Jan Vergote
Jan Vergote

Alors que nous entamons une nouvelle année boursière, il peut être utile d’examiner la politique monétaire de la Réserve fédérale américaine. Pour ce faire, je me baserai sur les réponses de Jerome Powell à des questions essentielles posées par des journalistes financiers. Quels enseignements peut-on tirer de ses réponses ?

Précisons tout d’abord que Jerome Powell a commencé par souligner à plusieurs reprises le double objectif des banques centrales : un taux d’emploi maximal et des prix stables (c’est-à-dire une inflation inférieure ou égale à 2 %). Toutes les décisions et les réponses doivent être envisagées dans ce contexte.

a. Les membres de la Fed prévoient une baisse médiane de 50 points de base du taux d’intérêt de la Banque centrale.

Le système des banques centrales américaines prévoit que les taux d’intérêt à court terme atteindront 3,9 % d’ici la fin de l’année, soit une baisse de 50 points de base. Je cite : « Ne voyez pas ceci comme un programme ou une décision. De plus, la baisse a été un close call pour deux raisons. Le marché du travail se refroidit peu à peu et l’inflation est en grande partie maîtrisée. Les services domestiques restent un domaine problématique : la baisse y est légèrement plus lente que prévu. Les niveaux de prix de certains biens et services non marchands, tels que les soins de santé, restent également préoccupants. Le ralentissement de la baisse des taux d’intérêt cette année reflète donc l’attente d’une inflation plus élevée ».

La baisse de 100 points de base en 2024 a permis de se rapprocher du taux neutre. La Fed considère que le taux d’intérêt actuel de 4,3 % constitue un frein significatif. Pour que la baisse se poursuive, il faut que l’inflation et le marché du travail continuent d’évoluer dans le bon sens. Tant que ces indicateurs sont bons, la prudence reste de mise, a déclaré Jerome Powell. 

b. La décision actuelle est-elle basée sur des données ou sur l’anticipation des mesures budgétaires de Donald Trump ?

La Fed apporte les éléments de réponse suivants :

  • b.1. L’économie et les taux d’intérêt se portent bien. La croissance a été plus forte que prévu au second semestre 2024 et est également plus vigoureuse que leurs prévisions pour cette année. Le taux de chômage est plus faible. Les membres de la Fed pensent donc que les risques de dégradation et l’incertitude ont diminué. L’inflation attendue cette année est quant à elle supérieure aux estimations. 
  • b.2. Nous nous rapprochons du taux d’intérêt neutre, ce qui appelle à plus de prudence car l’incertitude demeure concernant l’inflation. Les membres ont des points de vue divergents sur la croissance et l’inflation. Ces incertitudes se reflètent aussi clairement dans leurs perspectives : la plage médiane des estimations relatives au taux d’intérêt neutre à long terme s’étend aujourd’hui de 2,4 à 3,9 % (avec des valeurs extrêmes de 2,2 à 4,1 %), ce qui explique la prudence de la Fed. Nous devons d’abord constater des progrès en matière d’inflation et confirmer la solidité du marché du travail, a déclaré Jerome Powell.

c. Est-ce qu’on peut faire un rapprochement avec l’année 2018, au cours de laquelle les acteurs économiques toléraient ponctuellement des droits de douane plus élevés ?

Selon la Fed, il s’agit d’une bonne comparaison, car certains effets sont effectivement ponctuels, alors que d’autres ne le sont pas. Mais ce n’est pas le problème aujourd’hui. Jerome Powell a indiqué que les gouverneurs attendaient maintenant de voir quel sera le niveau des droits de douane, à quels pays ils vont s’appliquer, pour combien de temps, s’ils seront permanents et s’il y aura ou non des mesures de rétorsion. Il a notamment insisté sur les effets que peuvent avoir des droits de douane plus élevés sur les prix à la consommation et l’économie, et sur la façon dont la politique monétaire peut y répondre. Il est donc encore trop tôt aujourd’hui pour faire une comparaison avec 2018.

d. Que signifie extent and timing pour la Fed ?

