Ces dernières semaines, la célèbre « règle de Sahm » a suscité de nombreuses discussions. S’agit-il simplement d’un énième indicateur annonçant une récession, ou est-il préférable de se tourner vers Claudia Sahm elle-même pour en saisir la véritable interprétation ? Examinons également d’autres indicateurs prétendument prédictifs d’une récession et, pour finir, écoutons les propos de Jay Powell.
1. L’indicateur Sahm
Claudia Sahm, consultante et ancienne économiste à la Réserve fédérale, est particulièrement bien placée pour analyser l’état de l’économie américaine. L’indicateur qui porte son nom établit un lien entre le début d’une récession et le taux de chômage : une récession devient probable lorsque la moyenne des trois derniers mois du taux de chômage augmente de plus de 0,5 % par rapport à son point le plus bas des 12 derniers mois.
Mais c’est là que le bât blesse, estime Claudia Sahm. L’indicateur est mal interprété : il ne fait que signaler que l’économie se trouve à un point de basculement, rendant indispensable la mise en place d’un soutien et de mesures. Claudia Sahm cherche à fournir une alerte précoce en cas de détérioration de la situation, à montrer la présence d’une dynamique et la nécessité d’un coup de pouce (par exemple, sous la forme de baisse des taux d’intérêt ou d’allègement fiscal).
En dehors des périodes de récession classiques, son indicateur est au vert, explique-t-elle, mais au cours des récessions, il passe au rouge. C’est pourquoi elle a voulu concevoir un indicateur qui signale le besoin d’une intervention. Elle n’avait absolument pas créé cet outil dans le but d’en faire un indicateur de récession. L’emploi constitue un élément central dans son indicateur, explique-t-elle, car si nous perdons des consommateurs, nous perdons du même coup les deux tiers de la croissance économique. Un ralentissement peut déclencher un effet multiplicateur difficile à stopper.
Via Bloomberg Opinion, elle s’exprime en ces termes : « Les États-Unis ne sont pas en récession actuellement. Cependant, mon indicateur reste très pertinent. Le risque de récession est élevé, ce qui augmente la probabilité d’une baisse des taux d’intérêt par la Réserve fédérale américaine. Le National Bureau of Economic Research définit une récession comme une baisse significative de l’activité économique qui perdure pendant plusieurs mois. Cependant, l’annonce officielle de la récession n’intervient que plusieurs mois après la publication des données. Actuellement, ces données montrent encore une croissance solide (notamment les dépenses de consommation, la croissance salariale…). Même si cette croissance ralentit, elle demeure positive. Ma règle [qu’elle a créée en 2019, NDLR] vise précisément à réduire le délai entre les résultats du NBER et le début effectif de la récession, afin de servir d’indicateur permettant de redynamiser l’économie. »
Pour elle, ce n’est pas le niveau absolu du chômage qui importe, mais son évolution. Par exemple, la récession de 1969-1970 a commencé avec un taux de chômage de 3,5 %, tandis que celle de 1981-1982 a débuté avec un taux supérieur à 7 %. Cette différence s’explique en partie par l’effet d’une population vieillissante, mais aussi par des participants au marché du travail plus expérimentés. C’est pourquoi une focalisation sur des périodes plus courtes (par exemple, un an) permet de mieux comparer les récessions.
Elle souligne également la situation atypique de l’économie actuelle. Sa règle fonctionne bien lorsque la demande de travailleurs diminue, mais ce que nous observons aujourd’hui est différent : une hausse du chômage provoquée par une augmentation de l’offre de travailleurs. Le rééquilibrage du marché du travail après la pandémie de Covid-19 n’est pas un processus linéaire et peut inclure des périodes de faiblesse temporaire.
Sa règle ne fait pas de distinction entre la demande et l’offre de travailleurs. Cependant, une récession peut également survenir en période de hausse de l’offre de main-d’œuvre (comme dans les années 70), ce qui signifie que le signal actuel ne constituerait finalement pas une exception. Elle observe aujourd’hui néanmoins certains signaux d’alerte, tels que les retards de paiement sur les crédits et l’affaiblissement du marché du travail.
Examinons maintenant d’autres indicateurs.
