Stefan Duchateau
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L’annonce de la hausse brutale des tarifs douaniers a suscité la panique parmi les investisseurs et a conduit à l’une des baisses les plus fortes en deux jours sur les marchés financiers, comparable à la crise qui a suivi le début de l’épidémie de coronavirus. Pourtant, à aucun moment je n’ai perdu ma patience et mon sang-froid.

En effet, les déclarations impulsives et les annonces erratiques de M. Trump ne doivent jamais être prises au pied de la lettre, mais toujours au sérieux : la désindustrialisation des États-Unis pourrait finir par affaiblir leur position militaire, et leur dépendance excessive à l’égard des produits bon marché provenant (entre autres) de la Chine les rend vulnérables sur le plan économique.

Je comprends les mesures qui permettent d’atteindre un meilleur équilibre au fil du temps. Je constate également que les amendes imposées par l’UE aux entreprises technologiques américaines de l’autre côté de l’Atlantique sont perçues comme une barrière commerciale déguisée, fondée sur une interprétation artificielle d’un règlement visant à dissimuler la faiblesse de l’Europe.

Cependant, même si nous n’avons pas honte d’admettre que les relations commerciales doivent être rééquilibrées, cela ne signifie pas que nous acceptons la manière dont cela se fait. Les droits de douane imposés menacent de frapper l’économie américaine de plein fouet : ceux qui cessent d’importer des produits bon marché à court terme importeront par la suite des tonnes d’inflation.

En effet, l’industrie dispose de trop peu de temps pour adapter ses chaînes d’approvisionnement et ne dispose pas de réserves suffisantes sur le marché du travail américain pour remplacer les produits importés. Les producteurs étrangers peuvent répercuter les droits de douane directement sur les consommateurs américains. Pire encore, dans le passé, les entreprises américaines ont également augmenté leurs prix au niveau réévalué des produits étrangers.

Ainsi, l’augmentation prévue des taxes à l’importation ne fait qu’engendrer de l’inflation et ne crée pas d’emplois supplémentaires aux États-Unis. Une petite correction à ce sujet : à moyen terme, cela entraînera certainement un nombre important de nouveaux emplois, en particulier pour les robots américains…

L’interprétation positive des décisions potentiellement désastreuses qui frappent les marchés financiers depuis Washington DC est qu’une telle tactique de négociation pourrait avoir été inspirée par la théorie du fou. Il s’agit pour le dirigeant politique d’un pays d’essayer de faire valoir son droit en menaçant de faire exploser son adversaire et lui-même si l’un d’entre eux n’accepte pas l’ensemble de ses exigences. Cette tactique éprouvée est déjà décrite par Machiavel en 1517 et a été utilisée à plusieurs reprises au cours de l’histoire. D’ailleurs, cela a rarement, voire jamais, débouché sur le résultat attendu.

La tactique ne fonctionne que si l’on parvient à convaincre l’adversaire de sa propre folie. Ce dernier point a certainement été atteint aujourd’hui. C’est de la folie, en effet, car si vous connaissez un tant soit peu les lois fondamentales de l’économie, vous savez que c’est l’économie américaine qui sera la plus durement touchée par l’augmentation annoncée des droits de douane.

Le déficit commercial massif a jusqu’à présent été une aubaine pour les États-Unis, car cela lui a permis d’éviter la surchauffe. En raison de décennies d’immense croissance de la richesse et de l’envie irrépressible de dépenser des consommateurs américains, la demande de biens de consommation dépasse de loin la capacité de production disponible aux États-Unis.

En conséquence, les États-Unis risquent d’être la plus grande victime des propositions géniales de l’actuel président (de son propre aveu, du moins). Il semble impossible que l’entourage du président laisse se développer un tel scénario, car il conduirait rapidement à une débâcle politique lors des prochaines élections de mi-mandat.

Pour l’instant, nous supposerons donc que le président applique la théorie du fou et a effectivement convaincu le reste du monde qu’il a (vraiment) perdu la tête. Il a d’ailleurs lui-même fait référence à cette technique de négociation à plusieurs reprises.

Cependant, les marchés financiers attendaient avec impatience un signe indiquant que c’était bien là l’objectif du président, et non la redoutée position isolationniste qui s’est avérée fatale pour les États-Unis et le reste de la planète dans les années 1930.

Sous la pression du lobby financier et de la direction du parti républicain, qui craint les conséquences électorales d’une récession, le président américain a fait d’importantes concessions. Les propositions initiales se sont avérées tellement irréalistes et autodestructrices que le président a perdu toute crédibilité, ce qui a considérablement affaibli sa position de négociation.

Une décision finale sur les tarifs d’importation sur les produits mexicains, indiens, vietnamiens, européens et canadiens est maintenant attendue. Quant aux importations en provenance d’Europe, je m’attends à une augmentation générale (de 10 à 15 % ?) pour compenser la différence entre les taux de TVA européens et américains.

Les accords bilatéraux et des droits de douane raisonnables permettraient aux marchés financiers de se remettre rapidement des pertes récentes, qui dépassent déjà de mille fois les recettes potentielles issues d’une augmentation des droits de douane. Toutefois, cette reprise se matérialisera par à-coups, à la suite des énièmes revirements du conflit commercial.

Même si les tarifs douaniers restent en place, l’économie américaine devra recourir encore plus qu’aujourd’hui à l’automatisation, à la robotique et à l’IA pour rendre son appareil de production plus efficace et compenser la pénurie de main-d’œuvre.

If you’re walking through hell, keep walking.

Stefan Duchateau est professeur et rédige des chroniques pour Investment Officer.

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