Jan Vergote
Jan Vergote

Ces dernières semaines, les journaux ont abondé de commentaires sur les attaques de Donald Trump contre le président de la banque centrale américaine. Ce dont ils parlent beaucoup moins, ce sont les conséquences potentielles à long terme de ce qui se passe aujourd’hui aux États-Unis.

La réélection de Donald Trump à la présidence américaine l’a rendu plus radical, plus systématique dans son approche de réécriture de l’histoire américaine des dernières décennies. L’Amérique elle-même sera-t-elle la principale victime de son approche ? Tentons de récapituler.

Les reculs stratégiques des États-Unis

Au cours des décennies précédentes, le pays sortait renforcé de chaque crise. Ce fut le cas après la Seconde Guerre mondiale, la Guerre froide, mais aussi après la débâcle au Vietnam, à la suite de laquelle le pays a trouvé un second souffle grâce à son rapprochement avec la Chine de Mao. Mais la guerre du Vietnam a également commencé à modifier la société américaine. Le pays est devenu plus prudent dans les interventions militaires à l’étranger. Nous en avons vu les conséquences dans le retrait d’Afghanistan, mais aussi dans l’inaction du président Obama face aux attaques chimiques en Syrie. Outre l’ouverture à la Chine, un accord visait à limiter l’armement (SALT) avec l’Union soviétique.

Mais ce qui s’est passé ces derniers mois est d’un tout autre ordre. La gestion des relations avec la Russie, l’Ukraine et l’Europe par le nouveau président américain, d’une part, et son approche d’endiguement de la Chine, d’autre part, indiquent un revirement complet.

Les alliances stratégiques (avec l’Europe, le Canada, l’Amérique latine ou l’Asie) sont systématiquement sapées, voire simplement abandonnées. Tout cela mène de plus en plus à un scénario perdant-perdant.

La démocratie mise à mal

C’est le signe avant-coureur d’une autocratie, où il n’y a plus de freins ni de contrepoids. Petit à petit, Donald Trump démantèle les piliers démocratiques de son pays. Il se retourne contre le pouvoir judiciaire, l’avortement et les droits des minorités sont supprimés, la liberté de la presse est bafouée, les universités sont muselées. Ce radicalisme existe depuis des années, mais il prend aujourd’hui de l’ampleur et contribue à la désintégration complète de la société américaine.

Les conséquences pour le pays et ses partenaires économiques sont déjà visibles. L’Europe peut-elle encore considérer le pays comme un partenaire commercial fiable ? Après tout, le Vieux Continent n’est plus une priorité pour le président américain. Ses voisins les plus proches et ses partenaires commerciaux de longue date (le Canada, le Brésil et le Mexique) préparent des contre-mesures. Les investisseurs internationaux observent avec inquiétude la situation à Taïwan. La Chine va-t-elle tirer les leçons de la nouvelle approche géopolitique de Donald Trump (où seules les superpuissances comptent) ?

Qu’est-ce que cela signifie pour l’économie mondiale ?

Depuis la réélection de Donald Trump, les marchés obligataires et boursiers ont connu une volatilité accrue. Ses déclarations inappropriées à l’égard de M. Powell (« Je vais le destituer plus tôt que prévu car c’est vraiment un idiot, un âne têtu ») ont poussé les taux d’intérêt à long terme à la hausse. Son comportement « TACO » (Trump Always Chickens Out – Donald finit toujours par faire marche arrière) en matière de droits de douane maintient les marchés boursiers à un niveau élevé pour l’instant. Mais la hausse des taux d’intérêt est précisément ce qu’il ne veut pas, car elle oblige les entreprises et les particuliers à mettre la main à la poche lorsqu’ils contractent de nouveaux emprunts. Plusieurs scénarios circulent par ailleurs. Les optimistes y voient une économie plus dynamique, d’autres, en revanche, parlent d’une stagflation débouchant sur une récession. Je pense que l’économie américaine pourrait être beaucoup plus fragile aujourd’hui que ce que le marché estime.

Bien sûr, tout n’est pas négatif. L’Europe doit en ressortir plus forte. C’est ainsi qu’Ursula von der Leyen a proposé un budget européen de 2000 milliards d’euros. Avec la Chine ou l’Inde, nous continuerons, espérons-le, à travailler sur la transition énergétique. Aux États-Unis, heureusement, il y a les 50 États avec leurs propres réglementations et budgets, et de nombreuses multinationales prennent leurs responsabilités (non seulement en termes de climat, mais aussi en termes de nouvelles chaînes d’approvisionnement). 

La question de savoir si le dollar perdra son rôle de monnaie de réserve reste ouverte, mais le processus de dédollarisation a commencé et pourrait rapidement basculer en mode panique.

Que nous réserve l’avenir (après la présidence Trump) ?

La politique illibérale aux États-Unis pourrait se poursuivre dans les années à venir. Qui viendra après lui ? Son vice-président .D. Vance ? Ce dernier est plus structuré, plus intelligent peut-être, mais il est plus radical en termes d’idéologie et pourrait donc être plus dangereux que son prédécesseur. Le fait que M. Vance soit favorable aux idées de Curtis Yarvin (blogueur populiste) (qui considère la dette américaine non pas comme une dette mais comme des actions à droits restreints) en dit long.

Les démocrates ne souhaitent pas non plus nécessairement revenir au modèle libéral des dernières décennies. Chaque pays continuera à chercher des moyens de contourner la suprématie de l’Amérique, si ce n’est par ses propres moyens, du moins par le biais de coalitions ad hoc. Pour la Chine, c’est déjà l’occasion d’accélérer sa suprématie technologique. Le pays ne se laissera pas faire et ripostera (le blocage des terres rares n’est qu’un exemple).

L’Amérique est-elle sur le déclin ?

Une étude récente menée par MM. Funk, Schularick et Trebesh (qui étudient les effets sur la croissance de 50 populistes depuis 1900) montre qu’après 15 ans, le PIB est inférieur de 10 % à ce qu’il serait dans des circonstances normales. L’affaiblissement de l’État de droit, la perturbation du marché (par des droits de douane) et la dissolution des alliances sont associés à une croissance plus faible. 

Plus les populistes d’extrême droite restent au pouvoir longtemps, plus les Bourses se dégradent (source : Harvard Business Review). Ils ne sont pas les seuls à obtenir ces résultats. L’étude récente de Lei&Wisniewski (2025) suggère une volatilité plus élevée dans les États illibéraux, accompagnée de rendements boursiers plus faibles.

Reste à savoir si tout se déroulera de cette manière. Le principe « TACO » l’emportera-t-il ? En avril, le FMI avait déjà revu à la baisse le taux de croissance mondial attendu, le ramenant de 3,3 % à 2,8 %. Les titres d’ouvrages récents, Le suicide de l’Amérique, de François Heisbourg, ou encore Menace sur l’état de droit, de Patrice Spinosi, donnent matière à réflexion. Un investisseur averti en vaut deux.

Jan Vergote est analyste et conseiller financier indépendant.

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