2. Capital Economics et la corollary rule
Ce cabinet de conseil se base sur les chiffres de la participation au marché du travail plutôt que sur les taux de chômage. Ils montrent qu’une récession survient systématiquement lorsque le rapport entre la moyenne sur trois mois de la participation au marché du travail et la population diminue de 0,5 % par rapport au maximum des douze mois précédents. Leur seuil critique est fixé à -0,5 %, et leur résultat se situe actuellement à -0,4 %. Ils concluent donc qu’il n’y a pas encore lieu de paniquer.
Eux non plus ne considèrent pas ces indicateurs comme des règles économiques rigides prédictives d’événements spécifiques, mais insistent sur la nécessité de nuancer l’interprétation, tant de l’indicateur Sahm que de leur propre indicateur. Selon eux, l’indicateur Sahm doit être complété par d’autres indicateurs du marché du travail, tels qu’une forte augmentation des demandes d’allocations de chômage et une baisse de la participation au marché du travail. À ce jour, aucun de ces deux indicateurs n’émet de signal d’une récession imminente, écrivent-ils.
3. Que dit UBS ?
UBS souligne également l’effet de l’augmentation de l’offre de main-d’œuvre (par exemple, à travers la croissance démographique ou une participation accrue au marché du travail). Une hausse du chômage due à une augmentation de l’offre est moins préoccupante qu’une baisse de la demande. UBS accorde davantage d’attention à la participation au marché du travail, avec en soi une règle similaire à celle de Capital Economics, mais affinée : ses équipes distinguent les faux des véritables prédicteurs de récession et obtiennent ainsi un signal d’alerte lorsque ce chiffre atteint -0,48 %.
Une autre différence réside dans l’utilisation du dernier chiffre de la série : UBS ne l’inclut pas dans son calcul, contrairement à Capital Economics. Selon UBS, lorsque la moyenne sur trois mois du rapport entre la participation au marché du travail et la population diminue de plus de 0,48 % par rapport au pic des douze derniers mois, cela coïncide généralement avec une récession. Actuellement, leur calcul s’établit à -0,36 %.
Leur approche diffère finalement peu de celle de Capital Economics. Eux non plus n’y voient pas une prédiction, mais plutôt une règle indiquant si l’économie risque ou non de tomber en récession. On pourrait y voir une échappatoire, mais l’économie n’est pas une science exacte et il faut donc bien comprendre ce qui est en jeu. Quoi qu’il en soit, leur chiffre se rapproche dangereusement du seuil critique.
4. Le commentaire de la Fed de vendredi dernier
Jay Powell a déclaré à Jackson Hole qu’il était prêt à abaisser les taux d’intérêt en septembre, car il observe des risques de ralentissement sur le marché du travail. Cependant, l’ampleur de cette baisse restera « dépendante des données », en tenant compte de l’équilibre entre les risques et les perspectives économiques générales. Il est déjà établi que le marché du travail ralentit (les offres d’emploi ont diminué d’un tiers aux États-Unis) et que l’inflation de base a également fortement reculé. Les taux d’intérêt de la Fed demeurent à un niveau élevé depuis des mois, ce qui alourdit le coût réel du crédit et freine l’économie. À titre d’exemple, le taux moyen d’un prêt automobile s’élève aujourd’hui à 8 %.
La question qui taraude les acteurs du marché est de savoir si la Fed n’attend pas trop longtemps avant de réduire les taux d’intérêt (et si elle est, dans le jargon spécialisé, « en retard sur la courbe »). Le marché semble le penser : les analystes évaluent à 35 % la probabilité d’une baisse des taux de plus de 0,5 % en septembre.
Atterrissage en douceur ou plus brutal ? L’inquiétude persiste sur le marché. Le message de Claudia Sahm est clair : il est temps que les gouvernements soutiennent le marché. Le S&P 500 affiche un ratio cours/bénéfices attendus de 18,7 (calcul médian). Le pic s’établissait à 22 en 2021, ce qui laisse encore de la marge, mais pour combien de temps et dans quelle mesure ? Un investisseur averti en vaut deux.
Jan Vergote est analyste et conseiller financier indépendant.