Jan Vergote
Jan Vergote

Certains pays adoptent une position d’active non-alignment (ANA). Qu’est-ce que cela signifie exactement, quelles sont les implications économiques et comment certains pays de l’ANASE et des BRICS en tirent-ils parti ?

Nous pouvons définir l’ANA comme « la poursuite de ses propres intérêts dans tous les domaines ». Il s’agit d’une approche géopolitique plus dynamique, en fonction des questions spécifiques. Lorsqu’il s’agit de protéger la démocratie ou les questions humanitaires, par exemple, ces pays choisissent le mode de pensée européen. En revanche, lorsqu’il s’agit de commerce, ils sont plus enclins à choisir celui de la Chine.

Le Vietnam et la Malaisie en sont deux exemples, dans le groupe de l’ANASE. Le Vietnam compte sur les États-Unis pour assurer sa sécurité, tandis que la Chine est son principal partenaire commercial. Le pays travaille donc avec les deux superpuissances sans s’engager dans un quelconque bloc. La Malaisie, comme le Vietnam, opte pour une coopération en matière de sécurité avec les États-Unis, mais bénéficie en revanche d’investissements chinois à grande échelle.

Cela se traduit par l’adoption de positions opposées à l’égard d’un pays donné, en fonction des objectifs. Intrinsèquement, ce positionnement a un caractère conflictuel. Les efforts diplomatiques se multiplient et ne mènent pas toujours à une solution. 

L’augmentation des droits de douane imposée par le président américain à l’Inde ou au Brésil en est un exemple. L’achat par l’Inde de pétrole russe bon marché démontre sa position de non-alignement actif avec les États-Unis.

L’ordre traditionnel remis en question

Cette approche de non-alignement actif s’applique de plus en plus aux pays des BRICS et de l’ANASE. N’oublions pas que le groupe BRICS est né de manière informelle parce que des institutions comme le FMI ou la Banque mondiale ne défendaient pas suffisamment leurs intérêts. 

Aujourd’hui, les BRICS représentent respectivement 36 % du produit national brut mondial et près de la moitié de la population mondiale. L’ordre international tel qu’il existe aujourd’hui est de plus en plus remis en question par cette situation. Il suffit de penser au changement climatique (États-Unis contre Chine), à la dette souveraine (approche du FMI contre celle de la Chine à l’égard des pays émergents) ou à la monnaie (dédollarisation contre renminbi).

L’Égypte, l’Éthiopie, l’Iran et même les Émirats arabes unis ont rejoint les BRICS (Brésil, Russie, Inde et Chine). N’oublions surtout pas les nouveaux pays partenaires, comme le Belarus, la Bolivie, Cuba ou l’Ouzbékistan. Tous ces pays ne sont pas directement associés à la culture économique occidentale et suivent de plus en plus une politique de non-alignement actif. Le Vietnam a rejoint le groupe en tant que 10e pays partenaire en juin de cette année.

Les organismes officiels tels que la Banque mondiale ou le FMI sont progressivement marginalisés par de nouvelles institutions disposant de fonds considérables. En Asie, l’ANASZ (Association des Nations de l’Asie du Sud-Est) cohabite avec l’APEC (Coopération économique Asie-Pacifique) et l’ADB (Banque de développement pour l’Asie). Cet état de fait façonne l’infrastructure économique mondiale. 

Dans son document sur les projections à long terme intitulé « Le monde en 2050 », le cabinet de conseil PwC prévoit les taux de croissance suivants en Asie : Vietnam 5,3 %, Philippines 4,5 %, Indonésie 4,3 %, Malaisie 4,1 % et Thaïlande 3,5 %. Ces pays connaîtront une progression significative dans les classements économiques au cours des prochaines années.

Calcul économique

La montée en puissance économique de la Chine est en partie à l’origine de l’essor de la politique de non-alignement actif. Les intérêts économiques des échanges avec les États-Unis sont de plus en plus comparés avec ceux des échanges avec la Chine, que ce soit en termes de commerce ou de technologie.

Entre en ce niveau l’approche commerciale de leurs produits de base, tels que les denrées alimentaires, les métaux rares, le minerai de fer ou le pétrole. Le Financial Times signale que du pétrole est exporté du Venezuela, de l’Iran ou de la Russie vers l’Inde et la Chine, malgré les sanctions américaines. La Chine investit également dans la sécurisation des futures chaînes d’approvisionnement. Les récentes discussions sur le canal de Panama en sont la preuve.

Le degré de non-alignement actif va de pair avec les avantages économiques potentiels dans un avenir proche. La question est de savoir ce que l’on a à gagner ou à perdre et cela implique un coût d’opportunité.

Par ailleurs, l’Inde a récemment établi de nouvelles relations commerciales avec la Chine. Après des mois de querelles frontalières et de conflits économiques, les deux pays se sont retrouvés pour relancer leurs relations commerciales.

Protection

La stratégie de l’ANA présente plusieurs avantages pour les pays de l’ANASE. Ils ont accès aux deux superpuissances, ce qui offre une certaine protection économique. Les deux superpuissances investissent également dans les pays de l’ANASE : La Chine investit dans les infrastructures (avec l’initiative Belt and Road, par exemple), tandis que les États-Unis investissent davantage dans la technologie. Les deux superpuissances espèrent ainsi renforcer leur présence sur le continent.

En choisissant activement de ne pas choisir, les pays réduisent les risques géopolitiques. Les grandes puissances sont montées les unes contre les autres. Cela se reflète notamment dans leur pouvoir de négociation, ce qui explique pourquoi ces pays concluent des accords commerciaux séparés avec les deux grandes puissances.

Conclusion

Les pays de l’ANASE, et dans une moindre mesure les BRICS, sont incontournables dans un portefeuille diversifié. Leur politique de non-alignement actif sera payante à long terme.

Jan Vergote est analyste et conseiller financier indépendant. Il rédige des tribunes pour Investment Officer Belgique.

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