Jan Vergote
Jan Vergote

Si l’on en croit Donald Trump, augmenter les droits de douane ne présente que des avantages. Cela ramènerait du travail aux États-Unis, réduirait le chômage et le déficit commercial et renforcerait la prospérité du pays et de ses habitants. Dans ce qui suit, nous allons nous pencher sur chacune de ses positions et voir ce qu’il en reste en fin de compte.

1. Qui va payer l’addition ?

Mais qui va, au bout de la chaîne d’approvisionnement, payer la facture ? Cela dépend de nombreux facteurs. Comme nous l’avons vu dans mon précédent article, les droits de douane peuvent être utilisés à deux fins : alimenter le Trésor ou protéger l’industrie nationale.

Si l’on souhaite alimenter le Trésor, il faut fixer des droits de douane relativement bas pour que les importations puissent se poursuivre. Cette option n’offre par conséquent aucune protection de l’industrie nationale et représente un gros bonus pour les finances publiques. Dans le second scénario, on souhaite protéger l’industrie, on achète peu au pays impacté par les droits de douane, mais on fait bien souvent rentrer moins d’argent que prévu (pensez à l’intervention des pays connecteurs).

Approfondissons ce second scénario. Un produit importé est soumis à une taxe. Mais qu’en fait l’exportateur ? Il subit la taxe ou peut revoir son prix à la baisse, de sorte que le prix d’achat à l’étranger reste le même malgré la taxe. Les voitures électriques chinoises en sont un exemple type récent. Les marges bénéficiaires sur les voitures exportées vers l’Europe sont si importantes qu’un constructeur automobile chinois pourrait sans problème payer lui-même la taxe, même au détriment de sa marge bénéficiaire. Mais la voiture restera tout aussi bon marché une fois les droits de douane augmentés. 

Nous nous trouvons donc dans un scénario où le Trésor est gagnant, mais qui, en fin de compte, ne joue pas en faveur de la protection de l’industrie nationale. Et ce, sans même parler des contre‑mesures donnant-donnant.

Dans le scénario ou l’exportateur ne modifie pas son prix, son produit importé deviendra plus cher après la hausse des droits de douane, et les clients pourront préférer opter pour un produit national ou, s’il s’agit d’un produit convoité, continueront à l’acheter à un prix plus élevé. Ce sera donc au consommateur d’en subir les conséquences. S’il choisit un produit national, en outre, aucune taxe ne reviendra au pays, et le client paiera tout de même l’addition, car il achètera plus cher qu’avant. Le vendeur américain peut également décider de réduire quelque peu sa marge bénéficiaire et de baisser le prix de son produit. Ainsi, tant l’entreprise que le consommateur seront lésés.

Enfin, il faut également comprendre que, dans le cas où les droits de douane réduiraient effectivement les importations, ceci se traduirait globalement par une appréciation du dollar : le pays devra en effet envoyer moins de dollars à l’étranger, faisant grimper la valeur de la devise, et les exportateurs américains auraient alors plus de mal à vendre leurs produits à l’étranger, car les étrangers devraient dépenser plus de leur propre monnaie pour acheter des dollars. Dans ce cas de figure, ce serait aux exportateurs américains de payer l’addition. 

2. Les droits de douane affectent tout particulièrement les petites gens

Les études menées par le Peterson Institute for International Economics démontrent que les deux quintiles (l’ensemble de données est divisé en cinq parts égales) les plus bas de la population sont les plus durement touchés, tandis que les 1 % les plus riches en dégagent des bénéfices. Le quintile le plus bas voit ses revenus baisser de 4 %, alors que le quintile le plus haut voit quant à lui les siens augmenter de 0,2 à 1,5 %. Les inégalités américaines s’en trouvent donc renforcées, contrairement à ce que prétend Donald Trump. En voici quelques exemples concrets, établis par la Tax Foundation et basés sur l’US Customs and Border Protection.

