Stefan Duchateau
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La poussière semble déjà retomber après les élections présidentielles américaines et les marchés financiers s’apaisent eux aussi après le modeste rebond boursier qui a accueilli la victoire de la droite. Les investisseurs ont ainsi manifesté leur préférence (provisoire) pour la légendaire versatilité de Donald Trump face à l’incertitude de la politique économique de Kamala Harris.

Mais, si les marchés boursiers ont poussé un soupir de soulagement, c’est avant tout parce que les résultats des élections ont d’emblée été incontestables et n’ont donc pas donné lieu à la moindre insurrection. 

La victoire de Donald Trump était majoritairement anticipée par les marchés financiers : quelques jours avant les élections, ils donnaient 70 % de chances à une victoire républicaine. Tout à fait conformément aux attentes, elle a boosté le dollar et les taux à long terme et donné de l’air aux indices boursiers américains. 

Une mauvaise affaire ?

Ne nous emballons pas pour autant. D’une part, parce qu’une « trifecta » n’est pas un scénario idéal pour les bourses. Une trifecta, un « tiercé gagnant » en somme, signifie qu’un même parti obtient la présidence et la majorité dans les deux Chambres législatives, sachant qu’une majorité de 60 % est requise pour un certain nombre de dossiers importants.

Par le passé, une constellation dans laquelle la Chambre et le Sénat appartenaient au même parti n’a pas abouti aux meilleurs résultats d’investissement. Bien sûr, l’histoire n’est pas toujours vouée à se répéter. 

D’autre part, nous demeurons sceptiques car, si le plan économique du nouveau président semble plus favorable aux entreprises, il est étayé de façon si simpliste qu’une vigilance permanente reste de mise. 

Un loup qui ne se prétend pas mouton

Initialement, on aurait encore pu se dire que la choquante agressivité dont Donald Trump a fait preuve pendant la campagne électorale s’atténuerait une fois la victoire remportée. Eh bien, non, bien au contraire. Parce qu’il a également remporté le vote populaire, il semble désormais que l’ensemble des États-Unis soutiendrait d’une seule voix son projet de persister dans ses méthodes particulièrement agressives.

Bien entendu, de nombreux électeurs (y compris en Europe) sont disposés à s’élever contre la bureaucratie excessive du gouvernement. Mais les propositions quasi absurdes de Donald Trump pour la composition de son équipe gouvernementale illustrent un total manque de sérieux et un profond mépris pour l’appareil étatique américain.

La candidature de RFK Jr. au poste de ministre de la Santé sème à présent le chaos sur les Bourses. Si l’indice S&P Composite reste encore légèrement positif 8 jours après les élections, l’indice des entreprises pharmaceutiques a perdu 6 % en moyenne, avec des valeurs aberrantes considérables de 15 à 20 % pour des entreprises telles que Moderna, Novavax, Amgen et Abbvie. Par ailleurs, la crainte d’une hausse des droits de douane fait également perdre de plus en plus de terrain aux actions européennes.

Graphique 1 : Évolution en devises locales des indices S&P Composite, NASDAQMSCI Zone Euro et US Pharma & Biotech

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Le chien dans le jeu de quilles

Le premier choc baissier sur les marchés boursiers au lendemain des élections a certainement été lié à ces nominations délibérément provocatrices. La correction des cours du 15/11 avait cependant plusieurs causes. Certaines d’entre elles sont d’ailleurs totalement indépendantes du contexte électoral car, au cours de cette lune de miel particulièrement courte, on a malheureusement oublié de tenir compte du taulier : la Banque centrale américaine.

La Fed suit en effet sa propre logique et, en tant qu’institution indépendante, est bien plus difficile à contrôler qu’un ministère gouvernemental comme la Défense, l’Éducation ou la Justice. La banque centrale est libre de définir sa propre politique afin de protéger la société du chômage et de l’inflation et de préserver les bourses des bulles financières.

L’inflation inquiète

Les taux d’inflation américains suivent actuellement un chemin cahoteux du fait de la précédente politique des banques centrales ; le taux directeur a ainsi été relevé trop tard pour commencer, puis de façon accélérée et – surtout – à des niveaux inutilement hauts. 
Aussi, cette inflation élevée – et, surtout, la hausse excessive des prix de l’alimentation et des logements en location – a été un thème important lors des dernières élections présidentielles et contribué dans une large mesure à la défaite de l’équipe gouvernementale en exercice, de même qu’un manque de temps manifeste et de mauvais choix stratégiques à divers niveaux. Tout ceci a rendu la candidate démocrate vulnérable face à la stratégie électorale ingénieuse et parfaitement exécutée de Donald Trump : max out the men and hold the women

Des taupinières à perte de vue

Dans la trajectoire baissière attendue, les taux d’inflation se sont de nouveau heurtés récemment à un obstacle. Les principaux coupables sont, là encore, les loyers et les tarifs aériens. Il convient néanmoins de ne pas prêter trop d’attention au mouvement actuel des indicateurs des prix de détail, fortement impactés par les conséquences temporaires des ouragans ayant frappé la côte Est des États-Unis.

La seule lueur d’espoir dans tout cela, c’est le constat que l’inflation sous-jacente se stabilise bel et bien autour de l’objectif à long terme de 2 % par an. Si cela est rassurant en soi, la question demeure de savoir quelle sera la réaction de la Fed.

Ce qu’une banque centrale est censée faire dans ces conditions est on ne peut plus clair : rétrograder avec diligence le taux directeur vers un taux neutre (aux alentours de 3,5 %) afin de canaliser les loyers et les charges financières. Mais c’est pourtant le contraire qui semble sur le point de se produire : la série prévue de 6 à 7 baisses du taux d’intérêt a finalement été ramenée autour de deux au cours des douze mois à venir, entrecoupée de longues pauses intermédiaires.

Pas encore de trifecta pour les Bourses

Pour les Bourses, un tiercé gagnant voudrait que la baisse du taux d’intérêt à long terme soit accompagnée d’une hausse des marchés, rendant (enfin) les marchés obligataires très attrayants et montrant le dollar sous un jour fort. Pour l’heure, néanmoins, seul ce dernier point semble se confirmer.

Les marchés financiers doutent : l’inflation a-t-elle encore un potentiel baissier suffisant ? On ne prévoit en effet qu’une légère accélération dans la bonne direction, et pas avant la fin du premier trimestre de 2025.

Les marchés craignent principalement une escalade sur le front russo-ukrainien, surtout à présent que l’emploi de missiles à longue portée a été autorisé. Si les stocks de ces armes sont insuffisants pour faire une différence sur le plan militaire, le lancement de quelques-uns de ces missiles sera quant à lui suffisant pour alimenter la menace nucléaire russe. Cette autorisation a été, pour le moins, un pari extrêmement risqué de l’administration Biden, expressément approuvé, par ailleurs, par le Royaume-Uni. Et les marchés financiers n’apprécient pas ce genre de coups de poker.

Stefan Duchateau est professeur et rédige des chroniques pour Investment Officer.

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