Le taux à dix ans américain a dépassé les 5 pour cent, avec pour conséquence une baisse du rendement de profit – l’inverse du ratio cours/bénéfice – en deçà du niveau des rendements obligataires, pour la première fois de ce siècle.
Les actions semblent désormais vulnérables. L’époque de TINA est bel et bien terminée, il y a de nouveau une alternative : les obligations. Pourtant, après trois ans de cours en baisse, l’intérêt pour les obligations n’est pas très prononcé, sans même parler de ce qu’il reste en termes réels.
Des années durant, les obligations américaines à long terme ont constitué la valeur refuge ultime pour les investisseurs. Cependant, lorsque le marché boursier s’emballe, les corrélations sont plus fortes et les endroits où se cacher se raréfient. Si les Treasuries à long terme ont fidèlement rempli ce rôle pendant des années, après une correction de plus de 50 pour cent, il ne semble plus très indiqué de les qualifier de valeur refuge, et d’autres valeurs refuges ont-elles aussi disparu au cours de l’année. Heureusement, de nouvelles ont également fait leur apparition. Dix nouvelles valeurs refuges contre dix anciennes :
Des obligations à long terme aux Magnificent Seven
Le rôle des obligations d’État à long terme semble avoir été repris par les Magnificent Seven. Ces grandes entreprises technologiques bénéficient, sur le plan opérationnel, de la hausse des taux d’intérêt grâce à des positions de trésorerie souvent importantes. Leurs concurrents qui ont emprunté de l’argent doivent s’acquitter d’intérêts plus élevés, ce qui renforce leur position concurrentielle. En outre, l’intelligence artificielle ne connaît pas de rendement décroissant. Plus il y a de données, mieux c’est. Le marché est convaincu que ces entreprises survivront à n’importe quel scénario, et voit également en elles la promesse d’une croissance future.
Du yen japonais aux banques japonaises
Le yen japonais a été une valeur refuge car, en temps d’incertitude, les investisseurs japonais rapatriaient leur argent, faisant grimper sa valeur. Ce n’est plus le cas désormais, essentiellement du fait de la politique pro-cyclique du Yield-Curve-Control (YCC, le contrôle de la courbe des taux). Le Japon compte tout de même une nouvelle valeur refuge surprenante, et ce sont ses banques. De tous les marchés développés, seul le Japon présente une courbe de taux forte, et la hausse de l’inflation et du taux d’intérêt a réveillé les banques japonaises d’une longue hibernation.
De l’or au bitcoin
L’or est traditionnellement considéré comme une valeur refuge. Une importante caractéristique de l’or devrait être la protection qu’elle offre contre l’inflation ; cependant, depuis l’été 2020, son prix n’a plus augmenté, contrairement à l’inflation. Le bitcoin est désormais une bonne alternative à l’or. Après tout, tous deux valent ce que les gens sont prêts à payer. Le bitcoin a triplé depuis l’été 2020. De plus, l’iShares Bitcoin semble n’être qu’une question de temps, ce qui pourrait considérablement stimuler une nouvelle hausse.
De Rolex à Omega
Si une marque de montres est devenue populaire après la grande crise financière, c’est bien la marque Rolex. Portées par l’argent gratuit, des collections entières ont été constituées. Rolex est utilisée comme monnaie d’échange dans le milieu de la drogue, et dans la rue, les risques de se faire voler sa Rolex ont rapidement augmenté. Cette année, cependant, les prix de la marque ont baissé, tandis que ceux des montres de la marque Omega augmentent, notamment parce qu’elle sait tirer habilement parti des réseaux sociaux. L’alunissage réussi de la fusée indienne cette année a en outre probablement contribué à populariser les répliques Swatch de la Moonwatch.
