Entre les nombreuses bonnes et potentiellement mauvaises nouvelles, les investisseurs se sentent piégés. Malgré les atermoiements, ils restent investis. Il est temps de dresser un bilan semestriel et de se pencher sur les arguments incitant à rester sur les marchés, ainsi que ceux appelant à la prudence.
1. Les arguments pour rester investis
1.1 L’inflation et la banque centrale
Le dernier rapport sur l’inflation du Bureau of Labor Statistics indique une inflation se dirigeant vers 2 % d’ici la fin de l’année. Deux importantes composantes à cet égard sont le rent (les loyers) et l’OER (owners equivalent rent ou, si l’on peut dire, le revenu cadastral de chez nous). Toutes deux poursuivent une tendance à la baisse.
Les déclarations de Christophe Waller, gouverneur de la Réserve fédérale et de John Williams, président de la Fed de New York, ont incité à l’optimisme : « Nous nous approchons du moment où une baisse des taux d’intérêt sera justifiée. » L’amélioration des chiffres de l’inflation a ainsi renforcé les espoirs d’une baisse des taux en septembre (les analystes sont quasi certains que la baisse atteindra 25 points de base). Cinq baisses des taux d’intérêt sont même prévues pour les douze mois à venir, certains analystes en anticipant deux, voire trois cette année.
1.2. Des taux d’intérêt élevés ne disent pas tout sur l’inflation
Un coup d’œil à l’indice Bloomberg United States Financial Condition fournit en tout cas des arguments pour les sceptiques de l’inflation. En dépit de taux d’intérêt à court terme très élevés cette année, cet indice continue encore de grimper. Il faut remonter jusqu’à la mi-2021 pour retrouver un tel niveau de souplesse monétaire. L’effet inhibiteur des taux d’intérêt est donc très relatif à l’heure actuelle.
Les consommateurs (à l’exception de ceux disposant des revenus les plus bas) continuent à dépenser et les ventes automobiles se maintiennent à un niveau élevé (un peu plus de 15 millions d’unités). Le tourisme aérien a récemment connu un coup de mou, mais se porte toujours très bien. Les ménages sont historiquement riches (grâce à des prix de l’immobilier et des cours boursiers élevés).
Les taux d’intérêt fixes sur de nombreux prêts hypothécaires jouent également un rôle majeur : fin 2023, 70 % des emprunteurs avaient un taux de 3 % inférieur à celui en vigueur aujourd’hui. Ce chiffre atteignait auparavant à peine 40 %. Les rendements des fonds monétaires représentent aujourd’hui 2,5 % des dépenses des consommateurs (soit le niveau le plus élevé en vingt ans).
La question de savoir comment, dans les mois à venir, concilier tout cela avec une inflation de base acceptable de 2 % me semble ouverte. Heureusement, l’immigration maintient l’inflation à un faible niveau (comme nous l’a appris l’Economic Report), et l’Amérique reste un pays où beaucoup d’argent afflue vers la technologie, les start-ups et l’innovation. Nous avons ainsi récemment pu observer une reprise de la croissance de la productivité. L’économie américaine est moins sensible qu’auparavant aux taux d’intérêt.
1.3. Bénéfices, revenus, marges et croissance
Jusqu’à présent, le consensus sur les prévisions bénéficiaires des valeurs vedettes était orienté à la hausse. Il en va d’ailleurs de même pour les revenus attendus. En dépit des effets de la hausse des taux et de la pression exercée sur les dépenses des consommateurs (en particulier des ménages les plus modestes), les marges bénéficiaires restent à des niveaux particulièrement élevés (le dernier chiffre en date était une marge d’un peu plus de 13 %).
À mesure que la croissance économique s’étend (au bâtiment et à l’industrie, par exemple), les analystes accordent davantage d’attention aux actions cycliques et sensibles aux taux d’intérêt. Les petites entreprises, plus sensibles aux taux, ont donc bénéficié de leur soutien.
