Un marché financier sans fonds d’actions : c’est peut-être impensable aujourd’hui, mais il fut un temps où il n’y avait ni offre ni demande. Retour en 1836, année de la création du premier fonds d’actions fermé au monde, Mutualité Industrielle. En tant que spin-off de la banque universelle belge Société Générale, ce fonds d’actions fermé avait un objectif simple : attirer l’argent, de préférence des nouveaux clients plus pauvres, puis réinvestir dans l’économie belge en pleine croissance. Cependant, le succès ne fut pas au rendez-vous. En 1873, la Mutualité Industrielle fut absorbée en tant que département de la Société Générale. Jan Annaert et moi-même avons développé ce sujet dans un article publié dans ‘Explorations in Economic History’. Comment expliquer cet effet ? Et surtout, quelles leçons pouvons-nous en tirer ?
Approche
Le cadre dans lequel ce phénomène s’est déroulé est extrêmement intéressant pour tout chercheur. La Belgique venait de devenir indépendante, il n’y avait pratiquement pas d’actions cotées à la bourse de Bruxelles et investir était une affaire plutôt coûteuse (notamment en raison des coûts de transaction et des frais de courtage). Même si la Belgique était connue à l’époque pour être un paradis fiscal, la législation était très défavorable aux nouvelles entreprises. Néanmoins, une solution fut trouvée pour le Belge désirant acheter un portefeuille diversifié à un prix intéressant : Mutualité Industrielle. Le fonds avait environ 50 actions et obligations différentes en portefeuille.
Malgré l’arrivée de la Mutualité Industrielle, les Belges (et les investisseurs étrangers) aimaient les petits portefeuilles avec une moyenne de 4 holdings, ce qui est toujours le cas 200 ans plus tard. Comme nous ne savons pas exactement ce que les investisseurs achetaient, nous essayons de reproduire au mieux leur comportement d’achat en bourse. Notre stratégie est simple : chaque année, un investisseur choisit 4 actions de manière complètement aléatoire. Nous répétons ce schéma durant la période 1837-1873 et le simulons un million de fois afin de créer le comportement de l›‘investisseur moyen’. Cette approche nous permet de répondre à des questions importantes pour aujourd’hui.
Questions classiques
La première question est simple : combien de portefeuilles font mieux que la Mutualité Industrielle ? Environ 60 % (rendement pur) et 56 % (ratio de Sharpe) des portefeuilles synthétiques obtiennent un meilleur résultat que le fonds. Compte tenu de la plus grande incertitude des portefeuilles synthétiques, 56% n’est pas un bon résultat pour le portefeuille non diversifié.
Ce qui est intéressant avec cette approche, c’est que nous pouvons modifier tous les paramètres. Par exemple, que se passe-t-il lorsque nous passons de 2 à 10 actions dans la sélection ? Ou encore, quelle est l’importance d’un portefeuille diversifié ? Le résultat est clair : le portefeuille de 2 actions a environ 45 % de chances d’avoir un meilleur ratio de Sharpe que le fonds au cours d’une année donnée. Pour 10 actions, on arrive à 75%. L’augmentation de 30 % est obtenue en réduisant le risque de 29,9 % par an (2 actions) à 18,5 % (10 actions).
Quelle leçon pouvons-nous en tirer aujourd’hui ? Un portefeuille avec un nombre réduit d’actions peut donner de bons résultats, mais le portefeuille diversifié est une meilleure option du point de vue du rapport risque/rendement. Le faible pourcentage de rendement sacrifié s’accompagne d’une forte diminution du risque diversifiable. Le fait que cet effet fonctionne au 19e siècle également démontre que cela est dû à une connaissance économique plus approfondie (alors que le concept de ‘diversification’ a été élaboré pour la première fois plus de 100 ans plus tard, par Harry Markowitz).
