Stephan Desplancke
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Chaque génération a ses icônes boursières. Dans les années 60 et 70, il s’agissait des Nifty Fifty, un groupe exclusif d’actions jugées invincibles. Pourtant, leur ascension et leur déclin illustrent que même les entreprises les plus solides sont vulnérables si le prix payé est excessif.

Une croissance future des bénéfices supérieure à celle de l’indice large ne suffit généralement pas à justifier des valorisations élevées. Les histoires de croissance d’entreprises comme Tesla et Nvidia enflamment l’imaginaire. Cependant, plus le prix payé est élevé, plus la probabilité de réaliser un bénéfice diminue lorsque la croissance ralentit.

Les Nifty Fifty : une leçon du passé

Dans les années 60, les actions Nifty Fifty étaient considérées comme le nec plus ultra de l’investissement. Il s’agissait de 50 grandes entreprises prospères, dotées de marques fortes, de positions dominantes dans leurs secteurs et d’un historique de croissance avéré. Elles incarnaient l’idéal des blue chips non spéculatives. À l’époque, les investisseurs étaient convaincus que ces actions continueraient à prendre de la valeur, quel que soit leur prix, et qu’il ne fallait donc jamais s’en séparer.

Certaines de ces actions affichaient un ratio cours/bénéfice supérieur à 50, un niveau extrêmement élevé à l’époque. Mais qui s’en souciait ? Ces entreprises étaient considérées comme des one-decision stocks, qu’il suffisait d’acheter et de conserver indéfiniment. 

Puis vinrent les années 70. Une combinaison d’inflation galopante, de stagnation économique et de perte de confiance entraîna une chute spectaculaire de ces valeurs. Certaines de ces Nifty Fifty perdirent jusqu’à 90 % de leur valeur. Une leçon à retenir pour tout investisseur : même les meilleures entreprises sont de mauvais investissements si vous payez un prix trop élevé.

Les chiffres ne mentent pas

Fin 1972, les dix plus grandes capitalisations boursières américaines incluaient notamment IBM, Eastman Kodak, General Electric, Xerox, Coca-Cola et Johnson & Johnson. Comme bon nombre de ces entreprises ont aujourd’hui disparu, ont été rachetées ou ont fusionné, il n’est donc possible de tirer des conclusions que pour la période des Nifty Fifty, soit du milieu des années 60 à la fin des années 70.

Entre 1967 et 1972, ces entreprises avaient affiché une croissance annuelle moyenne de leurs bénéfices de 22 %, et même de 30 % au cours de l’année record 1972. À titre de comparaison, la croissance des bénéfices pour l’ensemble du S&P 500 n’était que de 4 % par an sur la même période, et de 13 % en 1972. Le rendement des capitaux propres des Nifty Fifty atteignait également 22 %, bien au-dessus des 14 % affichés par l’indice global. Ces performances se reflétaient également dans leurs cours boursiers, qui avaient progressé de 28 % par an sur cinq ans, contre seulement 6,7 % pour le S&P 500.
Avec un historique de performance aussi extraordinaire, il semblait logique que les Nifty Fifty affichent des ratios cours/bénéfice bien supérieurs à la moyenne. Fin 1972, ce dernier atteignait en moyenne 43, contre seulement 18 pour l’indice.

Puis vint la récession de 1973-1975, une période marquée par une faible croissance économique et un marché baissier. L’indice phare américain perdit 14 % en 1973, puis 26 % en 1974. Même ces entreprises jugées invincibles virent leur valeur plonger de 19 % et 38 % sur la période. 

Même après la récession de la seconde moitié des années 70, leurs cours boursiers restèrent à la traîne. Le rendement annuel moyen entre 1973 et 1978 fut de -4,4 %, contre 2,5 % pour le S&P 500. Les entreprises affichant les ratios C/B les plus élevés accusèrent des performances encore plus faibles.

Parallèles avec le marché actuel

Les 7 Magnifiques d’aujourd’hui sont les leaders incontestés de leur époque. Elles dominent leurs secteurs, génèrent des bénéfices colossaux et continuent d’innover. Les investisseurs les considèrent comme incontournables.

