Les actions chinoises sont, à bien des égards, l’antithèse des actions des grandes entreprises technologiques américaines : elles sont bon marché, mais mal aimées.
Aujourd’hui, les investisseurs désireux de se positionner sur les marchés émergents ont même la possibilité d’opter pour une variante « marchés émergents hors Chine ». Par conséquent, les actions chinoises sont devenues rares dans les portefeuilles d’actions mondiales, ce qui signifie qu’un léger vent de bonnes nouvelles pourrait suffire à déclencher un vigoureux rebond des cours. Le moment est venu d’augmenter la part des actions chinoises dans les portefeuilles.
Une chose semble sûre, cette bonne nouvelle n’est pas venue de l’Assemblée populaire nationale de Chine qui s’est tenue la semaine dernière. Pour cette année, l’objectif de croissance est fixé à 5 %, un chiffre qui peut sembler modeste au regard des 10 % d’antan. La dernière fois que l’économie chinoise a enregistré une croissance de 10 %, c’était en 2010. À l’époque, l’économie chinoise représentait 6000 milliards de dollars, contre 19 000 milliards aujourd’hui. Cela signifie qu’avec une croissance de 5 %, la contribution de l’économie chinoise à l’économie mondiale est deux fois plus importante qu’avec la croissance de 10 % du passé.
Ainsi, chaque année, la Chine connaît une croissance comparable à l’économie totale de la Suisse ou des Pays-Bas. Un objectif de 5 % peut ne pas sembler ambitieux, mais le secteur immobilier chinois s’est contracté de plus de 60 % en peu de temps. L’immobilier et les services connexes (hors infrastructures) représentaient jusqu’à récemment plus de 20 % du PIB. À cet égard, il est déjà extraordinaire que la Chine parvienne à terminer dans le vert.
Les actions chinoises sont extrêmement bon marché. Notamment à Hong Kong, plusieurs entreprises sont cotées en dessous de leur trésorerie nette. Les actions chinoises sont même moins chères que les actions japonaises ne l’ont jamais été. Cela s’explique par le fait que même à leur apogée, les actions chinoises n’ont jamais été aussi chères que les actions japonaises, alors leurs cours ont connu une baisse comparable à celle subie par le Japon depuis son pic, cette dernière ayant préfiguré deux « décennies perdues ». À cet égard, les actions chinoises semblent s’inscrire dans un scénario encore plus sombre.
La valorisation des actions chinoises est comparable à celle des actions américaines durant la Grande Dépression des années 30. Pour mémoire, l’économie américaine a subi une contraction nominale de 50 % entre 1930 et 1933, une situation qui n’était pas uniquement imputable à des problèmes dans le secteur de l’immobilier : toute la société américaine se trouvait au bord du gouffre. À l’époque, il était tout à fait normal d’investir dans des actions mondiales hors États-Unis. De nombreux investisseurs qui, comme aujourd’hui pour la Chine, n’étaient nullement exposés aux actions américaines, ont ainsi manqué le boom de la consommation dans les années 50.
Cependant, une croissance économique de 5 % n’est pas encore suffisante pour la Chine. Le pays est confronté à une hausse du chômage (des jeunes) et fait même face à une déflation. Ces deux facteurs résultent directement d’une consommation insuffisante au sortir de la pandémie. Une grande partie de l’épargne est investie dans le logement personnel, de sorte que le marché de l’immobilier freine la consommation. De plus, dans l’utopie communiste, il incombe aux citoyens chinois de se charger eux-mêmes de leur éducation, de leur santé et de leur retraite.
Il est donc crucial d’épargner beaucoup. Pékin doit stimuler davantage l’économie, mais redoute – à tort – un scénario à la japonaise. Pourtant, de nombreux pans de l’économie chinoise affichent une excellente santé. Le pays est aujourd’hui le plus grand exportateur de voitures électriques et, sans la Chine, la transition énergétique serait impossible. Le secteur des semi-conducteurs, pierre angulaire du programme stratégique « Made in China 2025 » de Pékin, connaît également une forte croissance.
De plus, le gouvernement chinois accorde une importance croissante aux innovations disruptives. Il ne s’agit plus simplement de copier la technologie occidentale, mais aussi de développer une nouvelle technologie chinoise. Bien entendu, cela ne peut se réaliser par décret, mais les Chinois savent que cela commence par la recherche scientifique fondamentale, qui est toujours une question de financement.
Les problèmes auxquels la Chine est confrontée ont été engendrés par le gouvernement lui-même. La politique zéro Covid a durement touché l’économie et la crise du secteur immobilier résulte de la gestion des promoteurs immobiliers. Il existe toutefois une retombée positive : le problème du risque moral dans ce secteur a été abordé, ce que les États-Unis n’avaient pas osé faire lors de la chute de Lehman Brothers.
Par ailleurs, la Chine souhaite également une monnaie forte, ce qui la rend réticente à abaisser les taux d’intérêt avant la Fed. Cependant, la situation a évolué ces dernières semaines. Depuis le début du Nouvel An chinois, une quantité croissante de liquidités est injectée dans le système financier. Historiquement, l’augmentation de la masse monétaire s’est révélée bénéfique pour le marché des actions chinoises. Au rang des mesures drastiques employées figure aussi le rachat d’actions par les entreprises chinoises et le gouvernement chinois, ce qui contribue principalement à briser les positions spéculatives.
Pour les consommateurs chinois, la situation s’améliore progressivement. L’une des principales raisons expliquant l’absence de voyages massifs après la pandémie est que de nombreux pilotes n’avaient pas cumulé suffisamment d’heures de vol pour être autorisés à piloter. À la lumière des voyages entrepris lors des festivités du Nouvel An chinois, il apparaît que la position des consommateurs chinois s’est nettement améliorée. Dans l’intervalle, on peut également considérer qu’après trois années de difficultés, le marché immobilier a atteint un étiage. Tous les indicateurs relatifs au secteur affichent à présent des signes de reprise, autant d’éléments qui pourraient inciter les investisseurs à se tourner vers la Chine.
Une reprise durable nécessite quelques réformes, et Pékin s’y emploie. Le droit de propriété dans ce pays communiste représente un point délicat. La cotation des entreprises en dessous de leur trésorerie nette est également liée à l’incertitude des actionnaires face au risque de voir ces fonds potentiellement confisqués par l’État chinois.
Le rapport de travail du Comité permanent de la 14e Assemblée populaire nationale, publié vendredi dernier, exprime la volonté de « construire un environnement commercial équitable, fondé sur la loi et ordonné, qui résoudra les défis auxquels sont confrontées les entreprises privées et stimulera leur pouvoir de motivation et leur vitalité endogènes pour le développement accéléré de nouvelles forces productives de qualité. » Xi Jinping a même déclaré mardi dernier qu’« un travail doit être fait pour soutenir la croissance du secteur privé et des entreprises privées et stimuler l’élan intrinsèque et la vigueur innovante des diverses entités commerciales ».
Cela constitue pour le moment une base suffisante pour permettre une nouvelle reprise du marché boursier chinois. Cependant, même dans ce cas, il restera toujours des investisseurs pour déclarer qu’ils ne veulent pas investir en Chine, arguant qu’ils n’ont jamais gagné d’argent avec des actions chinoises. Des investisseurs en actions américaines tenaient le même discours pendant la Grande Dépression… mais nous savons que la situation peut évoluer.
Han Dieperink est directeur de la stratégie d’investissement chez Auréus Vermogensbeheer. Il a auparavant été directeur des investissements chez Rabobank en Schretlen & Co.