Du whisky japonais au baijiu chinois
Les whiskys japonais sont, eux aussi, le fruit de l’exubérante liquidité ayant suivi la grande crise financière. Avec des taux d’intérêt nuls, les gens se sont mis en quête de rendement. S’il n’y a presque rien à gagner en plaçant son argent dans des boissons, il n’y a pas grand-chose à perdre non plus. La pénurie artificielle est, là encore, un moyen éprouvé de gonfler les prix et, grâce à de petites astuces marketing comme les éditions limitées, cela a parfaitement fonctionné. À présent, cette bulle se dégonfle peu à peu, tandis qu’entretemps, le baijiu chinois, dont le plus célèbre est le Kweichow Moutai, est quant à lui devenu très populaire. Mieux encore, il s’agit du spiritueux le plus précieux au monde. En numéraire, sur le marché des spiritueux, le baijiu affiche une part de marché de pas moins de 68,4 pour cent.
Des entreprises défensives aux actions pétrolières
Si des secteurs défensifs, comme la pharmacie et l’alimentaire, se portent au plus mal cette année, c’est parce qu’ils sont sensibles à l’évolution du taux d’intérêt. Une croissance nulle mais un taux plus élevé signifient automatiquement des valorisations plus faibles. De plus, ces secteurs défensifs sont utilisés comme source de fonds pour investir dans les Magnificent Seven. Les sociétés pétrolières sont bien plus indiquées comme valeurs refuges, ne serait‑ce qu’en raison des tensions géopolitiques au Moyen-Orient. En outre, ces sociétés offrent également une protection contre une inflation tenace.
Des voitures classiques aux jeux vidéo et consoles rétro
L’abondance de liquidité a également fait grimper les prix des voitures classiques. Beaucoup d’entre elles ont été achetées par des plus de 50 ans ces dernières années ; ainsi, il est clair que les prix de ces voitures anciennes ne vont pas poursuivre leur hausse indéfiniment. Outre l’argent, la génération est, en effet, elle aussi un facteur déterminant. Si les baby‑boomers se ruent sur les voitures anciennes, les générations suivantes s’y intéressent nettement moins. Les jeux et consoles rétro sont un bon candidat à la position de valeur refuge, car ce sentiment de jeunesse en est effectivement une pour de nombreuses personnes.
De Mulberry à Loewe
Si le monde des sacs de luxe semble particulièrement sensible à la mode, un bon marketing consiste, dans ce cas, essentiellement en une combinaison de rareté délibérément créée et de prix toujours plus élevés. Le risque, avec de tels produits, est qu’une vente massive ou par le biais d’un magasin d’usine portent un coup fatal à la marque. Dès lors que le public réalise que ces sacs ne sont pas si rares qu’il le pensait, c’est terminé. À cet égard, Mulberry perd actuellement du terrain face à Loewe. Loewe recherche la plus haute gamme de prix et affiche un score élevé sur l’indice Lyst.
Des vieux maîtres à l’art indien et indonésien
Le monde compte de nombreuses toiles, et c’est en fin de compte l’offre et la demande qui en déterminent les prix. Il n’y a que peu de nouveaux acheteurs pour les vieux maîtres. La population des pays qui s’enrichissent renforce la demande pour l’art, mais souvent au niveau local. En Inde et en Indonésie, la classe moyenne se développe rapidement et, avec elle, le nombre d’acheteurs potentiels. Alors que les Japonais se ruent encore massivement sur les tournesols de Vincent van Gogh, les Chinois optent quant à eux pour l’art local, notamment parce qu’il n’est plus resté grand-chose suite à la Révolution culturelle.
Des investissements en Bourse aux marchés privés
Si la hausse du taux d’intérêt affaiblit l’attrait des actions, les obligations sont, elles aussi, actuellement considérées comme un mauvais placement. Le taux d’intérêt ne devrait pas baisser avant à l’année prochaine, et cette évolution entraîne bien évidemment de l’agitation sur les marchés financiers : un phénomène dont les investisseurs des marchés privés savent tirer parti. Rien n’est plus propice aux futurs rendements du private equity qu’une forte récession. La politique monétaire, la crise bancaire et des règles toujours plus strictes pour les banques commerciales permettent également aux investisseurs en dette privée de tirer leur épingle du jeu. Enfin, dans d’autres catégories des marchés privés également, on table désormais sur un taux bien plus élevé, ce qui, à terme, se traduira par des rendements bien supérieurs.