1.4 (Géo)politique
Donald Trump tente de rallier les grandes entreprises à sa cause. Ses déclarations sur les réductions d’impôts devraient stimuler les bénéfices des entreprises ; les chefs d’entreprise n’oublient pas en effet que les démocrates souhaitent taxer les plus-values non réalisées à hauteur de 25 % (pour les personnes dont le patrimoine excède 100 millions de dollars). Le candidat parle également d’alléger la réglementation relative aux entreprises technologiques et actives dans l’IA. Enfin, sa promesse de mettre un terme rapide à la guerre en Ukraine donne aux investisseurs un espoir supplémentaire.
Une rotation s’opère en direction de secteurs favorables à Donald Trump, comme l’industrie (dans le cadre du discours MAGA ou Make America Great Again). À présent que le président Biden s’est retiré, il reste à attendre le nouveau candidat (qui sera sans doute Kamala Harris).
2. Les arguments appelant à la prudence
2.1. Le S&P 500 est valorisé pour un scénario parfait
Le S&P 500 affiche un ratio cours/bénéfices attendus de 17,8 (sur la base des calculs médians mensuels). Ce n’est qu’en 2022 que l’on a pu observer un chiffre plus élevé – 22, en l’occurrence. Les grandes capitalisations mènent la danse avec 21, contre 25 en 2000, et les entreprises technologiques reçoivent une attention toute particulière.
Selon une enquête de la Bank of America, les actions liées à l’IA sont une bulle pour 43 % des gestionnaires ; toutefois, ils sont tout aussi nombreux à penser le contraire. La situation est donc floue et incertaine. Goldman Sachs se demande comment seront rentabilisés, dans la pratique, les nombreux milliards investis dans l’IA. Nvidia surfe sur le fait que de grandes entreprises technologiques telles que Microsoft, Meta, Amazon et Google achètent ses puces. Les sceptiques se demandent néanmoins si les flux de trésorerie de ces entreprises et si les ventes attendues de Nvidia ne sont pas surestimées.
Il convient ici de mentionner un calcul réalisé par Calcbench. D’après l’entreprise spécialisée en recherche fondamentale, les manipulations du bilan des entreprises du S&P 500 ont contribué, l’an dernier, à augmenter les bénéfices de 30 % par rapport à une gestion de bilan normale. Si cela se révèle exact, nous pouvons alors anticiper des ajustements à la baisse de leurs bénéfices.
2.2 Les fonds Ponzi
Nous faisons ici référence à une étude récente de Philippe van der Beck, Jean-Philippe Bouchaud et Dario Villamaina sur l’effet de flux de capitaux massifs (flow-driven trading comme momentum trading) sur la tarification des actions. Ces afflux exercent une pression sur le prix d’actions spécifiques (comme l’IA), entraînant, pour ces actions, des positions de plus en plus importantes dans les fonds thématiques.
Les investisseurs ont du mal à distinguer les augmentations de cours basées sur des principes fondamentaux et de celles liées à cet effet de prix entraîné par le momentum. Ils y voient le signe avant-coureur d’une bulle d’actifs qui entraînera l’effondrement des cours. Dans ce cas, la hausse de l’action due à l’élan du marché serait totalement effacée, ne laissant subsister que l’élément fondamental. L’étude (disponible sur Internet) évoque, entre autres, le fonds ARK Innovation, avec des pertes de 60 % et plus en raison d’un tel phénomène.
2.3 L’impact des taux d’intérêt élevés sur le secteur de la dette privée et du capital-investissement
Si la Réserve fédérale ne parvient pas à répondre aux attentes en matière de baisse des taux d’intérêt, les choses ne feront que s’aggraver pour les prêts privés au cours des prochains trimestres. Lionsgate Entertainment, dont les clauses cov-lite ont entraîné de lourdes pertes pour certains investisseurs, représente un exemple évocateur.
Le marché du capital-investissement commence, lui aussi, à subir les effets délétères de la hausse des taux d’intérêt. Il pourrait à l’avenir en résulter une forte volatilité. Nous nous pencherons plus en détail sur ces deux marchés privés dans un prochain épisode.
Jan Vergote est analyste et conseiller financier indépendant.