Jan Vergote
Jan Vergote

Le candidat républicain entend, s’il devient président, taxer à 60 % les importations chinoises et 20 % celles provenant du reste du monde. Les pays qui abandonnent le dollar comme monnaie d’échange se verront même infliger une taxe de 100 %. Que nous apprennent deux exemples historiques sur l’impact potentiel de telles mesures ? Cherchons des parallèles et examinons quelques faits.

1. La naissance des États-Unis

Revenir aux origines des États-Unis, c’est revenir aux Pères fondateurs. Après la signature de la Déclaration d’indépendance, ces derniers rédigèrent la Constitution et instaurèrent des droits de douane avec un double objectif : générer des revenus pour l’État et instituer une substitution aux importations, pour soutenir l’industrie nationale. Il s’agissait de réduire à la fois le déficit commercial et la concurrence étrangère. 

Les droits de douane constituaient initialement la principale source de revenus du gouvernement fédéral, fournissant environ 95 % des recettes au cours des premières décennies. Entre le début de la guerre de Sécession et l’introduction de l’impôt sur le revenu en 1913, les taxes sur les importations concernées fluctuaient entre 40 et 50 %.

En 1930, la loi Smoot-Hawley entraîna une hausse spectaculaire des droits de douane, les faisant culminer à près de 60 %. Les conséquences furent désastreuses : la part des exportations mondiales de marchandises dans le revenu global chuta de 12 à 5 % au cours des années suivantes, ce qui déclencha une crise économique mondiale.

La politique commerciale américaine changea ensuite de cap. Après la Seconde Guerre mondiale, en 1947, fut signé l’accord du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade), un traité visant à favoriser le commerce international. Celui-ci entraîna une réduction significative des droits de douane jusqu’au début des années 2020.

2. La Guerre froide

La période de la Guerre froide (1945-1991) entre le bloc communiste et les pays capitalistes nous offre les premiers enseignements en matière de commerce lorsque deux blocs rivaux s’affrontent. Les échanges de biens entre ces deux blocs chutèrent, passant de 20 à 10 % du commerce mondial entre 1945 et 1980, soit une réduction de moitié. Dans le même temps, le commerce mondial passa de 8 à 30 % du revenu mondial au cours de la même période.

Les conséquences de la Guerre froide étaient évidentes : alors que le commerce entre les blocs rivaux diminuait de moitié, les accords du GATT garantissaient la croissance des échanges au sein de chaque bloc, contribuant ainsi à la croissance du commerce mondial. Ce dernier a donc fortement crû au cours de la période.

Nous pouvons considérer la Guerre froide comme une forme de fragmentation géoéconomique, en vertu de laquelle le commerce et les investissements se sont réorientés en fonction de nouvelles lignes géopolitiques. Malgré le découplage des deux blocs, nous n’avons heureusement pas assisté à une démondialisation à l’échelle planétaire.

Cependant, un point d’attention à ne pas négliger aujourd’hui est que, durant la Guerre froide, les effets négatifs de la guerre commerciale entre les deux rivaux ne se sont pleinement manifestés qu’après quatre à cinq ans. Transposé à notre époque, cela signifie qu’une nouvelle escalade des tensions entre les États-Unis et la Chine doit impérativement être évitée.

3. Les « pays connecteurs » 

Les droits de douane imposés par Trump en 2018 ont entraîné une baisse de près de 5 % des échanges commerciaux entre les blocs rivaux que sont les États-Unis et la Chine. À l’époque de la Guerre froide, des tensions similaires entre les États-Unis et l’Union soviétique avaient provoqué une réduction de moitié de leurs échanges. Comment expliquer une différence aussi marquée ? Une partie de la réponse réside dans le rôle joué par les « pays connecteurs ».

Ces pays, tels que le Vietnam, l’Indonésie, le Mexique, la Pologne ou le Maroc, se distinguent aujourd’hui par une politique internationale équilibrée. Ils n’adoptent pas vraiment une position tranchée en faveur des États-Unis ou de la Chine, préférant opter pour une approche commerciale opportuniste.

Illustrons cela au moyen de quelques chiffres. Entre 2017 et 2022, les importations américaines de produits chinois ont diminué de 5 %. Dans le même temps, la part des importations américaines en provenance du Vietnam, de Taïwan, du Canada, du Mexique et de l’Inde a augmenté respectivement de 1,9 %, 1 %, 0,7 %, 0,7 % et 0,6 %.

Inde

Prenons un moment pour nous pencher sur l’Inde, un pays qui possède indéniablement de nombreux atouts. Elle s’affirme clairement comme un Plus One dans une stratégie commerciale mondiale China Plus One, qui consiste à avoir au moins un fournisseur en dehors de la Chine.

L’Inde entretient de bonnes relations avec l’Occident, pour lequel elle revêt une importance stratégique, notamment dans le secteur informatique. Cependant, le pays est suffisamment important pour être pertinent pour d’autres pays également. L’Inde peut jouer un rôle de premier plan dans la promotion de la libéralisation du commerce, tant au niveau national que mondial. Elle bénéficie également de la force de sa diaspora, qui exerce une influence considérable à l’échelle mondiale, en particulier aux États-Unis. En tant que pays connecteur, l’Inde dispose ainsi de nombreux atouts.
Il est clair que ces pays se sont positionnés dans la chaîne d’approvisionnement entre la Chine et l’Amérique afin de faciliter le contournement des droits de douane. 

  • Il existe clairement une corrélation positive entre l’évolution de la part des exportations chinoises vers les pays connecteurs et celle des importations américaines en provenance de ces mêmes pays.
  • Durant cette même période, on observe également une corrélation positive entre l’évolution des investissements chinois dans les pays connecteurs et celle des importations américaines en provenance de ces derniers.

Il n’est donc pas surprenant que le déficit commercial américain n’ait pratiquement pas diminué. Sous l’administration Trump, la réduction du déficit commercial bilatéral avec la Chine a été largement contrebalancée par l’augmentation du déficit avec les pays connecteurs. 

Alors que le déficit américain avec la Chine s’est réduit de 40 milliards de dollars entre 2016 et 2020, il s’est creusé respectivement de 50, 40 et 35 milliards de dollars avec le Mexique, la Suisse et le Vietnam.

Par conséquent, le déficit commercial des États-Unis exprimé en pourcentage du PIB n’a pratiquement pas évolué entre 2016 et 2023, malgré les droits de douane imposés sous les administrations Trump et Biden. Il ne faut pas oublier que davantage de droits de douane ont été perçus sous la présidence de Biden que sous celle de Trump – 144 milliards de dollars contre 89 milliards de dollars. Ceux-ci concernaient principalement les machines à laver, les panneaux solaires, l’aluminium et l’acier, et étaient pour plus de 95 % liés à la Chine.

Dans mon prochain article, j’analyserai plus en détail les répercussions sur la croissance, l’emploi, l’inflation et les revenus des Américains et conclurai par quelques recommandations pour tempérer cette guerre commerciale.

Jan Vergote  est analyste et conseiller financier indépendant.

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