Jeroen Blokland
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Il est passé. Avec le vote décisif du vice-président américain, J.D. Vance, le « One Big Beautiful Bill » est passé au Sénat américain. Encore une preuve que les investisseurs obligataires refusent de voir : leur catégorie d’investissement est dépassée.

Le gouvernement américain actuel va réduire ou maintenir les impôts à un faible niveau, dépenser beaucoup plus pour la défense tout en réduisant les soins de santé et les bons d’alimentation. Voilà des mesures très sociales. Le Congressional Budget Office (CBO) avait déjà calculé l’impact de cette merveilleuse loi sur le budget américain. Tenez-vous bien : cela représente une augmentation du déficit de 2000 milliards de dollars et de 3300 milliards de dollars au cours des cinq et dix prochaines années, respectivement. Entendons-nous bien : en plus du déficit budgétaire qui ne descendra jamais en dessous de 6 % du PIB dans les décennies à venir.

Ce déficit supplémentaire de 3300 milliards vient s’ajouter à une dette nationale qui s’élève aujourd’hui à 36 000 milliards. C’est plus que le PIB annuel de la France. Il s’agit donc de montants importants, également par rapport au PIB.

La partie émergée de l’iceberg

L’impact fiscal de la loi figure sur la page d’accueil du site web du CBO. Un autre titre y a attiré mon attention : CBO’s 2025 Long-Term Projections for Social Security. Les dépenses pour les services sociaux, comme dans tout pays vieillissant, sont souvent le premier poste de dépenses obligatoires du gouvernement.
 

Big Bill

Ce fichier de données contient les estimations du CBO concernant les recettes et les dépenses fiscales liées à la protection sociale. Par exemple, en 1985, les recettes fiscales liées à la protection sociale représentaient 11,7 % de l’ensemble des recettes fiscales liées aux salaires. Les dépenses représentaient 11,1 % du total des recettes fiscales cette année-là. L’excédent était donc de 0,6 %. L’année dernière, les mêmes recettes et dépenses étaient de 13,0 % et 14,7 %. Les recettes fiscales et les dépenses liées aux services sociaux ont augmenté. Cependant, les dépenses ont augmenté beaucoup plus rapidement que les recettes, laissant un écart négatif de 1,7 % de l’ensemble des recettes fiscales. Cependant, les mauvaises nouvelles ne font que commencer.

À l’avenir, les deux taux continueront d’augmenter, de même que le déficit fiscal. En 2030, selon le CBO, l’écart sera de 2,7 %, en 2040, de 3,4 %, en 2050, de 4,1 %… et ainsi de suite. Comme il s’agit de l’écart mesuré par rapport au total des recettes fiscales liées aux salaires, les chiffres sont un peu moins intuitifs que par rapport au PIB. Néanmoins, la tendance est facile à deviner. Le déficit budgétaire va se creuser fortement du seul fait de la sécurité sociale.

Un filet de sécurité troué

Le président de la Fed, Jerome Powell, n’est pas un politicien, mais il pourrait passer pour tel. Son choix de mots, selon lequel ce n’est pas la dette américaine qui est insoutenable mais la trajectoire budgétaire du gouvernement américain, est magnifique. Sans faire peur à tout le monde, il laisse parfaitement entendre ce qui se passe.

Pourtant, ces sages paroles ne le sauveront pas. L’exemple de la sécurité sociale peut être étendu aux dépenses pour les soins de santé et aux dépenses de défense. Ce sont des dépenses gouvernementales qui ne peuvent pas être limitées sans réduire drastiquement le filet de sécurité sociale. Pourquoi pensez-vous que Donald Trump s’attaque au système de santé ? Il comprend parfaitement qu’il faut faire d’énormes concessions pour que les choses restent gérables. Son ancien ami, Elon, s’en est rendu compte bien plus tôt et a rapidement jeté l’éponge. Et comme il a trouvé à redire à propos de cette magnifique loi, il peut maintenant craindre une réduction des subventions Tesla en guise de punition.

Pas en faillite

La plupart des investisseurs en obligations sont dans le déni total. Et la plupart des pessimistes de la dette se trompent souvent de direction. Le gouvernement américain ne va pas faire faillite. En tout cas, pas à cause de la dette. Dans le même temps, la dette américaine n’atteindra plus jamais 80 % ou, mieux encore, 60 % du PIB, le Saint Graal selon le traité de Maastricht. Le président américain ne peut pas continuer à réduire les services sociaux et les soins de santé. Nous aurions alors Alexandria Ocasio-Cortez comme première femme présidente en 2029.

Que peut-on faire ? Maintenir la dette à un niveau abordable grâce à des taux d’intérêt très bas et la réduire grâce à l’inflation. C’est le chemin le plus facile et aussi celui qui offre le moins de résistance. Maintenir des taux d’intérêt bas et créer de l’inflation est un jeu d’enfant. Vous avez juste besoin de M. Powell pour cela. Ou mieux encore, son successeur, que M. Trump appelle de ses vœux.

Presque tous les jours, vous trouvez des preuves que les taux d’endettement ne peuvent aller que dans un sens : vers le haut. Aujourd’hui, ce sont les chiffres du CBO, demain ce sont les riches qui quittent en masse le Royaume-Uni ou les Pays-Bas en raison des augmentations d’impôts, et ainsi de suite. Et pourtant, aucun gestionnaire d’actifs traditionnel ou fonds de pension ne fait quoi que ce soit à ce sujet. Même si vous n’estimez qu’à 50 % la probabilité que les taux d’intérêt dans la zone euro restent en moyenne inférieurs à 2 % et que l’inflation atteigne 3 %, il est indispensable de se défaire du poids exorbitant des obligations. Il serait peut-être utile aussi d’indiquer les rendements après déduction de l’inflation, afin de ne plus avoir à tourner autour du pot.

Jeroen Blokland analyse des graphiques actuels qui reflètent certains aspects frappants macro-économiques et des marchés financiers. Il gère également le fonds Blokland Smart Multi-Asset, qui investit en actions, or et bitcoin.

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