Stefan Duchateau
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Promis, nous n’allons pas nous plaindre de la météo ni nous lamenter sur l’équipe belge de football qui, sous la direction de son apprenti sorcier, a rendu un peu plus gris encore les nuages au-dessus de nos têtes.

Des évolutions bien plus importantes sont en cours sur les plans économique, financier et politique, et il s’en profile de plus intéressantes encore à l’horizon, qui vont même surpasser les bouleversements politiques en France et au Royaume-Uni. Les élections aux États-Unis risquent de devenir un spectacle douteux de ce que l’Amérique a de pire à offrir.

Il ne faut néanmoins pas surestimer l’influence des évolutions politiques sur les marchés boursiers. « Les Bourses politiques ont des jambes courtes », selon l’adage ; les marchés financiers semblent se faire peu de souci pour l’instant et enchaînent les records – aux États-Unis, du moins, car les Bourses européennes semblant plutôt avoir décidé d’une trêve estivale. La Bourse chinoise poursuit quant à elle son chemin dans l’impasse que lui impose un problème démographique irréversible.

Évolution de plusieurs indices boursiers depuis janvier 2024 (indice de rendement en euros)

grafiek1Affirmer qu’à des niveaux aussi démesurés, le Nasdaq, le FANG et le S&P sont vulnérables aux corrections intermédiaires reviendrait à enfoncer des portes ouvertes. Cela fait partie du jeu, tout comme la reprise qui suivra.
Ne vous laissez cependant pas distraire par tout ce mouvement : les prévisions quant aux évolutions des résultats des entreprises demeurent en effet très favorables, du moins si l’on se limite au secteur technologique et à une poignée d’entreprises qui s’inscrivent dans les tendances actuelles en matière de consommation. La concentrationdes bénéfices boursiers se poursuit ainsi sans entrave. The winner takes it all.

1 3 des 500 entreprises de l’indice S&P 500 représentent 50 % de la progression totale : Nvidia, Apple et Microsoft. En Europe également, 50 % de la totalité des bénéfices boursiers de l’indice EuroStoxx 600 sont attribuables à une demi‑douzaine d’actions.

Aux États-Unis, cette ascension des marchés financiers est principalement liée aux perspectives (illimitées ?) quant aux applications de l’IA. Ses limites ne semblent pas déterminées par d’éventuelles restrictions technologiques (parce qu’il n’y en a presque pas), mais plutôt par son acceptation par la société. Cette acceptation pourra être rapide dans certains domaines, mais d’autres montreront plus de résistance (jurisprudence, processus décisionnel politique, etc.). En cas de nouveaux ajustements à la baisse des indicateurs de l’inflation, cependant, le rebond boursier pourrait s’étendre et les actions d’autres secteurs et sous-segments du marché pourraient entamer eux aussi un mouvement de rattrapage. 

Pour l’heure, les tensions géopolitiques n’atténuent pas l’enthousiasme qui règne sur les marchés financiers. On parle même, ici et là, d’une première porte ouverte à une fin pour les conflits militaires en cours. Malheureusement, il s’agit simplement, pour l’instant, d’une option théorique. À ces conflits risque de s’ajouter, après la probable réélection de Donald Trump, un regain des conflits commerciaux entre les États-Unis, la Chine et l’UE. Aussi cynique que cela puisse paraître, ce genre de différend agite les marchés boursiers plus que ne le font les affrontements physiques entre armées. 

La course aux nouveaux records boursiers est en outre encouragée par la perspective de baisses prochaines des taux d’intérêt, tant en ce qui concerne le taux directeur que la rémunération des obligations à long terme. Notons tout de même que ces dernières sont particulièrement rigides et font preuve d’une forte résistance, laquelle s’atténuera progressivement lorsque, au fil du temps, les indicateurs de l’inflation auront suffisamment baissé et les banques centrales auront mis un terme à leur politique étouffante de durcissement quantitatif.

Un premier pas dans cette direction est attendu à l’occasion de la réunion du FOMC2 du 31 juillet prochain, après laquelle le rythme de vente des obligations devrait être adapté par la Fed. La BCE prendra sans aucun doute des décisions similaires.

