
La note de crédit des États-Unis est en baisse. Les investisseurs espèrent que l’euro jouera un rôle plus important et qu’un nouveau marché pour les obligations en euros verra le jour.
Donald Trump a récemment proposé de convertir les obligations d’État américaines existantes en obligations à 100 ans, voire en obligations perpétuelles, en échange d’allégements tarifaires ou d’une aide militaire. Cette mesure s’inscrit dans le cadre d’un plan plus vaste visant à réduire structurellement la valeur du dollar. Mme Lagarde estimait que le moment était venu pour un « euro mondial », qui permettrait de positionner notre devise comme une alternative.
Mais aujourd’hui, il n’y a pas d’union politique et budgétaire. L’union des marchés de capitaux est incomplète, mais surtout, la croissance atone entraîne des faiblesses structurelles. De plus, plusieurs pays de la zone euro ont des dettes publiques élevées. Ce dernier point, en particulier, fait frémir certains pays lorsqu’il est question de créer des obligations européennes.
Fin mai, deux économistes influents, Olivier Blanchard et Angel Ubide*, ont donc formulé une proposition : « Now is the time for Eurobonds: a specific proposal », évoquant les obligations « bleues » et « rouges ».
Obligations bleues et rouges
Les termes bleu et rouge proviennent d’une proposition antérieure des économistes Jacques Delpla et Jakob von Weizsäcker (2010) qui visait à résoudre les problèmes d’endettement de la zone euro, sans mutualisation complète de la dette. Mais la volonté politique pour y parvenir faisait défaut, en partie à cause de la méfiance à l’égard des nouvelles dispositions financières à mettre en place.
Avec leur récente publication, MM. Blanchard et Ubide tentent de donner un nouveau souffle à cette discussion. Ils proposent de convertir une partie des obligations d’État nationales existantes en euros en obligations européennes (obligations bleues).
La part convertie doit être suffisamment importante pour créer un marché profond et liquide. Il va sans dire que les deux sont liés : plus le marché est grand, plus les obligations deviennent liquides et activement déployables sur le marché financier (par exemple pour les opérations de mise en pension auprès de la banque centrale ou sur le marché à terme). Plus la part de la dette nationale convertie en obligations bleues est importante, plus la réaction des Frugal Four (les pays économes que sont les Pays-Bas, l’Autriche, le Danemark et la Suède), par exemple, sera forte. C’est pourquoi une garantie conjointe n’est pas acceptable aujourd’hui (les petits pays supporteraient alors une dette importante par rapport à leur PNB).
Statut senior
Les obligations bleues doivent avoir un statut prioritaire (droit de remboursement et d’intérêt prioritaire par rapport aux autres dettes). La garantie de qualité dépendra donc de la volonté et de la capacité des gouvernements respectifs à payer les intérêts sur leurs obligations bleues. MM. Blanchard et Ubide suggèrent l’idée de réserver une partie des recettes de la TVA au paiement des intérêts. Il faudra trouver un équilibre où la part des obligations bleues est suffisamment importante pour assurer la liquidité nécessaire, mais suffisamment faible pour qu’il n’y ait pas de risque pour le statut senior.
Les auteurs concluent (après consultation des acteurs du marché) que la conversion des obligations nationales en obligations bleues à hauteur de 25 % du PIB est suffisante pour assurer la liquidité et ne soulève pas de questions quant à leur sécurité. En conséquence, au niveau de la zone euro, le ratio dette nationale/PIB reviendrait à 60 %, ce chiffre étant voisin ou supérieur à 60 % pour les quatre principaux pays de la zone euro (France, Allemagne, Italie et Espagne). Une fois que le cadre sera opérationnel et bien accepté, le seuil de 25 % pourra être relevé.
Implications
A priori, les obligations bleues devraient donner un taux d’intérêt plus faible et les obligations nationales un taux légèrement plus élevé, de sorte que le coût moyen ne changerait guère. Mais l’histoire ne s’arrête pas là, selon MM. Blanchard et Ubide. La création d’un marché plus profond et plus liquide devrait conduire à des taux d’intérêt encore plus bas que le taux du Bund. Le développement des marchés connexes devrait également renforcer cet effet positif sur les taux d’intérêt. Par extension, le marché des obligations d’entreprises pourrait également être relancé.
La sensibilité de la dette nationale aux taux d’intérêt pourrait bien sûr être plus grande, mais cela devrait encourager les gouvernements nationaux à se conformer davantage aux règles budgétaires de l’UE, avec une plus grande discipline budgétaire qu’aujourd’hui.
Conclusion
Un tel système à deux voies – les obligations bleues sûres et, à côté, les diverses obligations nationales avec leurs différents taux d’intérêt – devrait finalement conduire à des taux d’intérêt plus bas en moyenne pour chaque État membre individuellement, et s’accompagner d’une plus grande discipline budgétaire. Dans le même temps, un vaste marché liquide est créé sans partage des risques. Ainsi, le marché européen deviendra plus autonome sur le plan stratégique et constituera immédiatement une alternative plus valable au dollar.
(*) PIIE (Peterson Institute For International Economics): Now is the time for Eurobonds: a specific proposal by Olivier Blanchard (PIIE) and Angel Ubide (Citadel), 30 may 2025.
Jan Vergote est analyste et conseiller financier indépendant.