Jan Vergote
Jan Vergote

En matière de pronostics sur le dollar, on trouve tout et son contraire dans la presse financière. La devise déchaîne les passions, et son impact sur le marché obligataire et boursier ne doit pas être sous-estimé. Il est donc temps d’y voir plus clair quant aux diverses positions et à leurs conséquences.

1. Qu’est-ce qui plaide en faveur du dollar ?

1.a. L’attente d’un « Donald Trump Boost » économique n’a pas duré bien longtemps : l’indice du dollar américain a grimpé de 3,3 % depuis fin septembre, alors que Donald Trump confortait son avance en tête de la campagne présidentielle. Sa promesse d’une croissance de 3 % l’an prochain, grâce à des réductions d’impôts et une réglementation allégée, a suffi à éveiller un intérêt accru pour les investissements américains. Bien entendu, les technologies innovantes jouent un rôle dans ces taux de croissance élevés, combinées à des promesses de faible inflation agrémentées de mots clés tels que productivité, efficacité, numérisation et automatisation.

Plus de croissance, mais avec un risque d’inflation accrue : voilà qui replace sur le devant de la scène la politique de taux d’intérêt de la Fed, au bénéfice du dollar. Les prévisions de croissance du T4 sont estimées à 3,3 % (source : Fed d’Atlanta), tandis que l’inflation sous-jacente est en hausse. La croissance de l’économie américaine et le taux d’intérêt à court terme contribuent à la vigueur du dollar : les différentiels de taux d’intérêt influencent en effet l’évolution des devises.

Quarante-sept professeurs académiques prévoient une croissance de seulement 2,3 % l’an prochain, pour un taux d’intérêt de 3,5 % fin 2025.

1.b. Le dollar conserve son statut de valeur refuge, même lorsque les États-Unis se tirent une balle dans le pied (avec le plafond de la dette, par exemple). 

1.c. Si les droits de douane sont effectivement mis en œuvre, le risque d’inflation s’en trouvera accru et la Fed continuera d’utiliser l’instrument des taux d’intérêt. En effet, les taux de change nominaux s’adaptent pour compenser les changements en matière de compétitivité, ce qu’a d’ailleurs confirmé Scott Bessent, nommé ministre des Finances : deux droits de douane imposés sur trois se traduisent par une appréciation du dollar, selon lui. Il envisage également un nouveau Bretton Woods dans les cinq ans. J’ai hâte de voir cela.

1.d. La croissance des trimestres à venir sera déterminante pour l’évolution du dollar. En gros, les flux de capitaux vers les États-Unis (la demande de dollars) ne devront pas être inférieurs aux ventes de dollars.

1.e. L’architecture financière du commerce mondial est définie par les banques qui envoient des fonds dans le monde entier, ce qui rend le dollar extrêmement difficile à éviter. Même si les États-Unis ne représentent que 15,5 % du PIB mondial (à l’aune de la théorie de la parité du pouvoir d’achat), le dollar est actuellement lié à 88 % de toutes les transactions de devises internationales, et 58 % de toutes les réserves sont détenues en dollars.

Certains pays BRICS essaient de développer un système parallèle alternatif pour contourner le système du dollar, des monnaies numériques et blockchains à la plateforme de paiement chinoise Sips. Il est néanmoins bien trop tôt encore pour recourir à ces alternatives pour affaiblir le dollar, et aucun plan coordonné n’a encore été défini pour ce faire à court terme. 

2. Qu’est-ce qui plaide, à terme, en défaveur du dollar ?

2.a. Donald Trump affirme qu’il ramènera le déficit budgétaire de 6,5 à 3 % tout en promettant des réductions d’impôts. Réduire les dépenses publiques alors que la croissance de la population stagne (s’il met en œuvre sa politique d’immigration, ce dont, du reste, je doute fortement) et que la population active est au plus haut pourrait entraîner des problèmes de croissance. Même s’il parvient à ramener la croissance de la productivité au niveau d’avant 2000, la croissance réelle du PIB ne sera que de 0,5 % (source : John Hussman).

Si Donald Trump créait ainsi un désastre économique et que le système financier du dollar commençait à être remis en question, un net affaiblissement ne serait cependant pas à exclure. Le double déficit serait alors certainement mis en relief. Les facteurs décisifs de l’affaiblissement du dollar ne sont pas à chercher en Chine, ni où que ce soit, sinon dans la politique et l’économie des États-Unis mêmes.

2.b. L’histoire nous a montré qu’une reprise de la croissance hors des États-Unis implique un affaiblissement du dollar. Si l’Europe parvient à unir ses forces et prend le rapport de Mario Draghi au sérieux, si l’Allemagne relance son économie et si la Chine s’oriente davantage sur les consommateurs via sa politique monétaire et budgétaire, nous aurons déjà deux blocs en mesure de contrer le dollar.

2.c. L’usage du dollar dans le système financier comporte également des risques. Un dollar trop fort rend particulièrement difficiles les remboursements en dollars pour les pays émergents, notamment les exportateurs de matières premières. Je fais ici une petite digression sur la Chine : si Donald Trump fait vraiment mal à ce pays sur le plan économique, nous devrons faire attention aux dommages collatéraux pour les pays qui dépendent de la Chine pour leurs importations et exportations.

Les pays émergents ne seront pas les seuls affectés : des alliés des États-Unis, comme le Japon ou l’Australie, le seront également. Personne n’a intérêt à ce que les pays émergents entrent en crise : cette dernière mettrait en danger la stabilité financière internationale et constituerait une sérieuse menace pour le dollar.

3. Conclusion

La croissance de l’économie américaine demeure cruciale pour le dollar, mais personne ne peut pour l’heure prédire son évolution future. Quoi qu’il en soit, Donald Trump veut tout à la fois : plus de croissance, moins de dépenses publiques et plus de taxes douanières : a hell of a job. Il est d’ores et déjà incontestable que Donald Trump devra mettre beaucoup d’eau dans son vin sur le plan économique.

Bien estimer toutes ces questions est la clé d’investissements réussis. Qui aurait par exemple pu prévoir la chute de Bashar al-Assad ? Cela montre bien à quel point tout cela est difficile. Je vous souhaite d’ores et déjà un joyeux Noël, une très belle année et une boule de cristal bien réglée pour 2025.

Jan Vergote est analyste et conseiller financier indépendant.

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