Jan Vergote
Jan Vergote

Selon l’économiste Nouriel Roubini, l’exceptionnalisme américain persistera parce que les avantages de la haute technologie génèrent un surplus de croissance. Il convient toutefois de faire preuve d’une certaine prudence.

« Les États-Unis sont bien positionnés pour le reste de la décennie, écrit Nouriel Roubini dans sa dernière analyse. Certaines politiques peuvent être stagflationnistes, tandis que d’autres favorisent l’investissement, la croissance et la désinflation. Plus fondamentalement, les États-Unis restent au centre d’une dynamique positive de l’offre induite par la technologie, qui augmente la croissance et réduit l’inflation au fil du temps. »

D’ici la fin de la décennie, la croissance économique potentielle des États-Unis pourrait atteindre 3,5 à 4 %, prévoit encore M. Roubini. Il garde toutefois une carte dans sa manche et écrit que des risques baissiers et des corrections peuvent survenir, sans s’attarder sur le sujet. Je vais donc passer ces risques en revue avec vous.

1. La guerre commerciale se fera sentir tôt ou tard

Le droit d’importation moyen pondéré, qui sert de référence pour les droits d’importation, se situera entre 18 et 23 % d’ici la fin de l’année, selon l’USITC (US International Trade Commission) et le Census (bureau du recensement). À titre de comparaison : en 1930, à l’époque de la loi protectionniste Smoot-Hawley Tariff Act, il était de 19,8 %. Il n’existe toujours pas de stratégie claire aujourd’hui. Au contraire, elle change au gré du vent et les attaques contre les alliés traditionnels se poursuivent. Tôt ou tard, l’économie subira les conséquences de cette guerre douanière.

2. Immigration nette négative pour la première fois depuis 2015

Sous la présidence de Joe Biden (janvier 2021-2025), l’immigration nette est passée de quasi zéro (2020) à 2 millions en 2022, puis s’est maintenue à peu près à ce niveau en 2023 et 2024. Des études ont démontré à maintes reprises que les immigrants ne remplacent pas la main-d’œuvre locale, mais la complètent. Il n’y a qu’à prendre l’exemple de secteurs tels que la construction ou l’agriculture, où il y a tout simplement une pénurie de travailleurs.

Moins d’immigrants signifie donc une croissance plus faible. Alors que sous l’ère de Joe Biden, une croissance de 20 000 immigrants tous les trois mois n’était pas une exception, nous nous trouvons aujourd’hui dans une situation de croissance négative de -0,5 million, selon le US Bureau of Labor Statistics (BLS).

3. La perturbation causée par le DOGE (Department of Government Efficiency)

Alors qu’en 2023, le gouvernement fédéral américain recrutait encore (un peu plus de 5000 personnes en moyenne tous les 3 mois selon le BLS), ce chiffre est passé à près de 15 000 départs au milieu de l’année, ce qui représente une baisse d’environ 80 000 personnes cette année. L’impact de ces licenciements sur la croissance est estimé à -0,3 % cette année.

L’un des départements qui sera le plus durement touché est celui de l’éducation : par rapport à 2024, les dépenses ont diminué de plus de moitié (fin octobre). Il y a donc une crise de l’éducation, avec des problèmes de garde d’enfants, des salaires plus bas pour les enseignants et une dette étudiante qui monte en flèche. Si vous voulez affaiblir un pays, vous devez réduire les budgets alloués aux universités et à la recherche fondamentale.

4. Les consommateurs et les entreprises restent prudents

Après avoir atteint près de 160 (indice de sentiment) au début du premier mandat du président Donald Trump, le sentiment des consommateurs est tombé à 80, pour remonter à 125 avec M. Biden. Aujourd’hui, nous sommes à nouveau autour de la barre des 80. L’indice de confiance du Conference Board brosse à peu près le même tableau. 

Sans surprise, nous avons lu que c’est à partir de la crise de 2008 que les travailleurs américains se sont inquiétés pour l’emploi. Les données historiques montrent que les intuitions des Américains sur le marché du travail sont souvent proches de la vérité : il existe une corrélation avec le chômage six mois plus tard. Selon Chris Bangert-Drowns, du Washington Center for Equitable Growth, l’emploi dans les secteurs exposés à des droits de douane plus élevés continue de diminuer.

5. L’inflation continue de peser sur les consommateurs

L’inflation sous-jacente est en baisse, mais reste assez élevée (3 %). En revanche, l’inflation sous-jacente des biens est en hausse : d’un creux de -2,2 % à 1,54 % aujourd’hui, avec une flambée de 5 % pour les voitures d’occasion. Les entreprises devraient répercuter davantage la hausse des droits de douane, ce qui pourrait accentuer la pression sur l’inflation (et sur la Fed). La décision prise par Donald Trump de revenir sur ses mesures tarifaires avec le Brésil n’est pas une surprise.

Il est donc utile de se référer à l’indice PCE Diffusion, qui calcule la différence entre le pourcentage de prix en hausse et le pourcentage de prix en baisse. On constate une forte augmentation (de -20 à près de +60) au cours de l’année écoulée. Un indice PCE Diffusion élevé signifie qu’une grande partie des catégories de dépenses subissent des augmentations de prix, c’est-à-dire une tendance générale à l’augmentation des prix dans de nombreux secteurs d’activité, ce qui rend les décideurs politiques plus prudents dans leur politique monétaire. 

Il n’est donc pas étonnant que les taux hypothécaires réels à 5 ans et les taux fixes à 30 ans soient encore très élevés aujourd’hui (respectivement 1,5 et 6,2 %). Il faut remonter à avant 2010 pour trouver des taux d’intérêt aussi élevés.

6. La cryptomanie à la peine

Nous constatons que le marché des cryptomonnaies est sous pression. Aujourd’hui, cela reste limité à un signal de risque. Mais des taux d’intérêt élevés (et des liquidités en baisse), une croissance faible et une fuite générale vers des investissements sûrs pourraient provoquer une réaction en chaîne. Ce n’est pas une coïncidence si la BCE met en garde contre la fragilité de la stabilité financière alors que les valorisations des marchés des actions, du crédit et des actifs atteignent des sommets.

Conclusion

J’ai esquissé quelques pistes d’où pourraient surgir des vents contraires aux États-Unis : la guerre commerciale actuelle et la volatilité qui y est associée, l’expulsion des immigrants du pays, la réduction des effectifs du gouvernement, la prudence des consommateurs et des entreprises, la rupture des alliances et, enfin, l’inflation qui ne diminue pas suffisamment. 

M. Roubini écrit que le pessimisme concernant l’économie américaine dans les années à venir n’est pas justifié. Des éléments tels que la politique monétaire accommodante, les investissements dans l’IA, l’essor des monnaies numériques et des secteurs connexes devraient continuer à stimuler la croissance. Des corrections intermédiaires sont toutefois possibles, écrit-il. Le retour de la Bourse américaine ces dernières semaines s’inscrit dans cette logique. 

Même si les arguments de Nouriel Roubini sont valables et crédibles, une certaine prudence à l’égard du marché boursier américain aujourd’hui ne peut pas faire de mal. Il est recommandé de diversifier ses investissements en privilégiant les actions de qualité en Europe, sur les marchés émergents et au Japon.

Jan Vergote est analyste et conseiller financier indépendant.

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