Stefan Duchateau
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Dans la première partie, j’expliquais que les frères Sherman ont doté d’innombrables films d’animation d’une musique irrésistible et ainsi composé la bande-son de la génération des baby-boomers. Cette musique avait pour mission de transcender la profonde récession et la mauvaise gestion économique des années 70, motivées par leur consumérisme débridé, conséquence de leur enthousiasme et de leur optimisme inébranlable.

Les taux d’intérêt à long terme peuvent, eux aussi, peu à peu atteindre des niveaux plus faibles. Les tentatives précédentes ont toujours été brutalement interrompues par l’inflation récalcitrante, la conjoncture favorable inattendue des États-Unis à l’époque et, surtout, l’expansion budgétaire, les États-Unis devant financer simultanément trois guerres extérieures et ne pouvant ou n’osant pas procéder à des coupes internes au cours d’une année électorale. Et ce, à un moment où les conséquences budgétaires profondes de la crise sanitaire sont loin d’être digérées…

À la liste des raisons pour lesquelles les taux d’intérêt à long terme sont restés jusqu’à présent (contre toute attente) assez élevés, il convient certainement d’ajouter le fait que les banques centrales ont continué à s’en tenir à la réduction (linéaire) de leurs bilans pour des raisons dogmatiques et ont régulièrement déversé des quantités massives d’obligations d’État et d’entreprises et de crédits hypothécaires sur le marché. Un premier ralentissement devrait être enregistré en juillet aux États-Unis. 

Conjugué au refroidissement des perspectives conjoncturelles et à la stagnation de l’inflation, ce ralentissement annoncera une baisse progressive des taux d’intérêt à long terme, ce qui permettra une remontée des cours des obligations fort malmenées à l’automne. Pour les marchés obligataires, c’est le signal que la fin de l’ère glaciaire est proche, même s’il reste à voir si les taux d’intérêt enregistreront effectivement des baisses significatives. Les perspectives ne suffisent pas à elles seules à faire grimper les prix des obligations, contrairement aux actions, dont les sociétés peuvent anticiper ce qui va (probablement) arriver en ajustant leurs perspectives de croissance. Les investissements à revenu fixe n’ont pas cette flexibilité.

Graphique 4 : Indice mondial des actions et indice des obligations de l’UEM (échéance 7-10 ans) depuis le 01/01/2022

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Jusqu’à présent, les investisseurs obligataires ont dû ronger leur frein en observant comment les indices boursiers ont surmonté tout de même assez rapidement leur chute en 2022 et poursuivre avec audace leur success story. Cette course au record suit toutefois un chemin cahoteux longeant les ravins béants des hypes et des surévaluations potentielles, qui demandera l’agilité nécessaire aux courageux qui s’aventureront sur cette voie

D’importants écarts 

La performance des investissements varie fortement en fonction du choix des secteurs, des thèmes et des entreprises spécifiques. Comme d’habitude, le secteur technologique a obtenu de très bons résultats, notamment en ce qui concerne le sous-secteur des semi-conducteurs, mais les banques commerciales européennes ont, elles aussi, réalisé une brillante performance sur la période récente.  

Graphique 5 : Banques commerciales dans la zone euro : évolution de l’indice boursier et des marges bénéficiaires des banques

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Avec une hausse de 71 % depuis le 01/01/2022, l’indice des banques commerciales cotées dans l’UEM a même dépassé de 20 % le célèbre indice Fang et de pas moins de 50 % l’indice boursier mondial MSCI

Toutefois, une partie de cette hausse est due à l’écart historiquement important entre le taux interbancaire et la commission sur les dépôts d’épargne, ce qui soulève des questions quant à la durabilité des marges bénéficiaires actuelles des banques. 
La forte augmentation de l’indice de dispersion indique un écart de performance historique entre les sociétés cotées en bourse, ce qui signifie qu’une large diversification est indiquée.

La croissance attendue reste le moteur des marchés boursiers et les entreprises qui ne parviennent pas à atteindre les taux de croissance prévus ou qui projettent des prévisions trop modestes pour le prochain trimestre ne font l’objet d’aucune pitié. La barre est placée très haut et seule une poignée d’entreprises parviennent à satisfaire à la norme, avec pour récompense une solide ascension boursière. Cela conduit à une concentration de plus en plus extrême des gains boursiers. 

Ainsi, le fabricant de puces d’IA NVIDIA représente à lui seul 36 % de la hausse totale de l’indice S&P 500 depuis le début de l’année boursière. Ajoutez-y Microsoft et Amazon, et vous pouvez directement attribuer la moitié de tous les gains boursiers de l’indice boursier américain le plus représentatif à trois des 500 entreprises.

Graphique 6 : Indice de dispersion aux États-Unis 

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La concentration se poursuit également en Europe, mais dans une moindre mesure qu’aux États-Unis. Ceux qui n’ont pas Novo Nordisk, ASML, Hermes et SAP en portefeuille seront privés de plus d’un tiers des gains totaux des 600 actions européennes de l’indice européen Stoxx 600 en 2024. 

Les résultats d’exploitation ont augmenté – selon l’indice, la région et la méthode de calcul – de 8 à 11 %, propulsés par la croissance attendue des investissements dans l’IA et les améliorations du degré d’efficacité des entreprises à prévoir en conséquence, à la fois en termes de production, de distribution et d’accès aux consommateurs.

Spéculations ou réalité ?

Ce n’est que dans quelques années que nous pourrons dire si l’IA répond à ces attentes démesurées ou s’il ne s’agit que d’une hype, comme la folie des dotcoms en 2000 ou l’engouement pour les tulipes pendant l’âge d’or hollandais.

 Nous avons en tout cas un bon ressenti à ce sujet. Pour l’IA, nous voyons immédiatement un grand nombre d’applications possibles. En outre, contrairement à la bulle technologique de 2000, les entreprises qui participent aujourd’hui au boom des marchés boursiers réalisent des bénéfices (importants). 

Les résultats récemment publiés par NVIDIA ont stupéfié la communauté des investisseurs et fait grimper en flèche les indices boursiers dans le monde entier. Même dans le plus épais des Robert, il est impossible de trouver un mot juste pour décrire notre admiration pour les résultats d’exploitation du fabricant de puces d’IA. C’est pourquoi il nous faut nous rabattre sur le timbre des frères Sherman dans Mary Poppins : « supercalifragilisticexpidélilicieux ».

Stefan Duchateau est professeur et expert auprès d’Investment Officer.

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