
Ceux qui ont surpondéré l’Europe en début d’année ne le regretteront pas : avec un écart de 13 % en euros (le 7 avril), notre région laisse les Etats-Unis loin derrière. Il est toujours conseillé de surpondérer l’Europe.
Je détaille ci-après un certain nombre d’arguments plaidant en faveur d’une surexposition à l’Europe.
Les rênes budgétaires se relâchent
La décision de l’Allemagne de relâcher les rênes budgétaires pour stimuler les dépenses de défense et d’infrastructure constitue pour moi un point de basculement historique. L’impact sur les infrastructures est estimé à 1 % de PIB allemand supplémentaire dans les années à venir.
Mais le phénomène ne se limite pas à l’Allemagne. Le ministre italien de l’industrie, Adolfo Urso, par exemple, a évoqué son impact positif sur l’industrie italienne. Le principal marché d’exportation de son pays est l’Allemagne. L’Istat, l’agence italienne des statistiques, estime que la stagnation allemande a entamé la croissance du pays de 0,2 % l’année dernière, en raison de la faiblesse des exportations.
D’autres pays européens en bénéficieront également dans les années à venir, y compris la Belgique.
Autonomie stratégique unifiée
La guerre et le choc Trump ont créé en Europe une volonté d’autonomie stratégique commune dans différents domaines : non seulement dans le domaine militaire, mais aussi dans ceux de l’énergie, de la cybersécurité, du marché des capitaux ou encore des relations commerciales.
Le même ministre italien a fait référence à la fragmentation excessive de l’industrie, non seulement au sein de l’Europe, mais aussi au sein de chaque pays : à titre d’exemple, il a cité le secteur spatial, où plus de 200 entreprises opèrent déjà dans son seul pays.
Le même phénomène se produit dans le domaine de la cybersécurité où, selon Mme Vasu Jakkal, responsable de la cybersécurité chez Microsoft, plus de 600 millions d’attaques ont lieu chaque jour. Même au sein de l’Europe, on constate une grande fragmentation à cet égard. Filigran ou Astran (France), Uniqkey (Danemark) et Orbik (Espagne) en sont quelques exemples.
Les actions du président Trump feront en sorte que, cette fois-ci, les rapports européens des anciens premiers ministres italiens Mario Draghi et Enrico Letta ne restent pas lettre morte. Certes, Paris ne s’est pas construit en un jour, mais la volonté d’une approche structurelle existe dans de nombreux pays.
La proposition du Royaume-Uni de créer un fonds de défense multilatéral est un exemple récent de cette volonté de coopération, où les pays ne plaident plus chacun pro domo. La stratégie de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, visant à mobiliser l’épargne européenne en faveur de l’intelligence artificielle, de la transition écologique et de la défense, va également dans le sens d’une plus grande unité.
Sécurité juridique
Le président Trump sape l’État de droit jour après jour, ce qui entraîne une grande incertitude pour les entreprises et les investisseurs. L’Europe, quant à elle, se bat pour sa démocratie et sa sécurité juridique. Les comportements erratiques, associés à la corruption, sont monnaie courante aux États-Unis et dissuadent les investisseurs étrangers (ainsi que les touristes ou les étudiants).
On entend de plus en plus parler d’hommes d’affaires et d’universitaires américains qui fuient le pays en direction de l’Europe. Selon Gallup, un cabinet d’études américain, le pourcentage d’Américains souhaitant quitter le pays est passé de 10 % en 2011 à 21 % l’année dernière. Ce pourcentage ne fera qu’augmenter.
Consommateur national
La consommation intérieure est cruciale pour la croissance, tant aux États-Unis qu’en Europe. La confiance des consommateurs américains a été fortement ébranlée récemment, ce qui n’est pas de bon augure pour la croissance. N’oubliez pas que les consommateurs ont été largement soutenus par le gouvernement (entraînant un énorme déficit budgétaire). Récemment, ce transfert d’argent a pris fin et nous constatons une baisse constante du taux d’épargne.
Sans surprise, de nombreux analystes estiment que la probabilité d’une récession américaine a fortement augmenté maintenant que le président poursuit sa guerre commerciale, ce qui fera repartir l’inflation à la hausse. Les estimations font état d’une inflation supplémentaire de 1 à 1,5 % au cours des 12 prochains mois.
En Europe, les pays durement touchés par la crise bancaire se sont redressés lentement et ont connu une reprise économique. Je pense à l’Espagne, au Portugal et à la Grèce, des pays qui (bien qu’ayant des régimes fiscaux favorables) attirent des profils de consommateurs plus élevés, avec un bon pouvoir d’achat, qui soutiennent l’économie locale.
Encore du pain sur la planche
Pour être compétitifs à l’échelle mondiale, nous devons de toute urgence évoluer vers un marché paneuropéen, doté d’un cadre juridique uniforme, où des capitaux et des talents humains suffisants peuvent être trouvés et où des économies d’échelle peuvent être réalisées. Cela vaut non seulement pour les multinationales, mais aussi pour le capital-investissement, les start-ups (le projet de politique UE-Inc, par exemple, est une proposition de structure d’entreprise paneuropéenne), la R&D et les projets innovants.
Les barrières commerciales à l’intérieur de nos propres frontières européennes devraient être supprimées. Des études parlent d’effets positifs qui peuvent compenser les effets des droits de douane négatifs. Les droits de douane annoncés doivent également être considérés dans leur juste proportion : pour la Belgique, par exemple, cela représenterait 8 % (après exclusion de produits comme les produits pharmaceutiques) et non les 20 % officiels (pour l’Allemagne, cela reste toutefois autour de 18 %). L’Europe devrait s’efforcer d’avoir des marchés publics et des procédures de certification des produits plus efficaces, tout en limitant les procédures douanières non harmonisées ou les transferts de produits intra-UE sur-réglementés afin de promouvoir les échanges intra-européens.
L’Europe devrait également réfléchir à la manière de soutenir l’innovation (par exemple, la R&D) sur le plan financier et organisationnel. Je pense par exemple à Esobiotec, une entreprise de biotechnologie qui, dans sa phase initiale, a reçu le soutien financier de Wallonie Entreprendre, de Sambrinvest et de Thuja (capital-risque), entre autres, et qui est aujourd’hui une véritable success story. Horizon Europe, le programme de recherche et d’innovation, doit être renforcé.
Énergie
Enfin, un dernier exemple : grâce à une transition énergétique intelligente, l’Europe peut non seulement devenir plus indépendante des pays exportateurs d’énergie, mais aussi offrir aux consommateurs une alternative respectueuse de l’environnement et un soutien énergétique bon marché à long terme. Si vous souhaitez en savoir plus, je vous renvoie à l’article Europe’s moment? The way ahead for EU and UK energy policy du cabinet Systemiq.
« Les crises sont des défis », disait le regretté industriel anversois André Leysen. L’Europe est aujourd’hui confrontée à plusieurs crises. La volonté politique de s’attaquer à ce problème de manière structurelle existe déjà. Il ne reste plus qu’à bien se mettre d’accord et nous voilà partis pour une grande décennie européenne en Bourse.
Jan Vergote est analyste et conseiller financier indépendant.