L’une des questions les plus intrigantes et discutées est la lutte opposant actions value et actions de croissance. Il n’est plus suffisant de se baser sur la logique traditionnelle des cycles économiques pour faire son choix : notre monde en mutation renverse les lois classiques.
Ne vous laissez pas avoir par le contexte macroéconomique et (géo)politique actuel, qui semble favoriser les actions value, et combinez judicieusement le meilleur des deux mondes.
Qu’est-ce qu’une action value et de croissance ?
Commençons par les bases. Les actions de valeur, ou value, sont des actions d’entreprises considérées comme sous-évaluées par rapport à leur valeur fondamentale ou intrinsèque. Il s’agit d’entreprises ayant un bilan fort, de bons flux de trésorerie dans le présent et, souvent, d’intéressantes distributions de dividendes. On trouve généralement de telles entreprises dans des secteurs plus cycliques comme l’énergie, la finance et les valeurs industrielles. Elles se caractérisent par un gain de cours et un ratio cours-valeur comptable faibles. Ces actions sont également fréquemment appelées actions « à duration courte ».
Les actions de croissance, à l’inverse, sont des actions d’entreprise dont la croissance bénéficiaire et du chiffre d’affaires (attendue) à long terme est supérieure à la moyenne. Ces entreprises réinvestissent souvent leurs bénéfices pour accélérer leur croissance, ce qui entraîne peu, voire une absence de dividendes. Il s’agit d’entreprises technologiques, de start-ups et d’acteurs innovants dans de nouveaux marchés. On trouve également de nombreuses entreprises de croissance dans les secteurs de la consommation, des soins de santé et de la communication. Ces actions « à duration longue » sont supposées voir leurs flux de trésorerie augmenter dans le futur.
À bon vin point d’enseigner
Si l’on remonte à 1970, on distingue deux longues périodes. De 1970 à juste avant la grande crise financière, les actions value ont fait mieux que les actions de croissance de 7,1 % en moyenne. Puis, de 2007 à l’épidémie de Covid, les actions de croissance ont repris la tête avec une surperformance annuelle de 9,3 % mue par une croissance économique plutôt modérée, une absence d’inflation et des taux d’intérêt extrêmement bas.
Les actions de valeur, avec leurs revenus stables et une moindre dépendance à une future croissance bénéficiaire, profitent souvent d’un environnement de taux d’intérêt plus élevés. Elles prospèrent particulièrement lors de périodes de forte expansion économique et de relance vigoureuse suite à une récession. Un climat d’inflation et de taux d’intérêt croissants bénéficie par conséquent aux value.
Ces actions se retrouvent également souvent sous les feux des projecteurs en périodes d’incertitude économique. En effet, ces entreprises disposent généralement de fondations robustes, comme un flux de trésorerie constant et des actifs solides. Les secteurs axés sur la valeur peuvent ainsi bénéficier des tensions géopolitiques, de la hausse des prix des matières premières et d’une demande accrue pour des services traditionnels.
Les actions de croissance, quant à elles, se démarquent surtout en période de croissance modérée, de faible inflation et de taux d’intérêt réels bas. Le taux d’intérêt a en effet un considérable impact sur leurs performances. Des taux plus élevés rendent les bénéfices futurs moins attrayants, ce qui exerce généralement une pression sur les actions de croissance. Les macrofacteurs traditionnels liés au cycle restent également pertinents dans le futur pour le positionnement tactique value versus croissance, quoiqu’il convienne de bien nuancer et compléter cette stratégie.
De nouvelles affaires
La seule dynamique du cycle économique n’est plus suffisante pour décider d’allouer au style d’investissement value ou croissance. Depuis 2020, les tendances structurelles de notre société et notre système économique ont pris le pas sur le cycle traditionnel. Selon une étude de MSCI portant sur la performance de la valeur par rapport à la croissance entre 1975 et décembre 2023, la croissance réalise de meilleures performances lorsque le taux d’intérêt sur les bons du Trésor américain est compris entre 0,55 % et 2,67 % et/ou lors de baisses du taux d’intérêt comprises entre 0,07 % et 1,88 % sur une base mensuelle. En 2023 et 2024, ces conditions n’étaient cependant pas (toujours) remplies ; pourtant, la Big Tech, secteur de croissance par excellence, a réalisé de superbes performances.
