Dans le monde de l’investissement, il est essentiel de comprendre les cycles de marché pour prendre des décisions éclairées.
L’investissement cyclique, ou la stratégie consistant à ajuster ses choix en fonction des phases des cycles économiques et des cycles de marché, constituait autrefois un outil puissant pour gérer les risques et maximiser les rendements. Cependant, les récents bouleversements dans le paysage économique, entraînés par des événements sans précédent et une dynamique de marché en mutation, ont complexifié cette stratégie.
Quels principes prévalaient autrefois ?
L’investissement cyclique repose sur l’idée que les économies et les marchés passent par des phases prévisibles : expansion, pic, ralentissement/récession et reprise. Chaque phase présente ses propres caractéristiques et influence différemment la performance des actifs. En comprenant ces phases, les investisseurs peuvent allouer les actifs de manière à chercher à obtenir de bonnes performances compte tenu des conditions économiques actuelles et attendues.
Expansion
Durant cette phase, l’économie est en croissance, le chômage diminue et les dépenses de consommation augmentent. Les actions ont tendance à faire belle figure, en particulier les valeurs cycliques telles que la technologie, l’industrie et les secteurs orientés vers la consommation.
Pic
Cette phase marque l’apogée de l’activité économique. Les pressions inflationnistes peuvent augmenter et les banques centrales resserrer leur politique monétaire. Les investisseurs ont souvent tendance à se tourner vers des valeurs défensives, telles que les services publics et les biens de consommation de base, plus à même de résister aux ralentissements économiques et donc, moins volatiles.
Contraction/récession
L’activité économique ralentit, le chômage augmente et les dépenses de consommation diminuent. Durant cette phase, les obligations et autres titres à revenu fixe ont tendance à afficher une meilleure performance, car les investisseurs recherchent la sécurité.
Reprise
L’économie commence à se redresser et se prépare à la prochaine phase d’expansion. Cette phase peut être propice à l’investissement dans des actions sous-évaluées, en particulier celles qui sont susceptibles de bénéficier du début de la reprise.
Qu’est-ce qui a changé ?
Le climat économique mondial a récemment été marqué par une série d’événements qui remettent en question les stratégies traditionnelles d’investissement cyclique. Les plus notables sont la pandémie de Covid-19, la politique économique qui en a découlé, le conflit en Ukraine, les disruptions technologiques et les tensions géopolitiques.
Covid-19 et réaction des politiques économiques
La pandémie a provoqué une contraction économique sévère mais inégale, suivie d’une reprise rapide dans de nombreuses régions. Dans le monde entier, les banques centrales et les gouvernements ont mené une politique monétaire et budgétaire agressive pour en atténuer les impacts, notamment en abaissant les taux d’intérêt, en procédant à un assouplissement quantitatif et en mettant en place d’importantes mesures de relance budgétaire. Ces mesures ont modifié les phases traditionnelles du cycle et raccourci les échéances. Les gouvernements et les banques centrales ont ainsi accéléré la phase de reprise.
Disruptions technologiques
Les avancées technologiques rapides ont accéléré la transformation numérique dans divers secteurs. Cette évolution a modifié la dynamique des secteurs, les entreprises technologiques gagnant en importance même en période de contraction économique.
La résilience et la croissance des géants de la technologie pendant le ralentissement causé par la pandémie illustrent par exemple la nécessité d’une approche nuancée de l’investissement cyclique, les performances sectorielles pouvant ne pas correspondre strictement aux phases traditionnelles du cycle. Dans un contexte normal de forte inflation et de taux d’intérêt élevés, le secteur technologique est souvent sous-pondéré. Cependant, ce secteur a été la force motrice de la hausse des marchés boursiers en 2023 et 2024.
Fragmentation géopolitique
Les guerres commerciales (notamment entre les États-Unis et la Chine), le Brexit et d’autres développements géopolitiques ont engendré une volatilité et une incertitude supplémentaires sur les marchés mondiaux. Ces tensions peuvent influencer les cycles de marché (indépendamment des fondamentaux économiques) et nécessitent une approche d’investissement plus dynamique et plus réactive. De tels événements modifient artificiellement la dynamique de l’offre et de la demande dans une économie.
Inflation et perturbations des chaînes d’approvisionnement
La reprise post-pandémie a entraîné d’importants goulets d’étranglement dans les chaînes d’approvisionnement ainsi qu’une hausse de l’inflation. Pour les investisseurs cycliques, cela nécessite une vigilance accrue dans le suivi des tendances inflationnistes et l’ajustement des portefeuilles en conséquence.
Les matières premières et les titres protégés contre l’inflation ont fait l’objet d’un regain d’attention en tant que couvertures contre les pressions inflationnistes. Dans une telle période, généralement indicative d’un pic de l’activité économique, les investisseurs préfèrent souvent les secteurs plus défensifs. Alors qu’au début 2023, presque tout le monde prédisait une récession, le facteur de faible volatilité et les secteurs plus stables et plus défensifs ont cependant sous-performé.
Comment réagir ?
Compte tenu des récents changements, les investisseurs professionnels doivent adapter leurs stratégies d’investissement cyclique pour garder une longueur d’avance. Voici quelques considérations :
Flexibilité et souplesse
Les phases des cycles traditionnels peuvent ne pas suivre leurs schémas habituels. Les investisseurs doivent rester flexibles et prêts à ajuster rapidement leurs portefeuilles en fonction des nouvelles informations. Cette flexibilité permet de saisir les opportunités et d’atténuer les risques à mesure que les conditions du marché évoluent.
En tenant compte de la poursuite de la forte croissance économique attendue (selon la Fed d’Atlanta, +3,1 % en glissement annuel pour le deuxième trimestre), de la relative résilience de la consommation et des tensions sur le marché du travail, il est probable que nous nous trouvions à la fin d’une phase d’expansion artificiellement stimulée plutôt qu’en phase de ralentissement économique.
Rotation sectorielle avec une approche nuancée
Bien que la rotation sectorielle demeure une stratégie clé, les investisseurs doivent tenir compte de l’impact plus large des avancées technologiques et des facteurs géopolitiques. Il peut donc être avantageux de conserver une exposition aux valeurs technologiques, même en période de contraction, en raison de leur résilience avérée.
Diversification et gestion des risques
La diversification demeure essentielle, surtout en période d’incertitude. Un portefeuille équilibré composé d’actions, de titres à revenu fixe, de matières premières et d’actifs alternatifs peut aider à gérer les risques et à améliorer le rendement.
Surveillance des indicateurs économiques
Surveiller attentivement les principaux indicateurs économiques tels que la croissance du PIB, les chiffres du chômage, l’inflation et les politiques des banques centrales peut fournir des indications précieuses sur les phases actuelles et futures du cycle.
Conclusion
L’investissement cyclique demeure une stratégie efficace pour les investisseurs professionnels, mais les récents changements dans le paysage économique nécessitent une approche plus sophistiquée. En restant flexibles, en tirant parti des avancées technologiques et en maintenant un portefeuille diversifié, les investisseurs peuvent naviguer efficacement à travers la complexité des cycles de marché modernes.
Comme toujours, l’adaptation et l’apprentissage continus constituent la clé du succès dans le monde en constante évolution de l’investissement.
Après avoir travaillé 15 ans chez BlackRock, Stephan Desplancke a fondé Toward Wealth Management. Il écrit également des chroniques pour Investment Officer.