Si l’économie évolue comme prévu, la Fed estime que nous devons réduire les taux d’intérêt plus lentement. L’ordre de grandeur des estimations indique à quel point les taux d’intérêt doivent être abaissés pour atteindre des niveaux neutres. Puisque les taux ont déjà diminué de 100 points de base, nous nous en rapprochons. Par conséquent, le calendrier suit cette logique.

e. Malgré la baisse de 100 points de base, les taux d’intérêt sur les prêts immobiliers, les prêts automobiles et les cartes de crédit ont peu évolué. Cela ne représente-t-il pas un risque plus important que prévu ?

Les défauts de paiement sur les cartes de crédit augmentent. Le taux d’épargne des personnes aux revenus les plus faibles est nul et les dépréciations pour emprunteurs défaillants par les banques et les sociétés de crédit augmentent (par exemple, chez Capital One, le taux de dépréciation est passé de 5 % à 6 %). Ces dépréciations sont en moyenne supérieures d’au moins 1 % à celles de l’année précédant la pandémie et laissent présager un plus grand nombre de défauts de paiement cette année. Les défauts de paiement sur les prêts à effet de levier sont également en augmentation et se situent à 7,2 % selon Moody’s.

Ces taux d’intérêt sont liés aux taux d’intérêt à long terme. Ils sont bien entendu en partie influencés par les taux courts, mais aussi par de nombreux autres facteurs. La Fed examine les conditions financières globales, ses variables cibles, ainsi que la croissance de l’économie et l’état du marché du travail, qui sont tous deux dans le vert. Dans sa réponse, Jerome Powell a également fait référence aux PDFP, les private domestic final purchases, c’est-à-dire les achats finaux privés, qui ont augmenté de 3 % à la fin de 2024.

Pour la Fed, les PDFP sont le meilleur indicateur de la demande privée. Mais les gouverneurs s’intéressent également aux secteurs sensibles aux taux d’intérêt, comme le marché du logement. L’activité dans ce secteur est faible (les constructions de logement, par exemple, sont en baisse de 20 %), ce qui prouve que la politique des taux d’intérêt est efficace. 

f. Pourquoi ralentir la baisse des taux d’intérêt, alors que le marché du travail se refroidit légèrement ? Est-ce que la Fed s’inquiète moins du marché du travail ou est-ce que le risque d’inflation est la préoccupation majeure ?

En effet, le marché du travail se refroidit légèrement (le taux de chômage est passé de 4,1 à 4,2 %), mais il s’agit d’une évolution progressive et ordonnée. La Fed a déclaré qu’elle ne pouvait pas parler de baisse ou d’inquiétude significative. Elle suit différents indicateurs comme le prime (tranche d’âge 25 à 64 ans) ou les taux de licenciement, les taux de création d’emplois, la croissance des salaires. Jerome Powell a affirmé que le marché est soigneusement étudié et que les gouverneurs considèrent aujourd’hui que les risques liés au marché du travail et à l’inflation sont en équilibre. La Fed est optimiste quant à la croissance en 2025.

g. À quel niveau la Fed situe-t-elle le taux d’intérêt neutre ?

Le taux d’intérêt neutre est le taux d’intérêt en vigueur lorsque l’offre et la demande sont en équilibre, que l’ensemble de l’économie est en équilibre et qu’aucun choc n’affecte l’économie. Les chocs sont surveillés en permanence et le taux d’intérêt est ajusté en conséquence. Toutefois, les estimations varient considérablement en fonction du type de modèle utilisé (empirique, théorique, combinaisons de modèles, etc.). La Fed a indiqué qu’elle ne connaissait pas la réponse exacte aujourd’hui, sachant que des effets de retard plus ou moins longs et variables jouent.

Conclusion : la Fed ne freine-t-elle pas trop la croissance ?

Les journalistes ont posé de nombreuses questions montrant les préoccupations concernant le marché du travail. Ils se demandent notamment si la Fed n’est pas trop restrictive. Toutefois, si l’on tient compte de la baisse de 100 points de base des taux d’intérêt à court terme, de la solidité des marchés financiers ou encore des écarts de taux historiquement très bas, nous devrions maintenant plutôt tabler sur une croissance et à une inflation plus élevées. Si l’on prend également en compte les projets fiscaux de Donald Trump, une hausse des taux d’intérêt à long terme ne peut être exclue dans les mois à venir.

Je pense que la position prudente de la Fed est plus que justifiée à court terme !

Jan Vergote est analyste et conseiller financier indépendant.

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