De nombreux investisseurs estiment que c’est dans les périodes de relance post-récession que les actions de valeur se portent le mieux. Depuis 1960, pourtant, les chiffres historiques contredisent cette idée. Dans les dix mois suivant la fin d’une forte récession, la valeur surpasse la performance de la croissance dans cinq cas sur neuf. Dans les douze mois, on passe même à six cas sur neuf. On ne peut néanmoins pas qualifier ces chiffres de significatifs sur le plan statistique. Les investisseurs doivent être conscients de l’interconnexion entre dynamique cyclique et tendances séculaires.
L’évolution du type d’actifs auxquels les entreprises permettent de créer de la valeur estompe, elle aussi, la distinction entre value et croissance. Les investissements numériques et immatériels peuvent réduire tant les bénéfices que les bilans, renforçant des paramètres classiques tels que le gain de cours et le ratio cours-valeur comptable. En dépit d’une création de valeur, ces entreprises semblent injustement chères du point de vue de la valeur.
Quand la valeur devient croissance, et inversement
La composition sectorielle des entreprises de valeur et de croissance a beaucoup évolué depuis le début des années 2000. Les deux secteurs dominants des indices value sont actuellement les soins de santé et la finance, suivis par la technologie et les valeurs industrielles. Il y a dix ans, l’énergie était encore un important secteur value. Si le poids relativement élevé de la technologie dans les indices de valeur peut, à première vue, sembler surprenant et paradoxal, on constate, en creusant un peu, que ce sont essentiellement les industries spécialisées en matériel, semi-conducteurs et services informatiques qui sont considérées comme value.
Dans les indices de croissance, on constate que les secteurs de l’informatique et de la communication ont très fortement augmenté ces dernières années au détriment des soins de santé, par exemple, dont le poids a diminué.
Ni noir, ni blanc, mais plutôt gris
Au cours des années à venir, les investisseurs devront porter un regard différent et bien plus précis sur la dualité value/croissance. Sous l’influence des évolutions géopolitiques, démographiques, climatiques et protectionnistes, l’inflation et le taux d’intérêt réel seront plus élevés que par le passé. C’est la raison pour laquelle nous augmentons la pondération des actions value dans un portefeuille. Il nous faut d’autre part tenir compte de la disruption numérique et de l’IA, dont l’impact sera supérieur à celui de la seconde révolution industrielle si l’on en croit certains observateurs.
Si l’intelligence artificielle est en mesure de réaliser les gigantesques perspectives de rentabilité des entreprises technologiques dans les prochaines années et de mener à bien la transformation de l’économie, peu importe le cycle, les actions de croissances ne pourront qu’être intégrées à un portefeuille.
Malgré des inquiétudes liées au taux d’intérêt, les actions de croissance demeurent attrayantes de par leur rôle de catalyseurs de l’innovation. De l’intelligence artificielle à la technologie verte et la biotechnologie, le potentiel de ces secteurs reste immense. Les investisseurs qui croient en la force de la technologie continueront d’apprécier les actions de croissance, mais les primes qu’ils sont prêts à payer pour cette croissance pourront diminuer si la pression macroéconomique augmente (donc, si le cycle change).
Les avantages de la valeur sont des fluctuations de prix moins volatiles, d’intéressants dividendes et une belle résilience lors de périodes difficiles sur le plan économique. Les avantages des actions de croissance sont des rendements plus élevés et de l’innovation pour l’avenir.
Le choix entre actions value et de croissance dépend ainsi de vos objectifs d’investissement personnels, de votre appétence au risque et de votre horizon temporel. Dans un monde où les cycles économiques et les conditions de marché sont susceptibles de varier rapidement, une approche équilibrée peut représenter la clé du succès. Les actions value offrent stabilité et protection contre les baisses. Les actions de croissance augmentent vos chances d’obtenir un rendement à long terme. Toutes deux constituent donc des styles complémentaires au sein d’un portefeuille holistique.
La croissance doit être une composante de la valeur. N’investissez donc dans des actions de valeur que si les perspectives de croissance sont prometteuses.
Après avoir travaillé 15 ans chez BlackRock, Stephan Desplancke a fondé Toward Wealth Management. Il écrit également des chroniques pour Investment Officer.