Au cours de l’année écoulée, l’Euro Stoxx 50 et le Stoxx Europe 600 ont tous deux progressé de 15 %, un chiffre impressionnant au vu des nombreuses nouvelles alarmantes concernant l’industrie allemande en difficulté, les élections françaises et une banque centrale qui ne cessait d’alerter sur une inflation trop élevée dans le secteur des services. Prenons un peu de recul et regardons vers l’avenir.
Au rang des bonnes nouvelles, il convient d’ores et déjà de souligner que le climat économique international s’est révélé moins mauvais qu’on le craignait. Il est important de noter qu’environ 60 % des revenus du MSCI Europe proviennent de régions hors d’Europe – les exportations vers les États-Unis représentant par exemple environ 25 %. La forte croissance américaine a donc également été une bénédiction pour nos entreprises.
L’Europe compte plusieurs champions mondiaux, sur lesquels nous reviendrons un peu plus loin. Bien que certaines entreprises traversent actuellement une période légèrement plus difficile, le consommateur asiatique (plus aisé) finira tôt ou tard par revenir et la croissance chinoise devrait pouvoir redémarrer. Notre industrie se remettra également du choc lié à la guerre, tandis que la politique européenne est de plus en plus axée sur la croissance, la technologie et la sécurité, notamment par le biais d’investissements supplémentaires dans l’IA, les énergies renouvelables et la défense.
En ce qui concerne les valorisations, nous constatons une marge bénéficiaire prévisionnelle de 10,7, soit le niveau le plus élevé de ces 20 dernières années. Les analystes anticipent cependant une légère révision à la baisse des bénéfices, de l’ordre de 3 %. Pour 2025, ils tablent sur une croissance des bénéfices d’environ 10 %.
Certaines voix discordantes existent cependant : BC& Research, par exemple, prévoit une baisse moyenne des bénéfices des entreprises européennes de 14 %, estimant que les investisseurs sous-estiment le risque de récession.
Personnellement, je ne pense pas que la situation sera aussi alarmante. De nombreuses entreprises disposent de carnets de commandes bien remplis et maîtrisent leurs coûts. L’inflation continue également d’évoluer favorablement, même si la croissance salariale demeure un potentiel facteur de perturbation dans les mois à venir. Quoi qu’il en soit, de nouvelles baisses des taux d’intérêt restent probables.
Le ratio cours/bénéfice attendu est de 13,7, soit à peu près la moyenne des 20 dernières années. En comparaison, ce ratio est de 21,4 aux États-Unis, avec une croissance bénéficiaire attendue de 15,5 % pour 2025, ce qui crée un écart significatif. Cependant, ces différences s’expliquent en partie par des variations sectorielles et des divergences dans les rythmes de croissance économique.
Prenons un moment pour nous pencher sur les différences sectorielles, en particulier dans le secteur technologique, un exemple révélateur. J’ai récemment lu le livre d’Oliver Coste intitulé Europe, Tech and War, qui lui a valu le prix Strasser, décerné par l’Académie des Sciences Morales et Politiques, en France. Dans cet ouvrage, Oliver Coste met en lumière l’impact de la protection des travailleurs européens, qui décourage la prise de risque et l’acceptation de l’échec dans nos sociétés. Depuis les années 70, l’Europe s’est spécialisée dans les industries matures telles que l’automobile, la chimie et l’énergie, une orientation qui se révèle aujourd’hui désavantageuse. Les entreprises technologiques évitent l’Europe, écrit-il.
Néanmoins, Oliver Coste demeure optimiste, car l’Europe dispose de nombreux atouts : des institutions démocratiques, une bonne réglementation, une faible corruption et une grande liberté d’entreprise. Il poursuit en évoquant le Danemark et son modèle de « flexicurité ». Ce modèle repose sur trois éléments clés. Premièrement, les employeurs peuvent embaucher et licencier des travailleurs à leur convenance, sans coûts excessifs. Deuxièmement, les travailleurs qui s’affilient et cotisent à un fonds d’assurance bénéficient d’allocations pouvant durer jusqu’à deux ans. Enfin, le gouvernement danois propose des programmes de formation continue et un accompagnement personnalisé pour aider les chômeurs à retrouver un emploi le plus rapidement possible.
Il se trouve que j’ai récemment lu dans Het Financieel Dagblad que l’économiste en chef de PwC cite également le Danemark en exemple. Elle a créé une carte thermique du climat des affaires, basée en grande partie sur des données concrètes. Selon elle, le Danemark se distingue par son engagement envers l’apprentissage tout au long de la vie ainsi que par un bon équilibre entre sécurité sociale et travail.
Les dépenses en R&D y sont également relativement élevées. Son analyse est donc assez proche de celle d’Oliver Coste. Il n’est pas surprenant que le Danemark occupe la troisième place du classement mondial en matière de compétitivité. Les Pays-Bas ont perdu quatre places et se retrouvent en neuvième position, tandis que la Belgique a reculé de cinq places et se classe dix-huitième. Nous avons donc encore du pain sur la planche.