Cependant, à l’instar des Nifty Fifty, ces entreprises se négocient à des valorisations extrêmement élevées. L’engouement suscité par les nouvelles technologies telles que l’intelligence artificielle (IA) et les véhicules électriques (VE) fait encore davantage grimper les prix. Ces entreprises valent-elles vraiment autant, ou bien les investisseurs paient-ils aujourd’hui pour une illusion d’invincibilité ?

Même si la croissance réelle des bénéfices des BigTech actuelles devait rester nettement supérieure à celle de l’indice large au cours des prochaines années, cela ne suffirait généralement pas à justifier leurs valorisations élevées actuelles.

En dehors d’un ralentissement économique brutal ou d’une récession, quels facteurs pourraient affecter négativement la croissance future des bénéfices des actuels leaders du marché ? La concurrence de nouveaux acteurs, par exemple, ou la rivalité entre ces géants eux-mêmes, en raison du chevauchement croissant de leurs activités. Par ailleurs, les réglementations gouvernementales antitrust ou relatives à la protection de la vie privée peuvent également perturber les modèles économiques monopolistiques.

Trois leçons essentielles des Nifty Fifty

La croissance est importante, mais la valorisation est cruciale

Les Nifty Fifty étaient indéniablement de grande qualité, et beaucoup d’entre elles sont aujourd’hui encore des acteurs solides. Cependant, les investisseurs qui les ont achetées à des valorisations record ont vu leur rendement s’effondrer car ils les avaient payées trop cher. Le même risque existe aujourd’hui. Des entreprises comme Tesla et Nvidia affichent des histoires de croissance impressionnantes, mais plus le prix payé est élevé, plus la probabilité de réaliser un bénéfice diminue lorsque la croissance ralentit. L’enjeu est donc de trouver un équilibre entre qualité et prix raisonnable.

L’innovation inspire, la hype est dangereuse

Dans les années 70, Polaroid figurait parmi les entreprises les plus innovantes des Nifty Fifty. Ses appareils photo instantanés étaient révolutionnaires et les investisseurs y voyaient un avenir doré. Pourtant, Polaroid a fini par être victime de la disruption et de mauvaises décisions stratégiques. Aujourd’hui, nous observons un phénomène similaire avec les entreprises actives dans des technologies émergentes telles que l’IA et le métavers. Toutes ne parviendront pas à transformer la hype en succès pérenne.

Regardez donc au-delà de l’histoire et concentrez-vous sur les chiffres. Recherchez des entreprises reposant sur un modèle économique solide, et pas seulement sur un discours marketing séduisant.

La diversification est votre salut

L’une des plus grandes erreurs de l’époque des Nifty Fifty était la concentration excessive. Les investisseurs plaçaient une part importante de leur capital dans ces actions, convaincus qu’elles étaient infaillibles. Mais lorsque la bulle a éclaté, leurs portefeuilles ont plongé avec elles.

Aujourd’hui, de nombreux investisseurs détiennent une grande part de leurs actifs dans un petit nombre d’actions Big Tech, notamment en raison de leur forte présence dans les ETF les plus populaires. Ce niveau de concentration augmente le risque si ces entreprises ne répondent pas aux attentes de croissance. Pour protéger votre portefeuille, diversifiez donc vos investissements et répartissez-les entre différents secteurs, régions et classes d’actifs.

L’avantage de la qualité sur le long terme

Toutes les Nifty Fifty n’ont pas été perdantes. Des entreprises comme Johnson & Johnson et Procter & Gamble ont démontré que des fondamentaux solides associés à une bonne capacité d’adaptation pouvaient faire la différence. Elles ont survécu au déclin et généré de solides rendements pendant des décennies.

Cette leçon reste valable aujourd’hui. Les entreprises disposant d’un avantage concurrentiel durable, de flux de trésorerie fiables et d’une gestion rigoureuse offrent souvent les meilleures perspectives de succès, même en période d’incertitude. Enfin, privilégiez les valorisations réalistes, faites la distinction entre véritable innovation et simple hype, et construisez un portefeuille diversifié, capable de résister aux aléas du marché.

Après avoir travaillé 15 ans chez BlackRock, Stephan Desplancke a fondé Toward Wealth Management. Il écrit également des chroniques pour Investment Officer.

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