Le tableau montre le rendement annuel moyen (return), ainsi que le risque (Std.) et le ratio de Sharpe (l’excès de rentabilité par rapport au taux sans risque divisé par le risque) de 37 millions de portefeuilles synthétiques de 2 à 10 actions pour la période de janvier 1837 à décembre 1873. Chaque dernière ligne représente le nombre de portefeuilles synthétiques surperformant la Mutualité Industrielle.
À partir de 1850, des actions étrangères ont également été cotées à la bourse de Bruxelles. Que se passe-t-il si nous donnons encore à l’investisseur le choix d’acheter 4 actions, dont une devant être une action étrangère ? Est-on gagnant avec la diversification internationale ? La réponse est non. Un portefeuille de 4 actions belges génère le même résultat qu’un portefeuille international : la surperformance est en moyenne de l’ordre de 60%.
Quelle leçon pouvons-nous en tirer aujourd’hui ? La diversification internationale ne nuira pas à votre portefeuille (même dans les économies émergentes), mais n’aidera pas non plus. Il en était de même au 19e siècle. Le biais domestique reste un phénomène important aujourd’hui.
Que font les investisseurs ?
Comme nous ne disposons d’aucune information sur les portefeuilles réels des investisseurs, nous essayons de reproduire leur comportement. Nous nous concentrons sur l’investisseur de détail d’une part, et l’investisseur institutionnel d’autre part. L’investisseur de détail dispose de deux stratégies avec 4 actions chacune : soit il choisit des actions à bas prix, soit il choisit des actions loterie (actions à bas prix, mais avec un gain attendu extrêmement élevé). Les résultats parlent d’eux-mêmes : respectivement 5% (actions à bas prix) et 19% (actions loterie) des portefeuilles peuvent battre la Mutualité Industrielle (sur la base de ratios de Sharpe). Comme le fonds ne s’adressait qu’à ces investisseurs, il est bon de constater qu’ils sont compétitifs dans ces deux segments.
Quelle leçon pouvons-nous en tirer aujourd’hui ? Tout comme pour le bon vin, le prix semble être un indicateur important de la qualité. En outre, les actions loterie n’offrent pas de beaux résultats pour les investisseurs. Le fait que cela soit valable pour notre étude montre que les résultats que nous constatons aujourd’hui ne sont pas de la pure chance, mais s’inscrivent dans une histoire économique plus vaste : le pari ne fonctionne pas à la bourse.
Pour les investisseurs institutionnels, c’est le contraire. Tout comme les investisseurs de détail, ils disposent deux stratégies avec 4 actions : soit ils ne choisissent que des ‘actions chères’, soit ils choisissent des actions avec un rendement élevé en dividendes et un momentum de prix positif. Ici aussi, les résultats sont très clairs : 100 % (actions chères) et 99 % (actions à rendement élevé en dividendes) des portefeuilles battent le fonds d’actions (sur la base du ratio de Sharpe). Étant donné qu’au 19e siècle, les investisseurs institutionnels détenaient la quasi-totalité du capital, il n’est pas surprenant que la Mutualité Industrielle n’ait jamais décollé. Ils n’ont pas réussi à enthousiasmer leur public principal.
Quelle leçon pouvons-nous en tirer aujourd’hui ? Une stratégie d’actions versant un beau dividende, associée à un momentum de prix positif, n’est pas une stratégie inintéressante. Robeco qualifie cette stratégie de formule conservatrice, qui n’a pas non plus rapporté énormément aux investisseurs du 21e siècle. Le fait que cette stratégie fonctionnait déjà au 19e siècle est d’ores et déjà un signe positif.
La question de savoir si ce sera le cas dans le futur dépend du maintien des moteurs économiques sous-jacents.
Le tableau montre le rendement annuel moyen (return), ainsi que le risque (Std.) et le ratio de Sharpe (l’excès de rentabilité par rapport au taux sans risque divisé par le risque) de 37 millions de portefeuilles synthétiques de 4 actions pour la période de janvier 1837 à décembre 1873. Chaque dernière ligne représente le nombre de portefeuilles synthétiques surperformant la Mutualité Industrielle.
Gertjan Verdickt est docteur en économie et professeur au Monash University à Melbourne.