2 Federal Open Market Committee. Cette réunion se tient toutes les six semaines et décide du taux d’intérêt et d’éventuelles interventions sur les marchés obligataires et de taux.

Trajectoire attendue du taux directeur américain

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Pour le reste, si l’on attend peu de la prochaine réunion des gouverneurs de la Fed, tout le monde attend avec beaucoup d’impatience la réunion suivante du FOMC, qui se tiendra le 18 septembre. Les marchés financiers estiment même que les chances d’une première baisse officielle du taux d’intérêt américain d’un quart de point de pourcentage en septembre sont de 95 %, et qu’elle sera suivie d’une deuxième baisse en décembre. Ensuite, d’ici l’été 2025, (au moins) deux autres baisses suivront.

Cela vous paraît peu ? Un tel relâchement du taux d’intérêt suffira largement à soutenir le sentiment haussier sur les marchés boursiers. Du reste, il n’est pas (encore) possible d’en faire davantage : les chiffres de l’inflation, maintenus à un haut niveau par des coûts de financement élevés (qui projettent leur ombre jusque tard en 2026), ne sont pas encore assez bas pour permettre de prévoir des baisses plus prononcées du taux d’intérêt. Mais, au vu des prix de détail, plus bas que prévu, il est plus que clair que l’inflation des biens a considérablement ralenti, et même les loyers semblent se stabiliser. Un enthousiasme exagéré n’est cependant pas de mise : les prix de gros semblent en effet pointer vers un rebond de l’inflation des services.

Les banques centrales se trouvent à présent face à un double danger. D’une part, elles doivent se méfier d’un éventuel sursaut des indicateurs de l’inflation, en particulier parce qu’elles savent que les prix de l’énergie menacent de s’envoler de nouveau en cas d’escalade des conflits géopolitiques.

D’autre part, les effets de l’invraisemblable série de hausses du taux d’intérêt débutée mi-2022 commencent à se faire sentir car, de part et d’autre de l’Atlantique, les perspectives conjoncturelles ont entretemps dû être revues à la baisse. Cette correction était devenue nécessaire après quelques chiffres PMI décevants en Europe et des statistiques ISM tout aussi moroses aux États-Unis, où les perspectives conjoncturelles les plus récemment publiées ont offert au public une bien triste lecture, tant pour le secteur industriel que pour celui des services.

Il est donc grand temps que les banques centrales réagissent mais, à moins que les indicateurs économiques connaissent un recul (beaucoup) plus prononcé, elles n’en feront rien avant septembre.

Indicateurs ISM pour l’économie américaine

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Les signes d’un affaiblissement économique dû à des taux d’intérêt rendus dissuasifs par leur niveau sont entretemps légion. Même le marché du travail américain, d’ordinaire si robuste, commence peu à peu à se fissurer : le taux de chômage est passé à 4,1 %. Cette augmentation est cependant liée, en majeure partie, à des vagues d’immigrations erratiques.

 Les demandes d’allocations ont également (légèrement) augmenté (mais avoisinent toujours les creux historiques des années 1960, et tendent de nouveau vers des niveaux plus bas). Le job hop index connaît une évolution négative, ce qui indique qu’imposer une hausse des salaires n’a rien d’évident. Cela se constate également au ralentissement des hausses salariales, comme le révèlent les derniers chiffres publiés vendredi dernier. Le nombre de nouvelles offres d’emploi, dans une mesure limitée, a lui aussi diminué, et la légendaire création d’emplois américaine, pour la première fois depuis bien longtemps, n’a pas dépassé les attentes.

Ces chiffres ne sont toutefois pas (encore) dramatiques, et donc pas de nature à inciter la banque centrale à agir rapidement. L’inflation se comporte en effet de manière très indisciplinée et ne s’adapte que très progressivement, à son propre rythme. 

Lentement mais sûrement, nous nous dirigeons vers l’objectif de 2 %, au rythme des escargots qui s’approchent en grand nombre de votre jardin potager. En dépit de tous les obstacles sur leur parcours, ils sauront trouver la salade, et plus vite que vous ne le pensez.

Stefan Duchateau est professeur et expert auprès d’Investment Officer.
 

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