait que la demande mondiale atteindrait cinq ordinateurs. Ou en 1995, lorsque Robert Metcalfe, inventeur d’Ethernet, a prédit que l’internet s’effondrerait sous son propre poids en l’espace d’un an. Steve Ballmer raillait l’iPhone, le jugeant trop cher et incapable de rivaliser avec le BlackBerry. À maintes reprises, la réalité a largement dépassé les attentes les plus folles.

Le marché des PC s’est développé pour atteindre non pas des milliers, mais des milliards d’appareils. L’Internet n’est pas devenu le passe-temps de quelques universitaires, mais le système nerveux de l’économie mondiale. L’iPhone n’a pas seulement créé une nouvelle catégorie de produits, il a transformé des secteurs entiers, des taxis au commerce de détail, de la photographie à la banque.

Le doute sur l’IA de 2024

Les mêmes voix se font entendre aujourd’hui à propos de l’intelligence artificielle. Au cours des derniers trimestres, nous avons entendu des voix sceptiques à propos de l’engouement pour l’IA. Tous ces milliards de dollars investis dans les centres de données seront-ils rentables ? Existe-t-il vraiment une demande pour une telle puissance de calcul ? Ne sommes-nous pas dans une bulle qui risque d’éclater à tout moment ?

Ces questions sont compréhensibles, mais historiquement elles sont complètement erronées. Le marché a une tendance persistante à sous-estimer les technologies transformatrices, et non à les surestimer. Nous voyons déjà les premiers signes que l’IA est adoptée plus rapidement et plus largement que ne le prévoyaient les optimistes. Cela s’explique en partie par le fait que notre cerveau humain ne sait pas traiter la croissance exponentielle. Nous sommes habitués à penser de manière linéaire. C’est la raison pour laquelle Einstein a qualifié le pouvoir des intérêts composés de huitième merveille du monde. Non pas parce qu’il s’agit d’un calcul compliqué, mais parce que cela dépasse rapidement notre imagination, même celle d’Einstein.

Accélération par nécessité

Ce qui différencie cette révolution de l’IA des avancées précédentes, c’est la pression externe qui accélère l’adoption. Les tensions géopolitiques créent une urgence que nous n’avons pas connue avec le PC ou le smartphone. Historiquement, les guerres ont toujours été des catalyseurs de progrès technologiques, du radar à l’Internet, du GPS aux écrans tactiles.

Les conflits actuels montrent de manière spectaculaire comment l’IA modifie la nature de la guerre. Les drones remplacent les chars, les munitions intelligentes rendent l’artillerie traditionnelle obsolète. Mais plus important encore : la guerre commerciale entre les grands blocs économiques oblige les entreprises à rechercher des avantages concurrentiels. Et c’est là que l’intelligence artificielle excelle : automatisation des processus, optimisation de la prise de décision, création de nouveaux produits et services.

Si l’homme a tant progressé, c’est grâce à sa capacité unique à s’adapter à des circonstances changeantes. La créativité émerge sous la pression et la créativité conduit à l’innovation. L’IA est l’outil idéal pour cela.

Le scénario Uber-Goldilocks

Cette combinaison de facteurs conduit à ce que j’appelle le scénario Uber-Goldilocks : une situation économique qui dépasse le scénario classique de Boucle d’or des années 1990. Alors qu’à l’époque, nous parlions d’un environnement économique de croissance et d’inflation « juste comme il faut » – ni trop chaud, ni trop froid – nous voyons aujourd’hui le superlatif du conte de fées Boucles d’or.

L’IA génère des gains de productivité qui permettent une croissance économique structurellement plus élevée, tout en créant des pressions déflationnistes grâce aux gains d’efficacité. Résultat : une croissance exceptionnelle combinée à une inflation moins élevée que prévu, ce qui permet aux banques centrales de maintenir les taux d’intérêt à un niveau bas, voire de les réduire davantage. Pour les investisseurs, c’est le scénario rêvé. Des résultats commerciaux solides grâce à une productivité basée sur l’IA, combinés à un environnement de taux d’intérêt favorable. Et tout cela alors que le « mur de la peur » – le scepticisme généralisé à l’égard des investissements dans l’IA – reste très élevé.

Les Années folles, cent ans plus tard

Les parallèles historiques indiquent deux précédents : la seconde moitié des années 1990, lorsque l’Internet a transformé l’économie, et les Années folles du siècle dernier, lorsque l’électrification de masse et l’automobile ont dopé la croissance économique.
L’impact de l’intelligence artificielle – où l’impact est égal à la masse multipliée par la vitesse – fait que même les scénarios historiques extrêmement positifs sont encore sous-estimés. Alors que le travail manuel a été automatisé dans les années 1920, nous sommes en train d’automatiser la matière grise humaine. À cet égard également, l’impact est beaucoup plus important.

L’IA se déploie plus rapidement que l’Internet, se répand plus largement que les smartphones et a un impact plus profond que l’électricité. Les entreprises actuellement présentes dans ce secteur sont donc encore sous-évaluées, car le marché a à nouveau tendance à sous-estimer les changements transformateurs. L’histoire nous enseigne que les technologies révolutionnaires ne se développent pas progressivement, mais explosent de manière exponentielle une fois qu’elles atteignent une masse critique. Nous sommes aujourd’hui à la veille de cette explosion de l’intelligence artificielle.

Les investisseurs, les chefs d’entreprise et les décideurs politiques qui anticipent l’ampleur réelle de la révolution de l’IA cette fois-ci se positionnent pour ce qui sera la plus grande transformation technologique de l’histoire de l’humanité. Ceux qui sous-estiment à nouveau risquent le même sort que ceux qui ont sous-estimé le PC, internet ou le smartphone. La question n’est pas de savoir si l’IA va transformer le monde, mais à quelle vitesse et de quelle manière cela se fera. Si l’histoire nous enseigne une chose, c’est que le bouleversement sera plus rapide et plus radical que nous n’osons l’imaginer aujourd’hui.

Han Dieperink est directeur de la stratégie d’investissement chez Auréus Vermogensbeheer. Il a auparavant été directeur des investissements chez Rabobank et Schretlen & Co.

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