  • Les pulls de la meilleure qualité (par ex. en cachemire) ont vu leurs prix augmenter de 4 % du fait des taxes, tandis que ceux en polyester (de la moins bonne qualité) ont augmenté de 32 %. 
  • Le prix des chaussures en cuir a augmenté de 8,5 %, tandis que celles de la plus mauvaise qualité ont augmenté de près de 50 %. 

Ces dernières années, écrit-elle, l’Américain moyen a ainsi subi, du fait des droits d’importation, une hausse de ses coûts d’achat de 300 à 400 dollars..

3. L’impact sur la croissance, le chômage et les emplois

Selon le FMI, une prolongation des réductions d’impôt de la première présidence de Donald Trump et des droits de douane globaux à 10 % entre les États-Unis, l’Europe et la Chine réduirait la croissance américaine de 1 % en 2025. Le FMI estime que la croissance américaine sera de 2,2 % dans exactement un an. Les taxes la réduiraient donc quasiment de moitié. L’agence gouvernementale Tax Foundation obtient des chiffres similaires avec une baisse de la croissance de 0,8 %, et estime que l’impact sur l’emploi sera, à terme, la suppression de près de 700 000 postes.

Les conséquences sur l’inflation dépendront essentiellement des potentielles représailles d’autres pays contre les droits de douane. S’il y en a, l’inflation pourrait augmenter de près de 1,4 %. Dans le cas contraire, cette augmentation serait de 0,6 %. 

Attention, ces chiffres sont à considérer avec une grande prudence. Dans un tel scénario, la Réserve fédérale américaine pourrait relever ses taux, freiner la croissance et les importations et maintenir l’inflation à un niveau plus bas. Le Peterson Institute écrit que, si les droits de douane étaient supprimés, l’inflation pourrait baisser de 1,25 à 1,5 %.

Notons que les salaires dans les pays connecteurs sont nettement inférieurs aux salaires chinois. Un déplacement de la chaîne logistique vers des pays comme le Vietnam ou le Mexique pourrait avoir une influence négative sur le prix des marchandises importées. Le salaire moyen dans l’industrie de ces deux pays s’élève respectivement à 5000 dollars et 2000 dollars, contre 13 000 dollars en Chine. Il est donc difficile de prédire l’impact d’une modification de la chaîne d’approvisionnement sur le prix final d’un produit importé. Et comme nous l’avons dit précédemment, le fabricant national peut revoir ses prix à la baisse, ce qui réduirait l’inflation.

Conclusions

Nous devons nous poser plusieurs questions. Est-il souhaitable d’introduire des droits de douane à un moment où l’inflation sous-jacente américaine demeure supérieure au niveau désiré ? Le taux de chômage est actuellement très bas aux États-Unis (l’économie américaine ne se porte donc pas si mal), et le consommateur (du quintile le plus bas) déplore des prix élevés. Le pays a en outre besoin de nouvelles infrastructures (du fait notamment du changement climatique), et les produits chinois pourraient apporter une contribution avantageuse à cet égard. 

Les guerres commerciales sont des guerres de classes, comme l’écrivent Matthew Klein et Michael Pettis dans leur ouvrage (Trade Wars Are Class Wars). Maintenir des salaires bas en Chine (mais aussi en Europe) revient à soutenir des exportations trop bon marché au détriment de la consommation nationale. Les États‑Unis sont en outre champions en matière d’inégalités : les consommateurs ne peuvent donc pas se permettre les produits du pays, trop chers, et préfèrent amplement se tourner vers les importations chinoises.

Une nouvelle OMC où tous les pays se réuniraient et essaieraient ensemble (et non de façon dispersée) de résoudre ces problèmes par le biais d’un plan décennal est plus que jamais nécessaire.

La plus grande menace qui pèse sur les États-Unis n’est pas, selon moi, les produits chinois bon marché, mais bien l’important déficit public et les dettes accumulées : deux problèmes partiellement liés entre eux. L’urgence n’est pas en Chine, mais bien aux États-Unis même.

👉 Relire la première partie : Trump et sa guerre commerciale : les leçons du passé

Jan Vergote est analyste et conseiller financier indépendant.

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