Une étude de McKinsey souligne également la baisse de rentabilité des entreprises, dont 90 % serait attribuable aux secteurs créateurs de technologie. Ils estiment que les coûts d’adaptation seraient dix fois plus élevés chez nous qu’aux États-Unis. Un exemple récent de l’impact de la législation européenne du travail est celui de Nokia, contraint d’étaler son plan de réorganisation jusqu’en 2026. Volkswagen, qui a annoncé une réorganisation en octobre dernier, voit également son plan étalé jusqu’à la mi-2025.
Il ne s’agit en aucun cas de prôner un simple copier-coller du modèle américain de survival of the fittest. Cependant, une réorientation vers davantage de flexibilité pour les entreprises, combinée à un soutien efficace des travailleurs, pourrait donner coup de pouce significatif aux marchés européens.
Points d’attention
Parmi les points d’attention, nous relevons les faiblesses structurelles en Allemagne : une infrastructure très insuffisante, une faible consommation (similaire aux problèmes de la balance courante en Chine, où les consommateurs sont également négligés), et le « frein à l’endettement » (la Schuldenbremse, qu’il faudra lever tôt ou tard pour permettre les investissements nécessaires). À cela s’ajoute l’incertitude politique persistante en France, un autre facteur préoccupant. Néanmoins, je pense que ces problèmes pourront être résolus de manière pragmatique, avec du temps et de la patience.
La guerre en Ukraine continue de faire sentir ses effets malgré la baisse significative des prix de notre énergie et les nécessaires ajustements opérés par les entreprises. Et bien sûr, il y a les élections américaines, où les chances de réélection de Donald Trump restent pour l’instant ouvertes. Si ce dernier revenait au pouvoir, cela perturberait les marchés boursiers européens (par exemple, en raison de potentiels droits de douane sur les importations). Une récession éventuelle aux États-Unis constituerait également un facteur de déstabilisation.
Enfin, le marché chinois est sous pression. Les termes derisk et decouple sont devenus monnaie courante. Cependant, cette idée de découplage doit être relativisée : les investissements de Mercedes et Volkswagen en Chine ont en effet fortement augmenté cette année par rapport à l’année précédente. Les avertissements du chancelier allemand Olaf Scholz sur la nécessité de réduire les risques sont restés lettre morte, du moins pour ces entreprises.
Pour moi, c’est aussi la preuve que nous ne devons surtout pas écarter le marché chinois : leur marché intérieur est tout simplement trop important pour être ignoré, malgré les difficultés de croissance actuelles. Cela n’empêche évidemment pas les entreprises européennes de continuer à diversifier géographiquement leurs marchés : au cours des dix dernières années, la part des actifs européens aux États-Unis est passée de 18 % à un peu plus de 30 % aujourd’hui, bien entendu en grande partie grâce à l’Inflation Reduction Act (IRA), aux États-Unis.
Portefeuille équilibré
Un portefeuille équilibré d’actions européennes devrait inclure à la fois des entreprises de croissance et des entreprises de valeur. Ces dernières années, les grandes entreprises de croissance ont été les moteurs du marché boursier, affichant des hausses de chiffre d’affaires et de bénéfices dépassant les 30 %. Bien que l’Europe ne puisse rivaliser avec les États-Unis en matière d’entreprises de croissance, nous ne devons certainement pas oublier nos propres champions de la croissance. Contrairement aux États-Unis, où le secteur technologique domine presque exclusivement, nous constatons en Europe une plus grande diversification sectorielle.
Nous pensons ici à des secteurs tels que la santé (par exemple, Novo Nordisk ou EssilorLuxottica), la technologie (par exemple, ASML), l’industrie (par exemple, Schneider Electric) ainsi que les biens de consommation de base et discrétionnaire (par exemple, LVMH, Adidas, Stellantis, etc.). Il ne s’agit pas d’un conseil en investissement, mais d’un exemple d’actions présentes dans mon portefeuille. Ce sont des entreprises qui offrent des produits prisés, bénéficient d’un avantage concurrentiel, disposent d’un vaste marché… des incontournables pour un portefeuille à long terme. Aujourd’hui, beaucoup de ces entreprises se négocient au-dessus de leur ratio cours/bénéfice moyen, d’où la pertinence de compléter le portefeuille avec des actions axées sur la valeur.
La valeur, bon marché
Dans une perspective historique, les actions de valeur sont actuellement bon marché : Research Affiliates souligne que le marché anticipe une croissance huit fois plus rapide pour les entreprises (de croissance) les plus chères que pour les actions de valeur, un résultat qui sera difficile à atteindre.
La sous-performance des entreprises axées sur la valeur ces dernières années n’est d’ailleurs pas due à une faible croissance des bénéfices, et si l’inflation devait se révéler plus élevée que prévu dans les années à venir, cela pourrait soutenir ces entreprises. De plus, en cas de ralentissement significatif de la croissance et des bénéfices à l’échelle mondiale, ce type d’actions contribuerait à réduire la volatilité.
Positionnement neutre
En ce qui concerne les actions européennes, j’adopte pour l’instant une pondération neutre. Avant de passer à une surpondération, je souhaite voir plusieurs réformes se concrétiser. Je pense notamment au problème de la fragmentation du marché des capitaux, à l’harmonisation de la législation, à l’implication des fonds de pension et des investisseurs particuliers (notamment pour les investissements dans les infrastructures et le climat), ainsi qu’à des avancées dans la résolution des problèmes en Allemagne et en France, etc.
Jan Vergote est analyste et conseiller financier indépendant.