Pour les investisseurs, la question à 1 million (hormis celle de savoir dans quelles actions investir) est de savoir quand les acheter. C’est d’ailleurs pourquoi la littérature consacrée à la « return predictability », ou prévisibilité des rendements, est si populaire, y compris parmi les académiciens. En 2013, le prix Nobel d’économie a même été décerné en lien avec cette question : Eugene Fama (avec Kenneth French) a constaté que le rendement des dividendes – les dividendes perçus divisés par le prix d’une action – pouvait servir à mesurer la réaction d’un rendement au bout d’1 mois à 1 an. Une hausse d’1 % dans le ratio correspond à une hausse moyenne d’1 % en bourse (au-delà d’une moyenne de 8 %) l’année suivante.
Suite à la découverte de Fama et French, le monde académique s’est emballé. De nombreux chercheurs ont essayé d’élaborer une stratégie pour tirer profit de la return predictability. D’une part, ils ont voulu être – systématiquement – plus rentables que la bourse en essayant de mieux comprendre pourquoi le rendement des dividendes évoluait. D’autre part, ils ont cherché de nouveaux ratios et facteurs susceptibles de prévoir ce rendement. Conclusion de la littérature au bout de presque 30 ans : ils cherchent toujours. Peu de critères fonctionnent en échantillon, encore moins hors échantillon. L’étude influente qui a produit cette conclusion s’appelle « academic research destroyed return predictability ». Ce n’est d’ailleurs peut-être pas si surprenant : si vous avez trouvé comment être plus rentable que la bourse, vous n’allez pas le crier sur les toits, mais utiliser cette information pour vos investissements depuis une plage aux Maldives.
L’une des raisons pour lesquelles il est si difficile d’être plus rentable que la bourse est que le rendement est soumis à de très nombreuses interférences. Une étude a par exemple démontré que plus de 35 % du rendement boursier mensuel étaient la conséquence de ces interférences, tandis que le reste dépendait de changements dans les attentes des investisseurs (tels que les flux monétaires, le rendement attendu ou les informations privées). Les personnes qui s’y essaient tout de même sont souvent déçues :
Si vous aviez investi 10 000 dollars le 31 décembre 2017, vous auriez obtenu 35 461 dollars le 31 décembre 2022, soit un rendement annuel de 8,81 %. Ce résultat, pile sur la moyenne de 8 %, n’est pas inattendu. Toutefois :
- si vous aviez manqué les dix meilleurs jours de la bourse pendant cette période, vous auriez obtenu 19 215 dollars en moins. Le rendement annuel moyen aurait alors été de seulement 3,29 %, soit plus de la moitié en moins ;
- si vous aviez manqué les vingt meilleurs jours de cette période, vous auriez perdu 252 dollars. Il n’aurait alors resté que 9 648 dollars de vos 10 000 dollars ;
- si vous aviez eu un mauvais mois et manqué les trente meilleurs jours, le rendement moyen aurait été de -2,93 %, soit une perte de plus de 3 000 dollars par rapport au 31 décembre 2007 : il vous aurait donc resté 6 399 dollars.
Schéma 1 : L’effet de manquer les dix meilleures et pires journées par an.
Les résultats demeurent similaires sur une période plus prolongée. Entre le 1er février 1998 et le 31 décembre 2019 (schéma 1) : si vous aviez manqué les dix pires journées, vous auriez obtenu un rendement deux fois plus élevé qu’au départ. Manquer les dix meilleurs jours, en revanche, aurait généré un rendement deux fois plus bas qu’au départ.
Schéma 2 : Volatilité moyenne des entreprises par an
Ne manquer que 10 jours sur une période de 15 ans n’a vraiment l’air de rien. Pourtant, les résultats sont considérables. Ceci constitue déjà, à mon sens, une lourde preuve en défaveur du market timing. Et cela sans même entrer dans le débat « investissements actifs vs passifs ». Les résultats sont d’autant plus significatifs si vous vous intéressez, en plus du market timing, au stock picking. La volatilité des actions individuelles est en effet bien supérieure à celle de la bourse dans son ensemble. Le schéma 2 indique la volatilité annuelle moyenne par action. Comme on peut le voir, il existe de fortes variations dans toutes les entreprises. Ceci constitue une autre preuve en défaveur du market timing, car vous pourriez alors tout perdre rien qu’en manquant deux bonne journées. Peut-être vaut-il donc mieux éviter les vacances aux Maldives si vous pratiquez le market timing !
Gertjan Verdickt est conférencier en théorie de l’investissement et expert en connaissance de l’agent d’investissement